LE
CARDINAL MYSTERIEUX - et son réseau - par Yves Chiron
Un
cardinal, qui a voulu garder l’anonymat, se serait confié au
journaliste français et écrivain religieux Olivier Le Gendre. De leurs
conversations a résulté un livre, au titre attirant : Confession
d’un cardinal.
Le mystérieux cardinal livre ses Mémoires et porte des jugements
« sans langue de bois » sur l’Eglise d’aujourd’hui nous
dit la 4e de couverture.
Avant
de considérer le contenu du livre, on s’interroge sur l’identité de
ce mystérieux cardinal qui a pris le temps de longues conversations à
Rome, en Avignon et dans un pays d’Asie (il s’agit, vraisemblablement,
de la Thaïlande).
On
apprend seulement, au fil des pages, qu’il a fait, en partie, ses
études à Paris, mais qu’il n’est pas français ; qu’il avait
37 ans au moment de l’ouverture du concile Vatican (p. 247), qu’il a
dirigé en tant que Préfet une Congrégation romaine ; qu’il a
été créé cardinal en 1988, qu’il a pris « sa retraite »
en 2000 (p. 31 et 277) et qu’atteint atteint par la limite d’âge (80
ans), à sept mois près, il n’a pas pu prendre part au dernier conclave
(p. 81).
Muni
de ces informations, on peut essayer de deviner quel est le prélat qui
serait né en septembre 1924, qui aurait été créé cardinal en 1988 et
qui aurait été chef de dicastère à Rome jusqu’en 2000. On n’en
trouve aucun.
Qui
a cherché à brouiller les pistes ? Le journaliste ou son
interlocuteur ?
Certains
ont cru pouvoir identifier le cardinal Silvestrini derrière le
mystérieux interlocuteur d’Olivier Le Gendre. Certains éléments
biographiques concordent : Silvestrini a bien été créé cardinal
en 1988 et, de 1991 à 2000, il a dirigé la Congrégation pour les
Eglises Orientales. D’autres, non : il est né en octobre 1923, il
avait donc plus de 81 ans lors du conclave qui a élu Benoît XVI.
On
peut émettre l’hypothèse que le mystérieux cardinal n’existe pas en
tant que personne et que le livre qui paraît est l’expression d’un
courant d’opinion présent dans le Sacré-Collège ; il serait donc
l’écho de plusieurs voix cardinalices, dont celle du libéral
Silvestrini.
Avant
cet ouvrage, un autre livra anonyme était sorti des murs du
Vatican : Le Vatican mis à nu par le groupe
« Les Millénaires » (Robert Laffont, 2000). C’était
la dénonciation, par un groupe subalterne de la Curie, de diverses
affaires de mœurs et d’argent qui ont agité le Vatican ces dernières
décennies. L’un des rédacteurs de ce livre a été identifié et
sanctionné.
D’un
niveau nettement plus relevé, cette Confession d’un cardinal n’en
est pas moins l’expression, développée et argumentée, d’une
opposition à Benoît XVI.
Sur
le plan factuel, on relèvera quelques étrangetés dans ce livre. Il s’ouvre
sur un mystérieux personnage, Mgr Mijlk, dont on apprendra qu’il aurait
joué un rôle d’intermédiaire financier entre le Saint-Siège et le
syndicat polonais Solidarité. Or le nom de ce prélat n’apparaît
dans aucune édition de l’Annuario Pontificio.
Autre
scorie : on nous parle de Mgr Del Tron (p. 126), appelé ailleurs Mgr
Tron (p. 127) ; il s’agit en fait de Mgr Giuseppe Del Ton, qui fut
au Secrétariat aux Lettres latines sous Pie XII et Jean XXIII.
Certains
ont pris comme des révélations les pages consacrées au financement de Solidarité
par le Saint-Siège (qui, lui-même, s’alimentait à d’autres
sources). L’information n’est pas nouvelle. Il y a eu de nombreux
articles de presse sur le sujet, dans plusieurs pays, et, en France, un
livre a évoqué le fait, de manière assez brouillonne il est vrai
(Constance Colonna-Cesari, Urbi et Orbi. Enquête sur la géopolitique
vaticane, La Découverte, 1992).
Le
rôle de l’Eglise dans la fin du régime Marcos, aux Philippines, en
1986, est présenté encore comme une illustration de l’ « influence
politique de l’Eglise ». Le fait est, lui aussi, bien connu. L’évêque
auxiliaire de Manille, Mgr Bacani, en a fait un récit, très
circonstancié et documenté, qui a été traduit en plusieurs langues (Eglise
et politique aux Philippines, Cerf, 1987).
