Benoît
XVI et les sciences historiques
Le
18 août 1883, Léon XIII publiait un très important Bref, De studiis
historicis (« Sur les Etudes historiques »), qui
peut-être considéré comme la charte des historiens catholiques. Le
même jour, il créait une Commission cardinalice pour les études
historiques. Cette Commission aura son prolongement dans le Comité
Pontifical des Sciences Historiques institué par Pie XII, le 7
avril 1954. Le 7 mars dernier, Benoît XVI a accordé une audience aux
membres de ce Comité. Il a prononcé, en cette occasion, un important
discours qui prolonge les enseignements de Léon XIII.
Le
Pape y considère aussi les études historiques, notamment d’histoire
ecclésiastique, confrontées à ce qu’on pourrait appeler une
« crise de l’histoire ». Les agences d’informations n’ont
cité que quelques extraits de cet important discours. Il n’est pas sûr
que la Documentation catholique le publie. Aussi, je crois utile d’en
proposer une traduction intégrale.
Y.C.
Je
suis heureux de vous adresser une parole spéciale de salut et d’encouragement
pour le travail que vous faites dans un domaine de grand intérêt pour l’Eglise.
Je félicite votre Président et chacun d’entre vous pour le chemin
parcouru en ces années.
Comme
vous le savez, c’est Léon XIII qui, face à une historiographie
marquée par l’esprit de son temps et hostile à l’Eglise, a prononcé
la fameuse phrase : « Nous n’avons pas peur de rendre publics
les documents » et a rendu accessibles aux chercheurs les Archives
du Saint-Siège. En même temps, il créait une Commission cardinalice
pour la promotion des études historiques que vous, professeurs, pouvez
considérer comme à l’origine du Conseil Pontifical des Sciences
Historiques dont vous êtes membres. Léon XIII était convaincu que les
recherches et la description de l’histoire authentique de l’Eglise ne
pouvaient qu’être favorables à celle-ci.
Depuis,
le contexte culturel a connu un profond changement. Il ne s’agit plus
seulement d’affronter une historiographie hostile au christianisme et à
l’Eglise. Aujourd’hui l’historiographie elle-même traverse une
crise des plus sérieuses, elle doit lutter pour sa propre existence dans
une société imprégnée de positivisme et de matérialisme.
Ces
deux idéologies ont mené à un enthousiasme effréné pour le progrès
qui, animé par des découvertes spectaculaires et des succès techniques,
malgré les expériences désastreuses du siècle passé, détermine la
conception de la vie de vastes secteurs de la société. Le passé
apparaît, ainsi, seulement comme un fond obscur, sur lequel le présent
et l’avenir resplendissent avec des promesses trompeuses. À cela est
encore liée l’utopie d’un paradis sur la terre, au mépris du fait
que cette utopie a montré combien elle était fallacieuse.
Le
désintérêt pour l’histoire est typique de cette mentalité et se
traduit par la marginalisation des sciences historiques. Lorsque ces
forces idéologiques sont actives, la recherche historique et l’enseignement
de l’histoire, à l’université et dans les écoles à tous niveaux,
viennent à être négligés. Cela produit une société qui, oublieuse de
son propre passé et donc dépourvue des critères acquis par l’expérience,
n’est plus en mesure d’envisager une vie en commun harmonieuse et un
travail commun pour la réalisation des objectifs futurs. Une telle
société se présente particulièrement vulnérable à la manipulation
idéologique.
Le
danger croît toujours plus par la place excessive donnée à l’histoire
contemporaine, surtout quand les recherches dans ce domaine sont
conditionnées par une méthodologie inspirée du positivisme et de la
sociologie. On en vient à ignorer, aussi, des domaines importants de la
réalité historique, voire même des époques entières. Par exemple,
dans de nombreux programmes d’étude, l’enseignement de l’histoire
commence seulement à partir des événements de la Révolution
française. Le résultat inévitable d’une telle évolution est une
société ignorante de son propre passé ; elle se trouve, ainsi,
privée de mémoire historique. Qui ne voit la gravité d’une
conséquence semblable : comme la perte de la mémoire entraîne chez
l’individu la perte de l’identité, de manière analogue ce
phénomène se vérifie pour la société dans son ensemble. Il est
évident qu’un tel oubli de son histoire comporte un danger pour l’intégrité
de la nature humaine dans toutes ses dimensions. L’Eglise, appelée par
Dieu Créateur à remplir son devoir de défendre l’homme et son
humanité, est attachée à une culture historique authentique, à un
progrès effectif des sciences historiques. La recherche historique à un
niveau élevé rentre, en effet, au sens le plus strict, dans l’intérêt
spécifique de l’Eglise. Même lorsqu’il ne s’agit pas de l’histoire
proprement ecclésiastique, l’analyse historique concourt quand même à
la description de cet espace vital dans lequel l’Eglise a exercé et
exerce sa Mission au long des siècles. Incontestablement la vie et l’action
de l’Eglise sont toujours déterminées, facilitées ou rendues plus
difficiles par les divers contextes historiques. L’Eglise n’est pas de
ce monde, mais elle vit dans ce monde et pour ce monde.
Si
maintenant nous prenons en considération l’histoire ecclésiastique du
point de vue théologique, nous relevons un autre aspect important. Sa
tâche essentielle se révèle être en effet la mission complexe de
chercher à connaître et à clarifier ce processus de
réception et de transmission, de paralépsis et de paràdosis,
par lequel, au cours des siècles, s’est matérialisée la raison d’être
de l’Eglise. Il ne fait pas de doute, en effet, que l’Eglise peut
tirer son inspiration pour ses choix en puisant dans son trésor
pluriséculaire d’expériences et de mémoires.
Je
désire donc, illustres membres du Conseil Pontifical des Sciences
Historiques, vous encourager de tout cœur à vous engager, comme vous l’avez
fait jusqu’ici, au service du Saint-Siège pour la réalisation de ces
objectifs, et à maintenir votre continuel et méritoire engagement dans
la recherche et l’enseignement. Je souhaite que, en synergie avec l’activité
de vos autres collègues sérieux et compétents, vous puissiez
réussir à poursuivre avec efficacité les objectifs les plus difficiles
que vous vous êtes fixés et à œuvrer pour une science historique
toujours plus authentique.
Avec
ces sentiments, je vous assure, pour vous et votre délicate mission, une
place dans ma prière, et à tous j’accorde une spéciale Bénédiction
apostolique.
(traduction
Yves Chiron) |