ENTRETIEN
AVEC L’ABBE PAUL AULAGNIER
Après
la visite historique de Benoît XVI aux catholiques de France, plutôt que
d’ajouter mon commentaire à ceux déjà publiés, je crois utile de
publier le témoignage d’une des figures historiques du traditionalisme
français. Non pas seulement son témoignage sur Benoît XVI, mais son
témoignage sur l’évolution de l’Eglise durant ces dernières
décennies et sur le retour de la Tradition.
L’abbé
Paul Aulagnier a été le premier prêtre français ordonné par Mgr
Lefebvre. Il a été pendant trois ans professeur et sous-directeur au
séminaire d’Ecône. Puis, de 1976 à 1994, il a été supérieur du
District de France de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Durant ces
dix-huit années, il a fondé un nombre considérable de prieurés, de
chapelles et d’écoles, une revue et une maison d’édition. Pendant
cette période, et jusqu’en 2002, il fut Assistant général de la FSSPX.
Quand les traditionalistes brésiliens, autour de Mgr Rangel, se sont
réconciliés avec le Saint-Siège et ont obtenu, par les Accords de
Campos (2002), la création d’une Administration apostolique
personnelle, l’abbé Aulagnier a pensé que la FSSPX devait suivre la
même voie. La FSSPX, en ses instances dirigeantes, était – et reste
– opposée à un accord avec Rome.
L’abbé
Aulagnier a donc été exclu de la FSSPX. Avec d’autres prêtres issus
de cette même Fraternité sacerdotale (l’abbé Philippe Laguérie, l’abbé
Guillaume de Tanoüarn, l’abbé Christophe Héry), il a été alors un
des fondateurs de l’Institut du Bon Pasteur qui s’attache à la
célébration exclusive de la liturgie traditionnelle. Cet Institut a
été reconnu par le Saint-Siège le 8 septembre 2006.En février dernier,
par une convention passée entre le diocèse de Versailles et l’Institut
du Bon Pasteur, l’abbé Aulagnier a reçu mission de célébrer la messe
et les autres sacrements à Rolleboise.
On
lira les réponses de M. l’abbé Aulagnier à la fois comme un
témoignage et comme une prise de position.
Y.C.
Mgr
Lefebvre avait demandé à Paul VI puis à Jean-Paul II :
« Laissez-nous faire l’expérience de la Tradition ».
Peut-on dire que les Accords de Campos, la création de l’IBP, le motu
proprio du 07.07.2007 et la convention signée pour Rolleboise sont autant
de réponses à cette demande ?
Je
pense que l’on peut répondre par l’affirmative, mais en donnant des
précisions.
Mgr
Lefebvre, de fait, a toujours demandé, d’une manière pressente, aux
autorités romaines : « Laissez-nous faire l’expérience de
la Tradition ». Après le Concile du Vatican II, toutes les
expériences sont permises, tolérées, par la hiérarchie tant en
matière liturgique, qu’en matière pastorale, tant dans le domaine de
l’enseignement catéchétique que dans le domaine social et politique
… Le succès de ces expériences est loin d’être probant. Les
églises se vident. Les séminaristes quittent les séminaires, ceux qui
y restent abandonnent leur « froque », sont en quête de
nouveautés. Il faut rejeter toutes les « traditions ». J’ai
connu cela au Séminaire français de Rome … dans les années
1964-1968.
Dans
cette situation tout à fait révolutionnaire, Mgr Lefebvre, sollicité
par quelques jeunes étudiants et surtout préoccupé lui-même par la
crise sacerdotale, organise, dès 1969, un séminaire à Fribourg puis
à Ecône, dans le Valais en Suisse. C’est, alors, immédiatement,
- on peut y voir la main de la Providence -,
un franc succès… à l’échelle mondiale. Les vocations
viennent de tous les continents. Là, le sacerdoce est aimé. La sainte
liturgie antique aussi. On ne veut que celle-là ! Des maisons sont
créées, des écoles catholiques s’ouvrent. Aussi, fort de ce
succès, Mgr Lefebvre lance aux autorités de l’Eglise :
« Laissez-nous donc faire l’expérience de la
Tradition. Laissez-nous la liturgie antique de l’Eglise ».