Benoît
XVI, pape « par défaut »
En
revanche, un des points saillants du livre du mystérieux cardinal tient
dans la sévérité de son jugement sur Benoît XVI. Le cardinal, qui n’a
pu prendre part au conclave à cause de la limite d’âge des 80 ans, a
participé aux réunions préparatoires.
Il
explique : « Cela faisait des mois et des mois que, nous, les
cardinaux, nous nous attendions au décès de Jean-Paul II. Forcément,
nous nous préparions à entrer en conclave » (p. 135). Au lendemain
de la mort du pape, trois ou quatre noms ont émergé : « Nous
évoquions la possibilité d’un pape d’Amérique latine aux racines
européennes. Et nous pensions au cardinal Bergoglio […] et dont l’ascendance
est italienne. Ou au cardinal Hummes de Sao Paulo qui est d’ascendance
allemande. L’avantage de ces cardinaux était que leur origine et leur
culture permettaient une sorte de transition entre l’Europe et l’Amérique
latine. ».
Nombre
des cardinaux jugés papabile par l’opinion ne l’étaient
pas ; le cardinal anonyme le dit sans fard : Tettamanzi, de
Milan, manquait « d’envergure intellectuelle », Scola, de
Venise, « nous semblait un peu jeune », quant à Martini, l’ancien
archevêque de Milan, la maladie de Parkinson « le mettait
hors course ».
Puis,
explique le mystérieux cardinal, « tout est balayé » lors de
la messe de funérailles de Jean-Paul II : « les analyses
subtiles, les pondérations de critères, le choix d’une nationalité,
la question de l’âge, le problème de l’expérience pastorale sur le
terrain. Tout disparaît d’un seul coup au profit de la réponse à
cette seule question : qui a les épaules assez solides et
suffisamment d’autorité pour succéder à ce géant que nous sommes en
train de mettre en terre ? » (p. 141-142).
Le
nom de Ratzinger s’est alors imposé comme « candidat par défaut
[…] comme s’il n’y avait plus eu soudain d’autres candidats
envisageables ! » Ce mouvement de beaucoup de cardinaux n’a
pas échappé à l’intéressé : « Je sais que Ratzinger a
souffert de devenir Benoît XVI. Je sais, parce que cela se lisait dans
ses yeux, qu’il a vu venir l’inéluctable pendant la vacance du
siège, et qu’il en a tremblé. Je crois qu’il a forcé ses discours
durant cette période pour que chacun comprenne bien quelles étaient ses
convictions, qu’il soit clair pour tous ceux qui commençaient à se
tourner vers lui qu’il marcherait dans une direction précise. Que si on
voulait de lui, il fallait le prendre comme il était. Il voulait que ce
soit clair, qu’il n’y ait pas d’erreur sur la personne » (p.
82).
Le
mystérieux cardinal regrette, à mi-voix, l’élection de Benoît XVI.
Il espère qu’il ne s’agira que d’un pontificat de transition. Au
passage, sans en faire l’essentiel de sa critique, il juge inopportune
la restauration liturgique engagée par Benoît XVI : « Je
crois qu’il ne sert à rien de renforcer artificiellement les
expressions du sacré. […] Je crois qu’il est inutile, voire
dommageable, de vouloir restaurer des attitudes et des habitudes »
(p. 256).
Le
mystérieux cardinal est critique aussi envers les « nouveaux
mouvements » qui se sont développés dans l’Eglise ces dernières
années (Opus dei, Focolari, Chemin Néocatéchuménal, Légionnaires du
Christ) : « leur point commun est une fidélité proclamée au
pape, au besoin en se libérant de l’autorité des évêques dans les
diocèses où ils se trouvent. Leur pensée est conservatrice et leur
théologie parfois approximative. Leur but proclamé est la nouvelle
évangélisation, leur intention plus discrète est de peser dans l’Eglise
et la société où ils se trouvent. À côté de leur agenda religieux
coexiste un agenda politique déterminé » (p. 269).
Le
réseau international Sarepta
C’est
dans la dernière partie du livre, constituée des conversations qu’Olivier
Le Gendre a eues avec le mystérieux cardinal en Thaïlande, que se
révèle le véritable objectif poursuivi par cette étrange publication.
« En Europe, lit-on, quand on réfléchit sur l’Eglise, on
privilégie un point de vue très particulier, trop particulier. Celui de
la crise, du divorce entre la culture dite postmoderne et la culture
chrétienne, de la baisse d’influence du magistère, toutes ces choses
qui empoisonnent la vie et font bien dans les conversations. L’Eglise en
Europe est encore sous le choc du traumatisme subi à la suite de l’effondrement
de la société chrétienne. Elle n’arrive pas à s’en remettre. Du
coup, bon nombre de responsables s’accrochent à l’idée et au projet
de recréer une société chrétienne comme elle existait
auparavant » (p. 313).
