Évangéliser
la mondialisation ? - par
Yves Chiron
La
première encyclique de Benoît XVI consacrée aux questions sociales, attendue
depuis plus de deux ans, a été promulguée le 29 juin dernier et publiée peu
de jours après. Intitulée Caritas in
veritate, l’encyclique surprend d’abord par sa longueur. Elle compte
beaucoup plus de pages que les encycliques sociales qui l’ont précédée.
Si
l’on s’en tient aux encycliques considérées comme les plus importantes
dans ce domaine, du moins celles auxquelles Benoît XVI fait référence, on
peut établir la comparaison suivante :
-
Léon
XIII, Rerum novarum (1891) :
env. 84.000 signes (ou caractères).
-
Pie
XI, Quadragesimo anno
(1931) : env. 145.000 signes.
-
Paul
VI, Populorum Progressio
(1967) : env. 72.000 signes.
-
Jean-Paul
II, Sollicitudo rei socialis
(1987) : env. 145.000 signes.
-
Benoît
XVI, Caritas in veritate
(2009) : env. 210.000 signes.
Dans
l’encyclique de Benoît XVI, les sujets traités sont plus nombreux que dans
les précédentes encycliques sociales. Des sujets nouveaux ou peu abordés
précédemment font l’objet de longs développements : la mondialisation
ou la nécessité d’imposer des règles à la financiarisation de l’économie.
Mais Caritas in veritate, par son
ampleur, par son caractère plus doctrinal et plus théorique que pratique, par
sa densité, n’est certainement pas une encyclique qui pourra être lue
intégralement par l’homme de la
rue ni même accessible facilement au fidèle de bonne volonté.
La
charité dans la vérité
Composite
– le plan même de l’encyclique se ressent des rédactions successives et
des rédacteurs divers qui ont collaboré à sa préparation –, cette
encyclique trouve sa touche la plus personnelle, la plus ratzingérienne, dans
les premières pages. Benoît XVI montre les liens étroits qui doivent exister
entre la charité et la vérité[1] : « Ce
n’est que dans la vérité que la charité
resplendit et qu’elle peut être vécue avec authenticité ».
La
charité peut connaître des « dévoiements », des « pertes de
sens ». « Sans vérité, la charité bascule dans
le sentimentalisme. L’amour devient une coque vide susceptible d’être
arbitrairement remplie. C’est le risque mortifère qu’affronte l’amour
dans une culture sans vérité. Il est la proie des émotions et de l’opinion
contingente des êtres humains : il devient un terme galvaudé et
déformé, jusqu’à signifier son contraire. La vérité libère la charité
des étroitesses de l’émotivité […] ».
Sans
qu’aucune personnalité ne soit nommée ni aucune organisation citée, on
relèvera cette critique qui vise un certain humanitarisme chrétien :
« Un Christianisme de charité sans vérité peut facilement être
confondu avec un réservoir de bons sentiments, utiles pour la coexistence
sociale, mais n’ayant qu’une incidence marginale ».
L’autre
principe essentiel de l’encyclique est le rappel que « l’adhésion aux
valeurs du Christianisme est un élément non seulement utile, mais
indispensable pour la construction d’une bonne société et d’un véritable
développement humain intégral ». Plus loin, Benoît XVI plaidera pour le
« droit de cité », au sens littéral, de la religion chrétienne.
« L’exclusion de la religion du domaine public » empêche les
véritables progrès de la société. Le Pape rappelle son discours de Sydney
aux jeunes, en 2008 : « Quand Dieu est éclipsé, notre capacité de
reconnaître l’ordre naturel, le but et le ”bien” commence à s’évanouir. »
L’économie
doit être morale
Dans
cette encyclique, comme l’a remarqué Denis Sureau, « Benoît XVI
récuse le libéralisme sans pourtant jamais le nommer (pas plus qu’il ne
nomme d’ailleurs le capitalisme, le socialisme et le communisme) »[2].
Le Pape conteste l’ « autonomie de l’économie ».
Soustraire les questions économiques et financières à la sphère morale
« conduit l’homme à abuser de l’instrument économique y compris de
façon destructrice. À la longue, ces convictions ont conduit à des systèmes
économiques, sociaux et politiques qui ont foulé aux pieds la liberté de la
personne et des corps sociaux et qui, précisément pour cette raison, n’ont
pas été en mesure d’assurer la justice qu’ils promettaient ». Hors,
insiste Benoît XVI, « toute
décision économique a une conséquence de caractère moral » ;
l’activité économique « doit
viser la recherche du bien commun ».
L’encyclique
de Benoît XVI, qui se situe avec insistance dans la continuité de l’enseignement
social de Paul VI (cité 78 fois), relie trois des enseignements importants de
ce pape : Populorum progressio (1967),
Humanae
vitae (1968) et Evangelii nuntiandi (1975).
Le progrès social, moral et économique des peuples va de pair avec la défense
de la vie et l’évangélisation. Comme l’écrit le cardinal Barbarin en
présentant l’encyclique : « C’est dans la recherche de la
vérité que les hommes trouveront le moteur et le fil conducteur de leur
action. Le progrès et le développement auxquels la société travaille,
supposent une connaissance profonde de ”l’homme tout entier” et de la
création. Il est clair qu’on doit agir avec cohérence et qu’on ne peut
dissocier l’éthique sociale de celle de la vie, ou l’écologie humaine du
respect de la création. »
L’unification
de l’humanité est-elle possible ?
Une
des convictions de cette encyclique est l’idée que « l’humanité »
est « en voie d’unification ». L’idée n’est pas nouvelle, l’utopie
d’un gouvernement mondial a été soutenue par de nombreux auteurs, hommes
politiques et hommes d’influence. Loin de rejeter cette perspective, Benoît
XVI pense que les Chrétiens et l’Eglise doivent « favoriser
une orientation culturelle personnaliste et communautaire, ouverte à la
transcendance, du processus d’intégration planétaire » (§ 42). Le
Pape croit que l’interdépendance et l’interactivité, qui sont une des
caractéristiques du monde d’aujourd’hui, peuvent devenir « une
communion véritable » (§ 53). Il pense que des institutions temporelles
peuvent la favoriser. Il émet un vœu : « il est urgent que soit
mise en place une véritable Autorité
politique mondiale » (§ 67).
Le
Pape, qui ne ménage pas ses critiques à l’encontre de la mondialisation
telle qu’elle est aujourd’hui, n’en conteste pas le but. Sa vision
optimiste et évolutionniste de l’avenir de l’humanité le conduit à un
choix politique : le mondialisme.
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