Pour l’heure, il n’en est pas question. On cherche plutôt à
la supprimer indûment. S’y sont plus particulièrement employés ses
ex-confrères du séminaire français, des années 1925, comme le
cardinal Garonne, le cardinal Villot (rien moins que Secrétaire d’Etat),
pour ne citer que les plus connus. Et lorsque Mgr Lefebvre, à cette
époque, demande « Laissez-nous faire l’expérience de la
Tradition », c’est dans cette atmosphère très conflictuelle.
Rome n’envisage nullement de laisser faire cette expérience dans le
cadre juridique précis d’une œuvre sacerdotale, la FSSPX. Non !
Rome veut supprimer ce qui apparaît
comme un obstacle à l’ « aggiornamento conciliaire ».
Mais
le temps passe, les hommes aussi. La révolution conciliaire montre
chaque jour d’avantage son échec … Rome commence à poser un regard
nouveau sur le problème de la réforme liturgique, sur le
problème de la messe. Nous sommes en 1988, juste après les
sacres faits par Mgr Lefebvre sans l’autorisation romaine. Cette
abolition de la messe dite de Saint Pie V, raison essentielle du combat
de Mgr Lefebvre, retient enfin l’intelligence des prélats. Le
cardinal Ratzinger, soutenu par le cardinal Stickler, aujourd’hui
décédé, montre, dans plusieurs ouvrages, que cette interdiction est
injuste, anti-canonique, qu’il faut faire droit à la demande des
« traditionalistes ». En même temps, les œuvres
sacerdotales de ce « courant traditionaliste » deviennent
plus stables, plus fortes. On peut alors envisager de leur donner une
structure juridique dans le sein de l’Eglise en faisant droit à leur
légitime demande en matière liturgique.
L’année
jubilaire arrive. Nous sommes en l’an 2000.
Rome, à cette occasion, reprend contact avec les pères de
Campos au Brésil, avec les évêques de la FSSPX. Ces derniers ne
suivront pas, malheureusement. Mais
l’union des cœurs et des intelligences peut se faire avec les
pères de Campos et sur la liturgie et sur l’interprétation du
Concile. Rome leur concède une forme canonique que je considère comme
formidable. Elle leur laisse toute liberté en matière de gouvernement,
d’apostolat et de liturgie, par l’octroi d’une Administration
Apostolique. À l’intérieur de cette Administration, tous les
prêtres peuvent faire réellement « l’expérience de la
Tradition », comme Mgr de Castro Mayer le souhaitait.
Mais
vous pouvez voir la différence entre la demande de Mgr Lefebvre en 1969
et la réponse de Rome en 2002, date de la réconciliation des pères de
Campos avec Rome. Cette
expérience se fait dans un cadre légal, dans une situation apaisée.
