Quatre
anniversaires et un Non possumus - par Yves Chiron
Il
y a cinquante ans, en 1958, s’achevait le pontificat de Pie XII
et commençait celui de Jean XXIII, pontificat de transition, de rupture
(dans la méthode) et de continuité (dans le fond) ; Jean XXIII n’était
pas un libéral.
Il
y a quarante ans, en 1968, la France connaissait un psychodrame
estudiantin puis social qui ouvrait la voie à une mutation radicale des
esprits, des mentalités et des comportements tandis que, dans l’été
suivant, Paul VI s’attachait, selon son expression, à « réaffirmer,
confirmer les points capitaux de la foi de l’Eglise », en proclamant un
Credo du peuple de Dieu de forme très traditionnelle et que, par
l’encyclique Humanæ vitæ, il n’hésitait pas à « heurter de
plein fouet ”la conscience collective de l’humanité” en son état
actuel d’aveuglement et d’autosuffisance. » (selon l’expression de
Jean Madiran).
Il
y a trente ans, en 1978, s’achevait le pontificat de Paul VI,
pape du dialogue, de l’achèvement du concile Vatican II et de sa mise
en application, et commençait celui de Jean-Paul II, pape anti-moderne,
qui emprunta, lui aussi, la voie du dialogue et commença l’œuvre de dépassement
qui caractérise le pontificat de son successeur.
Il
y a vingt ans, en 1988, Mgr Lefebvre consacrait, sans mandat
pontifical, quatre évêques. Il le faisait, en arguant de « l’état de
nécessité » : dans une Eglise battue par la tempête (l’image est de
Paul VI, reprise par Benoît XVI), il jugeait nécessaire une « opération-survie
» pour assurer la continuité de son œuvre, toute dédiée à préserver
le sacerdoce et la messe traditionnelle.
Vingt
ans après cette rupture du fondateur de la FSSPX, les circonstances ont
changé. L’ « état de nécessité » est-il toujours le même ? Benoît
XVI, dans un discours très important, a plaidé pour « une juste interprétation
du concile » et a rejeté l’ « herméneutique de la discontinuité et
de la rupture » qui s’est répandue jusque dans la théologie (Discours
à la Curie, le 22.12.2005). Puis, il a restauré solennellement le droit
d’existence de la messe traditionnelle (motu proprio du 7.7.2007).
Ces
deux actes majeurs du pontificat de Benoît XVI ne paraissent pas
suffisants au Supérieur général de la FSSPX pour permettre une réconciliation
avec Rome. Le 14 avril dernier, Mgr Fellay a fait connaître les raisons
pour lesquelles la FSSPX « ne peut pas “signer d’accord“ ». Il
l’a dit, non dans un document officiel ou une déclaration solennelle,
mais dans une « Lettre aux amis et bienfaiteurs » publiée régulièrement
(c’est la 72e). Le Monde, dans un article d’Henri
Tincq, et La Croix, dans un article de Jean-Marie Guénois, parus
le même jour, qualifient en des termes identiques la position de Mgr
Fellay : « une fin de non-recevoir ». Henri Tincq est plus violent,
comme d’habitude, en parlant de « déclaration de guerre contre le pape
et Rome ».
L’erreur
d’interprétation est flagrante : il ne s’agit pas d’une « déclaration
de guerre », ou d’une « nouvelle étape dans le contentieux », comme
l’écrit Jean-Marie Guénois, mais d’une position d’attente. Sans
ajouter d’autres commentaires à la position exprimée par Mgr Fellay,
je crois utile de faire connaître l’analyse qu’en a faite l’abbé
Guillaume de Tanoüarn, un des fondateurs de l’Institut du Bon Pasteur.
L’analyse
de M. l’abbé Guillaume de Tanoüarn :
J'ai
écrit que la FSSPX ne devait pas se presser de signer. Signer pour
signer n'a pas de sens. Signer quoi ? Pour aller où ? Il faut pouvoir
être fier de ce que l'on signe avec le Père commun des fidèles (comme
je l'ai été et le suis moi même), ou alors cette signature n'est
qu'un chiffon de papier, qui vous met en danger. Signer un chiffon de
papier qui engendrerait la division et l'auto-destruction de la FSSPX,
cela ne constitue en rien une solution. Par ailleurs, pour être capable
de signer un véritable accord, il faut savoir et faire savoir où l'on
va. Et pas se référer à des événements qui ont quinze ans. Pas
reprendre en boucle un discours que l'on n'a pas revu (ou retravaillé)
depuis quinze ans. Comme si rien n'avait changé.
Lorsqu'on
entend, venant de la FSSPX ou de ses amis (dont je fais partie) : le
moment n'est pas encore venu de signer, cette expression peut être
prise en deux sens.
Soit
: il n'est pas temps de signer, parce que Rome n'est pas allé assez
loin dans la Restauration. Et je pense que ce motif est lâche et qu'il
conduit à reporter le souci de l'unité de l'Eglise après la parousie.
il y aura forcément toujours une raison d'ici là pour dire que cela va
mal et rester dehors.
Soit
encore, en un sens tout différent : il n'est pas temps de signer parce
que la FSSPX n'a ni l'unité interne ni la force nécessaire pour
affronter immédiatement une telle mutation. En signant trop vite (quoi
? pour aller où ?) elle risque d'exploser en vol, pour le plus grand
malheur de toute la chrétienté. Le combat est difficile. Les épiscopats
ne souhaitent pas forcément pratiquer la vertu d'accueil. Un bon accord
est un accord qui se signe en force. Il faut que la FSSPX résolve
d'abord des difficultés internes. Elle doit le faire petit à petit, en
soutenant résolument, au jour le jour, tout ce qui, dans l'action
providentielle de Benoît XVI, demande à être soutenu.
[…]
la
FSSPX doit s'engager pour l'Eglise et pas seulement en lançant des
campagnes du Rosaire, mais en faisant tout ce qui est en elle, en
s'exposant comme s'exposait Mgr Lefebvre, en soutenant le pape, dont
certains textes sur l'œcuménisme aux Etats-Unis sont simplement
magnifiques, dont certains textes sur la liberté religieuse sont très
éclairants.
(Le
Forum catholique, 25 avril 2008).
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