«Frère
Roger est formellement catholique» - Le
cardinal Kasper ne le dit plus - par
Yves Chiron
Le
jour des obsèques de Jean-Paul II, le cardinal Ratzinger avait donné la
communion catholique à Frère Roger, déjà très affaibli. L’image
avait stupéfait les journalistes présents – j’en ai eu des témoignages
directs – parce que tout le monde croyait le fondateur de Taizé encore
protestant.
Plusieurs
des cardinaux présents avaient été étonnés d’une telle communion
catholique. Interrogé après la cérémonie par le cardinal Barbarin,
archevêque de Lyon, le cardinal Kasper, en charge de l’œcuménisme à
Rome, avait répondu : « Frère Roger est formellement
catholique ». L’expression m’avait été rapportée par Mgr Séguy,
ancien évêque d’Autun. Elle m’a été confirmée par un des intéressés,
le cardinal Barbarin, dans une lettre.
La
communion catholique de Frère Roger n’avait pas étonné Mgr Séguy
puisque c’est son prédécesseur, Mgr Le Bourgeois, qui avait donné,
pour la première fois, la communion catholique à Frère Roger en 1972.
Cette communion, le fondateur de Taizé l’a reçue ensuite de manière
continue, jusqu’à sa mort, et n’a plus communié à la cène
protestante qui continuait à être célébrée à Taizé en parallèle à
la messe catholique.
Mais
cette communion catholique de Frère Roger restait inconnue de nombre de
catholiques, de nombre de cardinaux, de nombre d’évêques. La preuve :
la demande étonnée du cardinal Barbarin en 2005.
Quand,
il y a deux ans, j’ai évoqué la « conversion » de Frère
Roger dans Aletheia – article relayé par le Monde –, la
tempête médiatique a été considérable (des centaines d’articles en
France et à l’étranger). Taizé a opposé un démenti, un évêque a
cru nécessaire de faire une déclaration (plutôt méprisante à mon
encontre).
La
biographie de Frère Roger que j’ai publiée, il y a quelques mois,
a approfondi la question en apportant des éléments dont certains étaient
inédits : son grand-père séminariste catholique avant de passer à
l’Eglise vieille-catholique puis à l’Eglise réformée ; sa
confession habituelle à un prêtre catholique depuis la fin des années
50 ; son approfondissement continu du mystère de l’Eucharistie
catholique ; sa communion exclusivement catholique à partir de 1972 ;
sa reconnaissance, à partir de la même époque, de la nécessité du
« ministère d’unité » du Pape.
Taizé
a ignoré ce livre. La Croix l’a
censuré. En revanche de nombreux bulletins diocésains, de nombreux sites
internet diocésains, les réseaux de librairies catholiques, plusieurs
titres de la presse protestante, une partie de la presse catholique
l’ont accueilli favorablement.
L’Osservatore
romano,
dirigé désormais par l’historien italien Giovanni Maria Vian, publie
un long entretien avec le cardinal Kasper sous le titre : « Roger
Schutz, le moine symbole de l’œcuménisme spirituel ».
Le
cardinal Kasper rappelle ses liens étroits avec Frère Roger. Il rappelle
qu’il a « présidé la liturgie de ses obsèques dans la grande église
de la réconciliation à Taizé ». Le journaliste interroge le
cardinal : « Que penser de l’expression selon laquelle Frère
Roger serait devenu “formellement“ catholique ? ».
Le
journaliste, qui connaît bien son sujet, fait clairement référence à
la réponse donnée le jour des obsèques de Jean-Paul II. Cette fois, le
cardinal Kasper répond plus longuement. Pour ne pas trahir la pensée du
président du Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des Chrétiens,
voici le passage en son entier :
Au
fil des années, la foi du prieur de Taizé s’est progressivement
enrichie du patrimoine de foi de l’Eglise catholique. Selon son propre témoignage,
c’est bien en référence au mystère de la foi catholique qu’il
comprenait certaines données de la foi, comme le rôle de la Vierge Marie
dans l’histoire du salut, la présence réelle du Christ dans les dons
eucharistiques et le ministère apostolique dans l’Eglise, y compris le
ministère d’unité exercé par l’Evêque de Rome. En réponse, l’Eglise
catholique avait accepté qu’il communie à l’eucharistie, comme il le
faisait chaque matin dans la grande église de Taizé. Frère Roger a reçu
également la communion à plusieurs reprises des mains du Pape Jean-Paul
II, qui s’était lié d’amitié avec lui depuis le temps du Concile
Vatican II et qui connaissait bien son cheminement dans la foi catholique.
En ce sens, il n’y avait rien de secret ou de caché dans l’attitude
de l’Eglise catholique, ni à Taizé ni à Rome. Au moment des funérailles
du Pape Jean-Paul II, le Cardinal Ratzinger n’a fait que répéter ce
qui se faisait déjà avant lui dans la Basilique Saint-Pierre, du temps
du défunt Pape. Il n’y avait rien de nouveau ou de prémédité dans le
geste du Cardinal.
Dans
une allocution au Pape Jean-Paul II, dans la Basilique Saint-Pierre, lors
de la rencontre européenne de jeunes à Rome en 1980, le prieur de Taizé
décrivit son propre cheminement et son identité de chrétien par ces
mots : « J’ai trouvé ma propre identité de chrétien en réconciliant
en moi-même la foi de mes origines avec le mystère de la foi catholique,
sans rupture de communion avec quiconque ». En effet, frère Roger
n’avait jamais voulu rompre « avec quiconque », pour des motifs qui étaient
essentiellement liés à son propre désir d’union et à la vocation œcuménique
de la communauté de Taizé. Pour cette raison, il préférait ne pas
employer certains termes comme « conversion » ou adhésion « formelle
» pour qualifier sa communion avec l’Eglise catholique. Dans sa
conscience, il était entré dans le mystère de la foi catholique comme
quelqu’un qui grandit, sans devoir « abandonner» ou « rompre » avec
ce qu’il avait reçu et vécu avant. On pourrait discuter longuement du
sens de certains termes théologiques ou canoniques. Par respect du
cheminement dans la foi de frère Roger, toutefois, il serait préférable
de ne pas appliquer à son sujet des catégories qu’il jugeait lui-même
inappropriées à son expérience et que d’ailleurs l’Eglise
catholique n’a jamais voulu lui imposer. Là encore, les paroles de frère
Roger lui-même devraient nous suffire.
On
ajoutera, justement, une parole de Frère Roger. Lors d’une commémoration
à Cluny (proche de Taizé), le Père Abbé d’une abbaye bénédictine
bien connue avait interrogé frère Roger : « Combien y a-t-il
de frères catholiques dans votre communauté ? ». Le fondateur
de Taizé avait répondu : « Nous sommes tous catholiques, à
part un ou deux vieux frères protestants ».
C’est
le Père Abbé qui m’a rapporté cette réponse. Taizé refuse le mot de
« conversion », le cardinal Kasper aussi. Mais le qualificatif
« catholique » doit-il être refusé aussi et fait-il partie
de ces « catégories inappropriées » dont parle le cardinal
Kasper?
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