Et c’est ainsi que toutes les communautés
« traditionalistes », la FSSP, l’Institut du Christ
Roi, la communauté de Chemeré-le-Roi, la monastère de Dom Gérard …
obtiennent, à des temps
historiques différents et d’une manière différente, et un statut
canonique et le droit légitime à l’usage de tous les sacrements dans
leur forme ancienne. « Laissez-nous faire l’expérience de la
Tradition », le « slogan » de Mgr Lefebvre, hier,
devient pour beaucoup une réalité. Il a fallu attendre près de
quarante ans pour obtenir cela. Grâce à la détermination de Mgr
Lefebvre. Il faudra bien qu’il soit un jour sur les autels … C’est
aussi ce qu’a obtenu, en 2006, l’Institut du Bon Pasteur : l’usage
exclusif de la messe tridentine ... À nous aussi est donnée cette
liberté … encore que notre liberté d’action soit bien moins grande
que celle des pères de Campos dans leur Administration Apostolique. Car
autre est une Administration Apostolique,
autre un simple Institut de droit pontifical. Nos implantations -
mais non point notre droit à la liturgie « ancienne », la
nuance est capitale -
sont dépendantes de l’autorité de l’ordinaire du lieu, l’évêque,
alors qu’il suffit à l’autorité d’une Administration Apostolique
d’avertir l’évêque résidant d’une nouvelle création ou
fondation …Vous pouvez mesurer la différence. C’est ce qu’on
appelle l’exemption. Pour moi, cette structure
est essentielle au retour de l’ordre ecclésial. Peu d’évêques
pensent ainsi… Mais c’est à cette seule condition que l’expression
de Mgr Lefebvre « laissez-nous
faire l’expérience de la Tradition » prendra toute sa valeur et
sa portée. Voilà ce que Mgr Fellay devrait demander à Rome. C’est
bien plus important que de vouloir débattre sur la doctrine, comme il
semble toujours le vouloir. Dans une « guerre », occuper le
terrain est plus important que « palabrer ». Ne croyez-vous
pas que la réforme de Cluny triompha grâce à l’exemption des moines
vis-à-vis des évêques
résidants ? Vous qui êtes historien, vous pourriez, je pense, le
confirmer.
Et
c’est alors que, comme pour couronner ces trente-six années de combat
et de conflit liturgique, Benoît XVI publie, le 7 juillet 2007, le Motu
Proprio Summorum Pontificum reconnaissant le droit et la
légitimité de la célébration du rite tridentin dans l’Eglise, pour
chaque prêtre, sans autre autorisation particulière à demander. Il
donne la paix à l’Eglise en matière liturgique et demande aux
évêques : « laissez donc faire l’expérience de la
Tradition » même pour vos prêtres diocésains. Il faudra certainement du temps pour que les choses se
fassent ainsi, mais le principe est affirmé. C’est l’essentiel. Le
reste est de l’accidentel. J’attends avec beaucoup d’impatience le
jour où Benoît XVI, lui-même, à Rome, « ad caput »,
célébrera cette messe dans ce rite. Cela viendra bien.
À
Rolleboise, avec le titre de vice-chapelain, vous avez pour mission de
« célébrer une messe dominicale et la messe quotidienne selon le
missel extraordinaire », de célébrer les autres sacrements et d’enseigner
le catéchisme. Le village compte 400 habitants. Qui vient à cette messe
dominicale ?
Répondre
à cette question m’oblige à faire allusion à un petit drame. Les
gens qui viennent à Rolleboise, vivre de cette messe tridentine,
écouter les sermons, suivre les catéchismes… sont pour la plupart,
du moins à l’origine, des fidèles de la FSSPX qui allaient tout
près de là, en l’église d’un petit village, près de
Mantes-la-Jolie, à Jouy Mautvoisin. Cette église a été pendant de
longues années desservie par les prêtres du prieuré Saint-Jean, de la
FSSPX. Le diocèse l’ayant
quasiment abandonnée, un groupe de fidèles catholiques, organisé en
association loi 1901, avec l’aide substantielle de la municipalité,
la restaure. Ils avaient, dès lors, la libre gestion et de l’église
et de l’association. Ils en assuraient la présidence. Mais ils ne
souhaitaient qu’une chose : voir les prêtres de la FSSPX
continuer leur ministère.
Malheureusement, en mal d’autorité, le prieur voulut, un jour,
prendre la présidence. Il s’y est mal pris. Ses supérieurs n’ont
pas dû voir le danger. Ce fut le conflit. Une procédure s’en suivit,
diligentée, tenez-vous
bien, par le prieur.
Il obtint gain de cause. Certains fidèles bien
légitimement, ceux qui assuraient l’administration de l’association,
se sont retirés. Ils se sont réfugiés dans une grange, chez une
personne amie. M l’abbé de Tanouärn de l’IBP les a pris en pitié.
