Le
nouveau « pape noir » : le R.P. Adolfo Nicolas
Le
samedi 19 janvier, en fin de matinée, la 35e Congrégation Générale
de la Compagnie de Jésus réunie à Rome, a élu un successeur au R.P.
Kolvenbach, Préposé Général démissionnaire pour raison de santé. La
Congrégation, qui n’a pas achevé ses travaux, a réuni, autour du P.
Kolvenbach, 225 délégués.
L’origine
de ces 225 délégués montre bien que le centre de gravité de la
Compagnie de Jésus a basculé hors d’Europe : 18 délégués
viennent d’Afrique, 40 d’Amérique Latine, 64 d’Asie et
d’Australie, 69 d’Europe et 34 des Etats-Unis.
Les
Européens ne représentent plus qu’environ un quart des 22.000 Jésuites
que compte la Compagnie (elle comptait 35.000 membres au début des années
1960). La Province de France, dirigée par le P. Dumortier, rassemble 27
petites communautés en France métropolitaine et 7 communautés extérieures
(une au Maroc, trois en Algérie, une en Grèce, une sur l’île Maurice
et une à La Réunion) rattachées à la Province de France. On est loin
de l’époque où les Jésuites de France étaient répartis en six
Provinces. Le noviciat de l’unique Province française, désormais situé
à Saint-Didier-du-Mont-d’Or, près de Lyon, compte six novices (dont
une fille, car le noviciat est mixte).
Sans
en faire la seule caractéristique de la Compagnie de Jésus, on
rappellera que ces dernières années, trois théologiens jésuites ont
fait l’objet de notifications de la Congrégation pour la doctrine de la
Foi pour leurs écrits erronés en matière de christologie (le P. Jacques
Dupuis en 2001, le P. Roger Haight en 2004, le P. Jon Sobrino en 2006) et
qu’un quatrième, le P. Peter C. Phan, a reçu, en 2006, de la part de
la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et, en 2007, de la part de la
Commission doctrinale de la Conférence épiscopale américaine, des
exhortations à s’expliquer sur plusieurs points litigieux de ses écrits.
Sans
que leurs noms soient cités, la tendance hétérodoxe qu’ils représentent
suscite de l’inquiétude. Les deux interventions solennelles du Saint-Siège
et de Benoît XVI lui-même, avant l’élection du nouveau Préposé Général,
y ont fait allusion.
Deux
exhortations solennelles
La
35e Congrégation Générale (la « CG 35 » comme on
dit chez les Jésuites, « GC 35 » chez les Américains)
s’est ouverte, le 7 janvier dernier, dans un climat d’interrogation
sur l’identité et la mission des Jésuites dans le monde.
Le
cardinal Franc Rodé, qui n’est pas jésuite mais Préfet de la Congrégation
pour les instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique,
a prononcé lors de la messe d’ouverture, une homélie dans laquelle il
a exprimé deux fois son « inquiétude » : face à l’« éloignement
croissant de la Hiérarchie » qui se manifeste dans la Compagnie, et
face à « la séparation toujours croissante entre foi et culture, séparation
qui est un empêchement grave pour l’évangélisation ».
Le
cardinal Rodé a demandé aux Jésuites « de présenter aux fidèles
et au monde l’authentique vérité révélée dans l’Ecriture et la
tradition ». Il a demandé aussi aux censeurs jésuites plus de
vigilance – et comment ne pas voir ici une allusion aux quatre théologiens
cités plus haut : « Ceux qui, selon votre législation,
doivent veiller sur la doctrine de vos revues, de vos publications,
qu’ils le fassent à la lumière et selon les ”règles pour sentire
cum Ecclesia” avec amour et respect. »
Trois
jours après l’homélie du cardinal Rodé, Benoît XVI
a adressé une lettre au R.P. Kolvenbach, pour lui exprimer sa
« gratitude ». Il a voulu aussi faire « quelques considérations »
pour « encourager » et « stimuler » les Jésuites
« à réaliser toujours mieux l’idéal de la Compagnie ». Il
a demandé à la Compagnie de rester fidèle au « vœu d’obéissance
directe au successeur de Pierre, perinde ac cadaver ». Il a
rappelé qu’ « il est indispensable
[…] que la vie des membres de la Compagnie de Jésus, ainsi que
leur recherche doctrinale, soient toujours animées par un vrai esprit de
foi et de communion ”en harmonie avec les indications du Magistère” ».
