Un livre
de Gérard Leclerc sur les « lefebvristes » - par
Yves Chiron
Gérard
Leclerc, éditorialiste à France
catholique, collaborateur de l’hebdomadaire Famille
chrétienne, un des fondateurs, en 1971, de la Nouvelle Action Française
(dissidence de l’Action française), et collaborateur, depuis cette date, du
bi-mensuel Royaliste, publie un
« Dossier » consacré à Rome
et les lefebvristes[1].
Son
essai, rapide – moins de cent pages – veut « prendre la mesure des
désaccords, des possibles rapprochements, sans sous-estimer la difficulté d’un
plein accord ».
Selon
Gérard Leclerc, l’explication principale de la crise « lefebvriste »
(qualificatif qu’il préfère à celui de traditionaliste) tient à une sorte
de déficience théologique de Mgr Lefebvre et de ses partisans (p. 72, p. 76,
etc.). Selon lui, Mgr Lefebvre « n’admit jamais qu’on pût
distinguer des aspects positifs dans la recherche exégétique et doctrinale
contemporaine. Tout ce qui échappe aux catégories de la scolastique telle qu’il
l’a apprise est entaché d’erreur. Il n’y a pas de demi-mesures
concevables » (p. 30). En écrivant cela, Gérard Leclerc reprend, de
manière irréfléchie, la vulgate anti-lefebvriste d’un prélat d’Écône
intellectuellement obtus. Des dizaines de faits montrent le contraire.
Par
exemple, l’exégèse du Nouveau Testament a été enseignée au séminaire d’Écône,
à partir de 1972, et pendant trois ans, par le P. Ceslas Spicq, dominicain, un
des plus grands exégètes du XXe siècle.
Dans
le petit livre de Gérard Leclerc, les approximations et les affirmations
inexactes ne manquent pas[2]:
.
Paul VI aurait « voulu arrêter la logique de la rupture » avec Mgr
Lefebvre en le recevant au Vatican (p. 15 et p. 60). Il est avéré que Paul VI
n’a reçu Mgr Lefebvre que sur l’insistance de certains membres de son
entourage et avec la volonté d’obtenir sa pleine soumission à son autorité,
à Vatican II et à la réforme liturgique.
.
Mgr Lefebvre se serait engagé « pour les quatre ans que durera le
Concile, dans une opposition irrémissible à l’élaboration des différents
documents qui formeront le corpus de Vatican II » (p. 36). Il aurait
manifesté une « incompréhension radicale […] à l’égard du travail
conciliaire. Toutes les données théologiques, patristiques et scripturaires
semblent lui échapper » (p. 37). Là encore, Gérard Leclerc ajoute l’erreur
à la généralisation. Mgr Lefebvre n’a pas rejeté tout
le travail accompli au concile et rejeté tous
ses documents. Il est bien connu, par exemple, qu’il estimait très réussi le
décret du concile Vatican II sur le ministère et la vie des prêtres, Presbyterorum ordinis, décret qui est loin de s’en tenir aux
catégories de la scolastique et qui s’appuie, justement, sur de nombreuses
données « patristiques et scripturaires ».
.
Et encore, comment Gérard Leclerc peut-il citer longuement l’assertion
simpliste du P. Chenu : « La théologie de Billot était totalement
ignorante et insoucieuse de l’historicité de l’économie chrétienne, sans
familiarité avec les sources scripturaires, élaborée hors de l’expérience
pastorale de l’Église, et plus encore du peuple chrétien » (p. 74).
Gérard Leclerc se contente d’ajouter : « Cette appréciation
extrêmement sévère devrait sans doute être modérée ».
Le
jugement du célèbre théologien dominicain sur son aîné n’est pas à son
honneur ; il jetait le discrédit, de façon plus qu’outrée, sur l’œuvre
considérable du grand théologien jésuite Louis Billot (1846-1931). Tout au
contraire de ce qu’affirmait le P. Chenu, le cardinal Billot a, longuement, et
à plusieurs reprises, scruté « l’historicité de l’économie
chrétienne ». En témoigne encore la publication récente de certaines de
ses pages[3].
Si
l’on réussit à passer outre ces excès et ces erreurs, on relèvera quelques
points intéressants dans les analyses de Gérard Leclerc. Sur la question
liturgique, par exemple : « Il est certain que depuis les années 70,
la question liturgique a beaucoup évolué. Tout d’abord, nombre d’abus qui
avaient accompagné les premiers temps de la réforme se sont atténués […]
Nous ne sommes plus dans la situation de blocage du pontificat de Paul VI. Le
rite tridentin a reçu un statut officiel […] Les tendances iconoclastes qui
avaient abouti à l’éclatement de l’espace sacré sont à reconsidérer et
il est permis de revenir sur l’ensemble des réformes imposées » (p.
70-72).
Contrairement
à ce que j’ai écrit dans le précédent numéro d’Aletheia
(n° 145, 6 août 2009), Mgr Fellay a bien célébré, en août 2000, une messe
selon le rite traditionnel dans la basilique Sainte-Marie Majeure. Monsieur l’abbé
Grégoire Celier, actuel rédacteur en chef de la Lettre à nos frères prêtres, craint que mon erreur factuelle,
imprimée dans le n° 145, porte « atteinte […] à la réputation
de Monsieur l’abbé de La Rocque et de la Lettre
à nos frères prêtres ». Il me prie de préciser : « en
dehors et en plus du pèlerinage jubilaire, Mgr Fellay a bien célébré, le
15 août de cette même année [2000], une messe chantée en la basilique
Sainte-Marie Majeure ».
Pour
résumer cet épisode de l’histoire de la FSSPX et du pèlerinage du Jubilé,
on peut donc dire qu’aucun prêtre de la FSSPX, ni son supérieur général,
ni aucun des prêtres « amis » qui accompagnaient le pèlerinage
jubilaire, n’ont obtenu l’autorisation de célébrer la messe dans les
basiliques majeures. Mgr Fellay lui-même l’a regretté dans son homélie
prononcée lors de la messe célébrée en plein air, sur le Colle Oppio :
« comme vous le voyez, il ne nous a pas été permis de célébrer dans
les basiliques ».
Comment
et pourquoi ce qui n’a pas été possible, ce qui n’a « pas été
permis », les 8, 9 et 10 août 2000, l’a été cinq jours plus tard, une
fois les pèlerins partis ? C’est une question qui reste irrésolue pour
le profane. Mgr Fellay doit posséder la réponse.
On
remarquera que ni Fideliter, ni La Tradizione cattolica (la revue officielle du district italien de
la FSSPX) n’ont évoqué cette messe du 15 août dans leur compte-rendu du
pèlerinage jubilaire.
Un
des prêtres qui a été un des prédicateurs de ce pèlerinage jubilaire me
précise dans une lettre : « je ne suis pas au courant [de cette]
messe du 15 août de Mgr Fellay à Sainte-Marie Majeure, mais ça ne devait pas
être la messe officielle du pèlerinage… achevé. […] ça ne pouvait ni
devait être comme supérieur de la Fraternité St Pie X, organisatrice
principale du pèlerinage, et peut-être alors ”concédée” pour quelque
motif de charité. »
Y.C.
|