J’ai proposé mes services. Le Motu Proprio est arrivé. D’autres
fidèles de la région de Bonnières, toute proche, les rejoignent. Ils
entretiennent de bons contacts avec leur curé. Mes relations avec Mgr
Aumonier - je le connais
depuis 1964 au séminaire français -
permirent de trouver rapidement une solution. Une convention est
signée entre le diocèse de Versailles et l’Institut du Bon Pasteur.
La convention a été signée le premier dimanche de l’Avent 2008
jusqu’à la fin août. Elle vient d’être renouvelée.
Vous
n’êtes donc pas tenu de célébrer la nouvelle messe ni de
concélébrer ?
Je
ne suis tenu ni à célébrer la nouvelle messe, ni à concélébrer. Je
le refuserais du reste. Je veux bien, par contre, assister à la messe
chrismale pour montrer l’unité du « presbyterium » autour
de l’évêque. En matière liturgique, je reste en effet toujours
attaché à la position de Mgr Lefebvre et à la position du cardinal
Ottaviani exprimée dans sa lettre de présentation à Paul VI du Bref
examen critique : « Toujours les sujets, pour le bien
desquels est faite la loi, ont eu le droit et plus que le droit, le
devoir, si la loi se révèle tout au contraire nocive, de demander au
législateur, avec une confiance filiale, son abrogation. C’est
pourquoi nous supplions instamment Votre Sainteté de ne pas vouloir que
– dans un moment où la pureté de la foi et l’unité de l’Eglise
souffrent de si cruelles lacérations et des périls toujours plus
grands, qui trouvent chaque jour un écho affligé dans les paroles du
Père commun – nous soit enlevée la possibilité de continuer à
recourir à l’intègre et fécond Missel romain de saint Pie V, si
hautement loué par Votre Sainteté et si profondément vénéré et
aimé du monde catholique tout entier ».
Ce
n'est pas au moment où le droit à l’usage de la messe «
tridentine » est enfin légalement reconnu que je vais célébrer
la nouvelle messe. Elle reste, pour moi, toujours équivoque. Elle
favorise toujours l’hérésie protestante. Tant qu’elle sera
célébrée « telle qu’elle » dans l’Eglise, il est vain
d’espérer une restauration du sacerdoce, il est vain d’espérer, malgré tous les appels, les prières, un
retour de la jeunesse dans les séminaires. Pour monter « à l’autel
de Dieu », il faut un idéal fort, il faut une compréhension du
vrai sacerdoce catholique. Il faut que soit rappelée la distinction
essentielle entre le sacerdoce des fidèles et le sacerdoce
hiérarchique. Or le rite nouveau, ce rite « moderne » pour
s’exprimer comme Mgr Gamber, - expression que j’aurais préféré
rencontrer dans le § 1 du Motu Proprio de Benoît XVI - entretient
toujours la confusion du sacerdoce des fidèles d’avec le sacerdoce
ministériel. Il faut une réelle confession de la sainte Eucharistie,
du saint sacrifice propitiatoire de la Croix, renouvelé sur l’autel.
Ce sacrifice, son actualité, est la raison du prêtre. C’est pourquoi
il faut nécessairement procéder à la « réforme de la
réforme ». Cette
idée est celle de Benoît XVI. Il en a très souvent parlé alors qu’il
était encore cardinal. Je prie pour que la Providence lui laisse le
temps de mener à bien cette œuvre. Il s’y emploie par petites
touches successives mais certaines : la restauration du latin, la
célébration face à l’Orient, ou du moins face à la croix, la
communion sur les lèvres, à genoux, par les mains du prêtre… Tout
cela est important et montre le chemin à suivre... Voilà aussi une des
raisons du retour de la messe tridentine dans l’Eglise.
Vous
participez, néanmoins, aux réunions du doyenné comme le prévoit la
convention. Comment le clergé du diocèse a-t-il accueilli l’ « expérience »
de Rolleboise ?
Je
dois participer en effet, aux différentes réunions des prêtres du
diocèse. Je suis, de fait, invité à participer aux réunions du
doyenné. Elles sont régulières. Le doyen est très
« ouvert ». Mais certains de ses confrères sont plus
« craintifs » et lui ont demandé d’aller doucement.
