UNE
ENCYCLIQUE SUR L’ESPERANCE - par
Yves Chiron
Ce
30 novembre paraît la deuxième encyclique de Benoît XVI, Spe Salvi
(« Sauvés dans l’espérance »). Après la Charité (Deus
Caritas, 2006), c’est la seconde vertu théologale, l’Espérance,
qui fait l’objet d’une encyclique. Viendra, plus tard, une troisième
encyclique, consacrée à la Foi. Mais, déjà, dans cette encyclique sur
l’Espérance, la Foi est centrale.
Le
Souverain Pontife se souvient qu’il a été professeur et ce sont de
denses « réflexions » (§ 30) qu’il livre aux chrétiens,
plutôt qu’une simple méditation spirituelle. Il cite souvent l’Ecriture
et, longuement, à plusieurs reprises, saint Augustin. Son encyclique est
aussi une encyclique de combat contre le nominalisme de Luther, le
subjectivisme de Kant, le matérialisme de Marx et la « dialectique
négative » de l’Ecole de Francfort (Horkheimer et Adorno). Ernst
Bloch et son « principe espérance » ne sont pas cités, mais,
en creux, il est visé lui aussi par la réfutation menée par le pape.
La
démonstration de Benoît XVI prend, dans sa première partie, le chemin d’une
histoire intellectuelle, mais elle est vivifiée par la nouveauté de l’Evangile,
qui n’est pas « uniquement une communication d’éléments que l’on
peut connaître, mais une communication qui produit des faits et qui
change la vie. »
Dans
l’Antiquité, écrit le Pape, les dieux des païens « s’étaient
révélés discutables et, de leurs mythes contradictoires, n’émanait
aucune espérance » (§ 2). L’Evangile, par la Parole de Dieu et
la vie du Christ, vient apporter l’Espérance radicale que la
« vie ne finit pas dans le néant ».
L’Espérance
chrétienne n’est pas « un message social révolutionnaire »
(§ 4), elle est en liens étroits avec la Foi. Dans une page très forte,
le Pape réaffirme le sens objectif de la foi. S’arrêtant sur la
définition donnée dans la Lettre aux Hébreux (11,1) –
« La foi est la substance [hypostasis en grec] des réalités
à espérer ; la preuve [elenchos en grec] des réalités qu’on
ne voit pas » – , et se référant à saint Thomas d’Aquin,
Benoît XVI montre comment Luther est à l’origine d’une déviance
essentielle dans la conception de ce qu’est la foi. Elle n’a plus un
« sens objectif » (une « réalité présente en
nous ») mais un « sens subjectif » (« une
disposition du sujet »).
Au
passage, le Pape épingle, poliment, la traduction œcuménique du Nouveau
Testament en allemand qui traduit ainsi le passage en question de la Lettre
aux Hébreux : « la foi consiste à être ferme en ce que l’on
espère, à être convaincu de ce que l’on ne voit pas ».
« En soi, cela n’est pas faux, écrit le pape, mais ce n’est pas
cependant le sens du texte, parce que le terme grec utilisé (elenchos)
n’a pas la valeur subjective de ”conviction”, mais la valeur
objective de ”preuve”. »
Ce
n’est pas une querelle sémantique mais un point nodal : « la
foi est la substance de l’espérance » réaffirme le Pape (§ 10).
Si elle ne s’appuie pas sur la foi, l’espérance prend des formes
nouvelles, qui s’éloignent toujours plus du sens
chrétien et qui, aussi, éloignent du mystère chrétien.
Avec
Francis Bacon, à l’aube de l’époque moderne, la science devient
porteuse de toutes les potentialités : « grâce à la synergie
des sciences et des pratiques, s’ensuivront des découvertes totalement
nouvelles et émergera un monde totalement nouveau, le règne de l’homme. ».
Avec les Lumières, « raison et liberté semblent garantir par
elles-mêmes, en vertu de leur unité intrinsèque, une nouvelle
communauté humaine parfaite. » Au XIXe siècle, la foi dans le
progrès devient la forme commune de l’espérance humaine, y compris
dans ses aspects les plus naïfs.