Le
mystérieux cardinal non seulement ne croit pas possible une telle
restauration, mais il juge nécessaire de proposer une nouvelle
« alternative » et de « renouveler la façon d’être
chrétien ».
Il
évoque un réseau, déjà existant, qui partage le même projet :
« Nous sommes un certain nombre de personnes un peu partout dans le monde
qui avons appris à nous connaître et qui pensons que des questions
doivent être posées et des réponses apportées. Nous jugeons que ces
questions n’ont pas été vraiment posées dans l’atmosphère très
particulière du dernier conclave et des dernières années de la vie du
pape Jean Paul. Nous voulons que ces questions soient
entendues. »
Le
cardinal se défend d’être partie prenante d’un
« complot », d’un « réseau secret », de
« consignes », de « stratégies souterraines »,
mais il convient qu’un certain nombre d’hommes d’Eglise, de
responsables de mouvements religieux et d’associations se rencontrent
discrètement, échangent des expériences et prennent des
« initiatives ».
En
note, discrètement, est donné le nom du site qui, depuis quelques mois,
fait le lien entre ces hommes d’Eglise et ces chrétiens : sarepta-org.net.
Si on consulte ce site, on constate qu’il n’est accessible qu’aux
membres du « réseau », et l’on y trouve un exposé succinct
des « convictions » de ses membres :
«•
la « crise » de l’Eglise n’est pas due à des causes
récentes, objets des querelles stériles entre progressistes et
traditionalistes,
•
le message chrétien sera à nouveau audible si des personnes de foi ont
le souci d’incarner, là où elles vivent et au service du monde, la
tendresse de Dieu,
•
une myriade d’initiatives individuelles ou collectives sont menées
dans cet esprit ,
•
ces initiatives sont discrètes, vécues dans la prière, l’ouverture
aux plus pauvres, le souci de donner à la foi chrétienne une
expression aussi proche que possible de l’Evangile.»
Ce
langage minimaliste, qui rappelle celui de Taizé ou de l’Arche de Jean
Vanier, se double d’une volonté déterminée : « Nous nous
connaissons, nous nous reconnaissons, dit le mystérieux cardinal. Nous
parlons, nous collaborons, nous essayons de convaincre. Nous agissons sous
des formes multiples. Nous pesons autant que nous pouvons sur le
déroulement des événements. »
Cette
Confession d’un cardinal est visiblement une des
« initiatives » du réseau Sarepta.
Yves
Chiron
L’auteur
du « Discours du Latran »
Le
discours prononcé par Nicolas Sarkozy le jeudi 20 décembre à Rome, dans
la basilique du Latran, a suscité des controverses parce que le
Président de la République a affirmé : « Les racines de la
France sont essentiellement chrétiennes » et « la laïcité
ne saurait être la négation du passé. Elle n’a pas le pouvoir de
couper la France de ses origines chrétiennes ». Faisant référence
à l’encyclique de Benoît XVI sur l’espérance, le Président de la
République a aussi longuement évoqué la nécessité d’une espérance
qui ne soit pas que temporelle.
On
s’en doute, ce long discours du Latran n’a pas été rédigé, pour l’essentiel,
par Nicolas Sarkozy, mais il l’a fait sien en le prononçant.
En
2004, Nicolas Sarkozy a publié un livre, La République, les
religions, l’espérance (Cerf, 2004), livre d’entretiens avec
Thibaud Collin et le P. Philippe Verdin, dominicain.
On
retrouve le P. Verdin parmi la délégation qui a accompagné Nicolas
Sarkozy au Vatican, on retrouve l’espérance, et d’autres thèmes du
livre, dans le discours du Latran. Le P. Verdin ne serait-il pas l’auteur
principal du discours du Latran comme Henri Guaino est l’auteur
principal du discours de Dakar, qui, lui aussi, a fait controverse ?
Y.C.
Réabonnement
2008
Avec
ce numéro 117, s’achève la septième année de parution d’Aletheia ;
année qui aura été marquée par l’événement du 07.07.07, comme dit
Jean Madiran.
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a rempli, une fois encore, son contrat : donner, quinze fois par an,
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Je
remercie les journaux et revues qui font honnêtement référence à Aletheia
lorsqu’ils y puisent quelque information ou analyse qu’ils ne trouvent
pas ailleurs ; je ne remercie pas ceux qui – tel Golias
– y pillent un document inédit sans citer le lieu de leur découverte…
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