Alors, pour l’instant, je suis invité à prendre part seulement au
repas… Certains, me dit-on, seraient gênés, pour les discussions,
par ma présence… Alors tel prêtre du doyenné m’invite à sa table
pour faire meilleure connaissance. Je ne fus invité, pour l’instant
qu’une fois… Je pense
qu’il faut aller doucement. C’est « eux » qui sont
un peu craintifs. Moi, je suis prêt à participer à toutes leurs
réunions.
Si
donc les contacts avec les prêtres du doyenné sont encore timides, par
contre, j’ai les meilleures relations avec mon
« chapelain », le curé de Bonnières. Il est très
délicat, attentif, respectueux de notre communauté, désireux de
répondre positivement à nos demandes légitimes. Lorsqu’il vient dire la messe, dans le cadre de la
convention, en tant que chapelain, il ne célèbre que la messe
tridentine. Il la dit mieux que moi. Il faut dire qu’il passa quatre
ans au séminaire d’Ecône…
Mgr
Aumonier m’a très gentiment reçu dans son diocèse. Nous sommes de
« vieux » amis du Séminaire français. Des amis intimes…Nous
étions, à l’époque, très proches sur bien des
points. Il a un peu évolué… Je lui ai demandé dernièrement
s’il voulait bien me donner le titre plein et entier de chapelain. J’ai
argumenté en utilisant le droit canon… Par l’intermédiaire de son
vicaire épiscopal, il m’a fait savoir qu’il préférait le statu
quo… ce statut canonique devant régler un autre problème sur son
diocèse. Je m’en contente donc d’autant plus que le curé de
Bonnières est intelligent et agit avec beaucoup de délicatesse… Mais
on peut dire que ce ne sont pas, malgré tout, « les grands
amours ». On sent qu’ils craignent un
peu. Ce n’est pas encore demain que les instituts sacerdotaux
dépendant de la Commission Ecclesia Dei auront
des « paroisses personnelles » avec le droit
strict et exclusif de la messe tridentine. Je crois réellement qu’il
faut patienter… Toutefois le mouvement vers le retour à la messe
tridentine est aujourd’hui inéluctable.
Quel
regard portez-vous sur la situation actuelle de la FSSPX et la position de
ses responsables (je pense aux récentes déclarations de Mgr Fellay et de
Mgr Tissier de Mallerais) ?
Je
trouve mes confrères très durs, trop durs. Il est tant qu’ils
« normalisent » leur situation avec Rome. Je pense que le
grand succès de la visite du Pape à Paris les fera réfléchir. Ils ne
peuvent pas se maintenir en marge de ce grand courant ; ils ne
peuvent pas s’isoler. Ce serait terrible. Ils trahiraient Mgr Lefebvre
et tout son combat qui est un combat d’Eglise, pour l’Eglise.
Les
évêques de la FSSPX, auxquels je reste attaché, me paraissent trop
catégoriques. Les déclarations de Mgr Tissier de Mallerais au magazine
américain The Angelus sont
manifestement excessives. Elles viennent d’être repris dans le
dernier numéro de Fideliter. Et tout ce qui est excessif est
sans valeur. Le discours de Mgr Fellay, à Saint Malo, le 15 août
denier, est également trop brutal. L’un et l’autre attaquent de
front. Mgr Lefebvre n’agissait pas ainsi. Il défendait une tradition,
la tradition catholique, Il défendait la doctrine catholique, la sainte
messe, la sainte liturgie. Il rappelait la doctrine du catéchisme, il
rappelait l’enseignement du Christ-Roi en citant les encycliques de
Léon XIII, de saint Pie X, de Pie XI, de Pie XII. C’était l’enseignement
qu’il donnait aux séminaristes. Il ne s’agissait pas d’attaques
personnelles contre les papes. Là, Mgr Tissier de Mallerais et Mgr
Fellay sont redoutables.