De
façon plus théorique, Karl Marx prétendra apporter « une
politique pensée scientifiquement, qui sait reconnaître la structure de
l’histoire et de la société » et promet une sorte de messianisme
sécularisé. Benoît XVI montre l’ « erreur » la plus
profonde de Marx : « Il a oublié que l’homme demeure
toujours homme. Il a oublié l’homme et il a oublié sa liberté. Il a
oublié que la liberté demeure toujours liberté, même pour le mal. Il
croyait que, une fois mis en place l’économie, tout aurait été mis en
place. Sa véritable erreur est le matérialisme : en effet, l’homme
n’est pas seulement le produit de conditions économiques, et il n’est
pas possible de le guérir uniquement de l’extérieur, créant des
conditions économiques favorables. »
Pour
« une autocritique du christianisme moderne »
Benoît
XVI n’est pas un subjectiviste kantien – comme l’en accuse une
communication de colloque que, par charité et par respect, nous ne
nommerons pas – , il n’est pas non plus
« progressiste ». Pour lui, le progrès n’existe pas dans le
domaine moral : « dans la connaissance croissante des
structures de la matière et en relation avec les inventions toujours plus
avancées, on note clairement une continuité du progrès vers une
maîtrise toujours plus grande de la nature. À l’inverse, dans le
domaine de la conscience éthique et de la décision morale, il n’y a
pas de possibilité équivalente d’additionner, pour la simple raison
que la liberté de l’homme est toujours nouvelle et qu’elle doit
toujours prendre à nouveau ses décisions. »
Le
Pape n’exempt pas le christianisme moderne d’errements au sujet de l’espérance.
Les chrétiens, dit-il, « doivent apprendre de manière renouvelée
en quoi consiste véritablement leur espérance, ce qu’ils ont à offrir
au monde et ce que, à l’inverse, ils ne peuvent pas offrir. Il convient
que, à l’autocritique de l’ère moderne, soit associée aussi une
autocritique du christianisme moderne, qui doit toujours de nouveau
apprendre à se comprendre lui-même à partir de ses propres
racines. »
Ni
la science, ni la raison, ni le progrès n’apportent de réponse
satisfaisante à l’interrogation et à l’attente des hommes. Dire que
le christianisme, seul, apporte des réponses satisfaisantes ne suffit
pas. Benoît XVI rappelle que la foi n’est pas seulement une
connaissance du salut mais « produit des faits et « change la
vie ».
La
deuxième partie de l’encyclique montre donc quels sont, aujourd’hui,
les « lieux d’apprentissage et d’exercice de l’espérance ».
Le premier est la prière. Benoît XVI évoque longuement le témoignage
du cardinal Nguyên Van Thuan, qui a passé treize ans dans les prisons
communistes vietnamiennes, et qui a trouvé dans la prière la force
d’espérer. Non pas seulement d’attendre sa libération, mais de se
mettre à « l’écoute de Dieu ».
L’autre
« lieu d’apprentissage et d’exercice de l’espérance »
est l’acceptation de la souffrance. « Comme l’agir, la
souffrance fait aussi partie de l’existence humaine. » Parce que,
dit le Pape, dans une considération très traditionnelle qui risque de
passer inaperçue : « Elle découle, d’une part, de notre
finitude et, de l’autre, de la somme de fautes qui, au cours de l’histoire,
s’est accumulée et qui encore aujourd’hui grandit sans cesse. »
Face
à sa propre souffrance, le chrétien doit entrer dans une démarche d’acceptation
et, face à la souffrance des autres, entrer dans une démarche de
consolation, au sens étymologique latin (con-solatio) :
« un être-avec dans la solitude, qui alors n’est plus
solitude » dit bellement le pape (§ 38).
Le
témoignage des martyrs est une autre forme d’espérance
chrétienne : le don de soi-même est justifié par la
« promesse » qui dépasse l’horizon terrestre. À l’exemple
de Dieu, Vérité et amour, qui « a voulu souffrir pour nous et avec
nous », le croyant peut être amené à placer « la vérité
avant le bien-être, la carrière, la possession ».