Il a aussi souhaité « vivement » que « tous les Jésuites »
soient « encouragés à promouvoir la vraie et saine doctrine
catholique.
Si
ces exhortations ne sont pas nouvelles – Benoît XVI a repris certaines
recommandations faites par Jean-Paul II lors de la précédente Congrégation
Générale, en 1995 –, la demande qui suit est plus inattendue. En
effet, quittant les directives générales, Benoît XVI a demandé à la
Congrégation Générale de faire une profession de foi sur différents
points et doctrines qui ont conduit notamment aux mises en garde et
condamnations citées ci-dessus. « Il pourrait être fort utile, a
dit le Pape, que la Congrégation Générale réaffirme, dans l’esprit
de saint Ignace, son adhésion totale à la doctrine catholique, en
particulier sur des points névralgiques fortement attaqués aujourd’hui
dans la culture séculière, comme par exemple le rapport entre le Christ
et les religions, certains aspects de la théologie de la libération, et
divers points de la morale sexuelle, surtout pour ce qui regarde
l’indissolubilité du mariage et la pastorale des personnes
homosexuelles. »
Depuis
longtemps on n’avait pas entendu un Pape se montrer aussi directif
envers les Jésuites.
Le
29e successeur de saint Ignace
Le
P. Adolfo Nicolas, élu le 19 janvier dernier Préposé Général, est âgé
de 71 ans. Né à Palencia, en Espagne, en 1936, il est entré au noviciat
à dix-sept ans. Il a commencé ses études de philosophie à Alcala de Hénarès,
avant de poursuivre celles de théologie au Japon où il a été ordonné
prêtre en 1967. Il a accompli toute sa carrière ecclésiastique en Asie
où il a été successivement professeur de théologie à l’université
jésuite de Tokyo, directeur de l’Institut Pastoral de Manille, aux
Philippines, recteur du scolasticat de Tokyo, Provincial du Japon avant
d’être, depuis 2004, Modérateur de la Conférence jésuite d’Asie
orientale et Océanie. Il est l’auteur d’une étude sur les directives
spirituelles de saint Ignace dans sa correspondance (1960), d’un essai
sur la Théologie du Progrès (1972) et de réflexions sur la vie
religieuse, intitulée L’horizon de l’espérance (1978).
Le
29e successeur de saint Ignace n’apparaît pas comme un
conservateur, certains vaticanistes le qualifient même de « très
progressiste ». Mais les pronostics des vaticanistes sont souvent démentis
par les faits et leurs analyses parfois simplificatrices.
Pour
avoir une idée plus précise de la vision du nouveau Préposé Général,
on peut se reporter aux réponses qu’il a données, à la fin du mois de
décembre dernier, au site des Jésuites américains. Invité à
s’exprimer sur ce qu’il attendait de la 35e Congrégation Générale,
il avait répondu par six questions : Can we
be realistic ? Can we be transparent ? Can we be accompanied ?
Can we be creative ? Can we be practical ? Can we be short ?
Il
ne souhaitait pas une CG trop longue, qui multiplie les textes. Il espérait
qu’elle serait l’occasion d’une prise de conscience : « dans
quelles mauvaises directions sommes-nous allés, ce qui a manqué dans nos
vies, ce qui a été déformé ou blessé dans notre esprit, ce qui nécessite
conversion, renouveau ou réforme radicale. » |