Pour l’un, Benoît XVI est le pire des modernistes, pour l’autre, le
pire des libéraux. Un peu de mesure ! Tout de même.
Nous
n’avons rien entendu de tel ni dans le discours du Pape aux
Bernardins, ni dans son discours
devant la foule immense réunie aux Invalides. Aux Bernardins, il a fait
l’apologie de la civilisation chrétienne, œuvre essentiellement bénédictine.
Son insistance sur le « quaerere Deum » fut
particulièrement heureuse et sa conclusion sur l’ « objectivité »
de cette recherche de Dieu et sa nécessité montre la légèreté de la
critique de Mgr Tissier de Mallerais. Le « subjectivisme »,
caractéristique du modernisme, n’est pas du côté que l’on
croit ! Aux Invalides, sa présentation du sacerdoce, de la messe,
de la présence réelle, du chant grégorien, son appel à la vocation
sacerdotale à ces milliers de jeunes auraient plu à Mgr Lefebvre.
Pourquoi continuer à se « braquer » ? Pourquoi ne pas
s’ouvrir un peu ? Pourquoi ne pas remarquer le changement ?
Est-ce par fidélité ? Elle serait mal comprise ! J’aurais
envie de leur dire : Ne faites pas du « lefébvrisme ».
La
FSSPX parlait jadis de son « ministère de suppléance ».
Désormais, dans le bulletin de Saint-Nicolas de Chardonnet par exemple,
est employée l’expression de « ministère critique ». Qu’en
pensez-vous ?
Je
trouve cette expression particulièrement malheureuse et surtout grave.
On s’éloigne ainsi de la pensée de Mgr Lefebvre et de son mode d’agir.
Comme je vous l’ai dit, tout à l’heure, Mgr Lefebvre ne voulait
donner de leçons à personne. Dans cette agitation conciliaire, une
vraie révolution, Mgr Lefebvre voulait garder un trésor, le trésor de
l’Eglise. Il agissait en évêque, en vrai confesseur de la foi.
Face
à la destruction du sacerdoce, il rappelait la doctrine sacerdotale. Il
la puisait dans les encycliques de saint Pie X, dans la vie du Curé d’Ars,
dans les œuvres et les auteurs de l’Ecole française, dans les
ouvrages de M. Olier, du cardinal de Bérulle. Un des
« disciples » de Mgr Lefebvre, M. l’abbé Troadec, a eu le
mérite de réunir un ensemble de textes de Mgr Lefebvre sur ce sujet.
Et c’est très bon. Dans aucune de ces pages, que j’ai lues pendant
ces vacances, Mgr Lefebvre n’usurpe « un ministère », un
« ministère critique ». Mgr Lefebvre n’exerce aucune
censure. Il enseigne. Il édifie. Il construit.
Face
à la diminution grave du clergé, il construit concrètement,
réellement, des séminaires. Il parcourt la France, le monde entier. Sa
parole, sa doctrine, sa douceur, sa personnalité attirent la jeunesse.
Un peu comme Benoît XVI ! Il se serait confiné en
« critiques », il n’aurait pas rempli le moindre
séminaire…
Face
à la révolution libérale, au relativisme qui conduit la jeunesse vers
un nihilisme destructeur, il rappelle, là aussi, la doctrine
catholique, l’absolu de la doctrine catholique, l’absolu de l’appel
du Christ et de sa Loi. Les discours actuels du Pape Benoît XVI lui
ressemblent beaucoup. Il n’y a là rien de négatif, rien de
pessimiste.
Vraiment
l’expression est malheureuse. Ce n’est pas avoir connu Mgr Lefebvre,
ni l’avoir entendu que de parler, pour lui et son œuvre, de
« ministère critique ». Mgr Lefebvre était essentiellement
joyeux, positif. Un vrai bâtisseur comme le fut Mgr Lefebvre toute sa
vie, tant en Afrique qu’en Europe, conjugue les vertus de prudence, d’espérance
et de force. Voilà mon point de vue.
Propos
recueillis par Yves Chiron |