Dans
une dernière partie, Benoît XVI traite des fins dernières (le Christ
comme Juge, le Purgatoire, l’Enfer), qui ont tant disparu de la
prédication catholique. Je ne prétendrai pas résumer ici l’enseignement
du Pape sur le sujet. Je citerai simplement ce fort passage :
« Justice et grâce doivent toutes les deux être vues dans leur
juste relation intérieure. La grâce n’exclut pas la justice. Elle ne
change pas le tort en droit. […] À la fin, au banquet éternel, les
méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des
victimes, comme si rien ne s’était passé. »
Notes
de lecture - par
Yves Chiron
•
Max Barret, Mgr Lefebvre
tout simplement…, La Taillanderie (384 rue des
Frères-Lumière, 01400 Châtillon-sur-Chalaronne), 144 pages, 10 euros.
Le
chauffeur de Jacques Chirac, Jean-Claude Laumond, a publié ses souvenirs
sous le titre Vingt-cinq ans avec Lui (Ramsay, 2001). Après un
quart de siècle au service du futur Président de la République, il
avait été remercié de son poste en 1997 et il réglait ses comptes dans
un livre où alternaient « petite et grande histoire, galipette et
galéjades, vie privée et vie publique ».
Max
Barret a été, sur une durée à peu près équivalente, avec d’autres,
le chauffeur de Mgr Lefebvre. Il publie, lui aussi, les souvenirs,
intimes, qu’il garde du fondateur d’Ecône. Loin du règlement de
comptes, son livre relève plutôt de l’hagiographie, ou plutôt de ces fioretti
qui, mis bout à bout, ne font pas un portrait mais qui ajoutent des
touches d’humanité aux livres historiques déjà existants.
De
nombreuses photographies et la reproduction de lettres manuscrites de Mgr
Lefebvre viennent marquer du signe de l’authenticité ces souvenirs sans
prétention et déférents.
L’évocation
du P. Eugène de Villeurbanne, le courageux fondateur des « Capucins
de tradition », ajoute à l’intérêt du livre.
•
Joachim Bouflet, Ces dix jours qui ont fait Medj’,
Editions CLD (31 rue Mirabeau, 37000 Tours), 347 pages, 21 euros.
Joachim
Bouflet, qui est un bon spécialiste des phénomènes extraordinaires de
la vie mystique, consacre aux origines de Medjugorje un livre pointilleux
et ravageur. Il établit, d’après des sources diverses, ce qui s’est
vraiment passé à Medjugorje entre le mercredi 24 juin 1981, jour de la
première manifestation supposée surnaturelle, et le vendredi 3 juillet
1981, jour annoncé, à l’époque, comme étant celui de la dernière
apparition.
Pourquoi
les supposées apparitions ont-elle duré ensuite, et jusqu’à aujourd’hui ?
Pourquoi aussi, des six voyants du 1er jour, deux n’ont plus
« vu » ensuite, tandis que deux autres n’ont
« vu » qu’à partir du 2e jour ?
On
sera d’accord avec le jugement final de l’auteur :
…les
adolescents et l’enfant ont-ils vraiment vu quelque chose ? Et,
dans l’affirmative, qu’ont-ils vu ? Etait-ce réellement la
Vierge Marie ? Au terme d’enquêtes rigoureuses, les évêques
successifs de Mostar ont exclu cette éventualité. Il est vrai qu’ils
ont eu à se prononcer sur un ensemble qui dépasse largement ces dix
jours puisque, contre toute vraisemblance, la Vierge Marie aurait
continué d’apparaître après avoir annoncé la fin des apparitions
pour le 3 juillet et, qu’à partir de cette date, les événements ont
basculé dans un registre visionnaire fort suspect auquel tous les voyants
ont adhéré ; ces apparitions
après les apparitions orchestrées par les Franciscains de Medjugorje,
sont émaillées d’invraisemblances et de mensonges qui rendent
difficilement crédible l’hypothèse d’une authentique mariophanie
dans les dix premiers jours, encore qu’il puisse s’agir de réelles
apparitions mariales parasitées dès le début par un (une, des) faux
voyants et totalement déviés par la suite. Peut-être sommes-nous là en
présence d’un véritable gâchis imputable surtout à des intérêts
personnels très terre à terre…
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