Le regard de Jean Madiran sur les trente dernières années de la vie de
l’Église
- par Yves Chiron
Quant à la
messe, il y a plusieurs variétés de catholiques, et plusieurs variétés de
prêtres, d’évêques et même de cardinaux :
• ceux qui
n’acceptent que la messe traditionnelle. « Hors de la messe de saint Pie
V, il n’y a point de salut ». La formule n’est pas littérale, mais sous
une forme aussi brutale elle a eu cours et elle est encore professée ici et là.
Dans la Fraternité Saint-Pie X, longtemps on a prêché (par exemple aux enfants
des écoles qui partaient pour les vacances d’été) qu’il valait mieux ne pas
aller à la messe le dimanche si on ne pouvait pas assister à une messe selon le
rite traditionnel. Ce n’était pas un sermon d’occasion, mais un sermon répété
d’année en année. Le dit-on aussi brutalement aujourd’hui ? Je n’en sais
rien. En tout cas, depuis longtemps la FSSPX ne prêche plus selon la position
exprimée par Mgr Lefebvre en 1970 : « Si on n’a pas le choix et si le
prêtre qui célèbre la messe selon le Novus
Ordo est un prêtre digne et fidèle, on ne doit pas s’abstenir d’aller à la
messe »[1].
• en face, il
y a ceux pour qui la messe traditionnelle est un vestige d’archéologie
chrétienne. « Hors de la messe de Paul VI, il n’y a point de vie
spirituelle » pourraient-ils dire. C’était la position du P. Congar,
théologien tant estimé dans la deuxième moitié du XXe siècle : « J’ai
aimé la messe latine que j’ai célébrée pendant près de quarante ans. Mais je ne
voudrais pas y revenir. J’ai récemment assisté (et, comme prêtre, concélébré) à
une messe dite de saint Pie V, célébrée pour l’enterrement d’un ami.
Franchement, c’était pénible. L’assistance n’a pas dit un mot ; elle ne
voyait rien et n’entendait presque rien de ce que le prêtre, dos au peuple,
faisait à l’autel.[2] »
• il y a
encore les adeptes d’une voie moyenne, ceux qui, sans refuser aux autres la
messe traditionnelle, ont fait de l’assistance à la messe de Paul VI un critère
de communion ecclésiale. Leur formule pourrait être : « Sans la messe
de Paul VI, au moins une fois par an (pour la messe chrismale), point de
communion pleine et entière ».
La position de
Jean Madiran ne se ramène à aucune de celles-là – nomenclature non exhaustive.
Aux premières pages de son Histoire de la
messe interdite (fasc. 2), il écrit : « Une messe nouvelle (et
facultative) ne paraît pas impossible en principe, si elle est explicitement et
intégralement catholique, sans équivoque ni omission. Peut-être est-il vrai que
le niveau mental de l’obscurantisme et de la barbarie modernes, fermés au
spirituel et au transcendant, appelle une messe simplifiée (mais
authentique) ; une messe-digest pour une Église yankee, fille plus ou
moins émancipée de l’Église latine. On peut rêver à une application en ce sens
de la constitution conciliaire sur la liturgie ; à ce qu’aurait pu faire
Paul VI ; peut-être voulait-il le faire ; et il l’a raté. »
Dans le
dernier livre de Jean Madiran, on trouvera une chronologie des faits, citations
et déclarations relatifs à la « messe interdite » pour la période
1976-1989, chronologie entrecoupée de « récits » à forte saveur.
Dans les
années 1970, sur le sujet de la messe, tout s’est passé comme si l’épiscopat
français, à travers ses autorités, avait donné le ton aux déclarations
romaines. Le communiqué du cardinal Marty, le 28 février 1977, suite à
l’occupation de Saint-Nicolas-du-Chardonnet – Il ne s’agit pas d’une querelle à propos du latin. Il ne s’agit pas
d’abord de la messe selon le rite de Saint Pie V. il s’agit de la foi
catholique elle-même –, est repris, presque mot pour mot, par le cardinal
Poletti, vicaire de Rome, dans un communiqué en date du 5 juin suivant.
Ceux qui ne
lisent pas Jean Madiran ou qui lui prêtent de mauvaises intentions, devront
bien, un jour, reconnaître son honnêteté intellectuelle et son talent dans
l’acribie. Ses pages sur Mgr Lefebvre – p. 41 à 105 – déplairont, en certains
passages, aux « lefebvristes » et apprendront beaucoup aux autres.
Jean Madiran rappelle que le combat pour la messe traditionnelle a d’abord été
le fait des laïcs : « il a fallu attendre au moins deux ans pour
qu’il [Mgr Lefebvre] prononce une parole semi-publique contre la messe nouvelle
de Paul VI » (p. 53).
Des évêques
actuels de la FSSPX, Madiran dit avec justice – au sens traditionnel du
mot : « Ils n’ont pas la carrure de Mgr Lefebvre. Mais ils sont
évêques. Ils ont de ce fait, dans l’Église, une présence qu’on ne peut
méconnaître. Leurs propos, leur comportement, parfois ou souvent, peuvent être
jugés plus ou moins regrettables. Mais leur présence maintient de façon
militante un témoignage épiscopal contre la disparition du catéchisme romain et
contre l’interdiction ou le mépris de la messe tridentine. Sans Mgr Lefebvre et
sans ses successeurs il y aurait quand même des prêtres, des laïcs, des
instituts militant pour la messe et le catéchisme traditionnels ; il y en
a eu, il y en a en dehors de la FSSPX : sans évêques, ils seraient loin
d’avoir le même poids » (p. 62).
Le même souci,
spirituel, de justice lui fait écrire à propos de Jean-Paul II et la liturgie
traditionnelle (p.107, p. 112) et à propos de la réunion d’Assise (p. 113) des
pages qui ressemblent à une retractatio,
du moins qui portent la marque du recul que donne le temps.
Sur la
commission cardinalice secrète qui s’est réunie entre 1982-1995, « et même
au-delà », pour examiner la question de la messe traditionnelle, Jean
Madiran donne quelques précisions et attend des informations.
Pour donner
encore une idée de la manière, unique, qu’a Jean Madiran de poser le status quaestionnis, on citera cet
extrait des pages consacrées aux sacres de 1988 dans leur rapport avec la
messe traditionnelle : « Les deux thèses n’ont pas cessé d’argumenter
chacune de son côté : selon l’une, sans les sacres l’interdiction aurait
été maintenue beaucoup plus longtemps ; la thèse inverse estime que l’acte
dit schismatique de 1988 a au contraire retardé la reconnaissance officielle du
fait que la messe traditionnelle n’était pas valablement interdite :
Jean-Paul II estima qu’il valait mieux y surseoir dans cette période de
troubles et de tensions ; il en transmit la charge à son
successeur ».
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