Lettre
ouverte aux candidats - par
Mgr Jean-Pierre Cattenoz, Archevêque d’Avignon
MESDAMES
ET MESSIEURS LES CANDIDATS, quand je vous écoute, j’ai mal pour mon
pays. Bien sûr, je me réjouis devant les germes d’espérance contenus
dans les nombreuses propositions énoncées dans vos programmes.
Il
y a quelques semaines, je me suis réjoui de vous voir tous unanimes pour
inscrire l’abolition de la peine de mort dans notre Constitution.
Aujourd’hui, je suis consterné par vos programmes qui portent en eux
les germes d’une culture de mort pour notre société.
Certes,
comme archevêque d’Avignon, il ne m’appartient pas de prendre
position publiquement pour l’un ou l’une d’entre vous. De même, en
intervenant, je n’entends nullement porter atteinte à la liberté
politique des catholiques de mon diocèse. Je voudrais seulement vous
alerter et alerter tous les hommes de bonne volonté sur plusieurs points
de la campagne électorale dont les enjeux me semblent majeurs pour l’avenir
de notre pays.
DEFENDRE
LE PATRIMOINE DE L’HUMANITE
Au
nom de l’Évangile, je veux défendre la vie, l’Évangile de la vie.
Or je constate combien en laissant fragiliser la famille vous portez
atteinte au patrimoine de l’humanité.
La
famille est le sanctuaire de la vie, une réalité décisive et
irremplaçable pour le bien commun des peuples. Elle est la cellule vitale
et le pilier de toute vie en société. L’avenir de l’humanité passe
par la famille. Elle est le centre névralgique de toute société, une
école d’humanisation de l’homme où il peut grandir et devenir
pleinement homme. La famille est le lieu privilégié et irremplaçable
où l’homme apprend à recevoir et à donner l’amour qui seul donne
sens à la vie. Elle est le lieu naturel de la conception, de la
naissance, de la croissance et de l’éducation des enfants. Elle est le
milieu naturel où l’homme peut naître dans la dignité, grandir et se
développer de manière intégrale.
L’institution
du mariage, fondement de la famille échappe à la fantaisie de l’homme
; le mariage plonge ses racines dans la réalité la plus profonde de l’homme
et de la femme, il est l’union de l’homme et de la femme. «
Impossible de contester cette norme sans que la société ne soit
dramatiquement blessée dans ce qui constitue son fondement. L’oublier
signifierait fragiliser la famille, pénaliser les enfants et précariser
l’avenir de la société » (Benoît XVI, 20 février 2007).
Or
la plupart de vos programmes électoraux, loin de protéger et de
promouvoir la famille fondée sur le mariage monogame entre l’homme et
la femme, ouvrent la porte au mariage entre personnes du même sexe et à
l’adoption d’enfants par des couples homosexuels. Aucune autre forme
de vie commune que l’union d’un homme et d’une femme ne peut être
juridiquement assimilable au mariage ni ne peut recevoir, en tant que
telle, une reconnaissance légale. Toute tentative de relativiser le
mariage en lui donnant le même statut que d’autres formes d’unions
radicalement différentes sont dangereuse pour notre société. Tout cela
offense la famille et contribue à la déstabiliser en voilant sa
spécificité et son rôle social unique.
Concernant
le “mariage homosexuel”, il faut distinguer l’homosexualité comme
fait privé et l’homosexualité comme relation sociale prévue et
approuvée par la loi. La légalisation d’une telle union finirait par
entraîner un changement de l’organisation sociale tout entière qui
deviendrait contraire au bien commun. Les lois civiles qui devraient être
des principes structurants de l’homme au sein de la société, jouent un
grand rôle dans la formation des mentalités et des habitudes. Le respect
envers les personnes homosexuelles ne saurait en aucune manière conduire
à l’approbation du comportement homosexuel ou à la reconnaissance
juridique des unions homosexuelles (cf. Cardinal Ratzinger, Considération
à propos des projets de reconnaissance juridique des unions entre
personnes homosexuelles, Congrégation pour la Doctrine de la Foin
juin 2003).
Le
nombre de séparations et de divorces s’accroît, rompant l’unité
familiale et créant de nombreux problèmes aux enfants, victimes
innocentes de ces situations. La fragilité et le nombre de foyers
monoparentaux ne sont pas sans poser question. La stabilité de la famille
est aujourd’hui menacée ; pour la sauvegarder, il ne faut pas avoir
peur d’aller à contre-courant de la culture ambiante. Les diverses
formes de dissolution du mariage sont l’expression d’une liberté
anarchique qui se fait passer à tort pour une libéralisation de l’homme.
Au contraire, reconnaître et soutenir l’institution du mariage est un
des services les plus importants à apporter aujourd’hui au bien commun
et au véritable développement des hommes et des sociétés, de même que
la plus grande garantie pour assurer la dignité, l’égalité et la
véritable liberté de la personne humaine.
Malheureusement
bien des projets sur le mariage, le divorce, l’adoption tiennent,
certes, compte des désirs des adultes, mais oublient complètement l’intérêt
des enfants. Le droit à l’enfant semble prendre le pas sur le droit de
l’enfant.
Comme
le montre unanimement l’expérience, l’absence d’une maman ou d’un
papa au sein d’une famille entraîne bien des obstacles dans la
croissance des enfants. Comment des enfants insérés dans des unions
homosexuelles où manquent la bipolarité sexuelle et l’expérience
conjointe de la paternité et de la maternité pourront-ils grandir et
mûrir humainement sans porter les séquelles de cette absence ? Comment
assurer l’équilibre de la structure psychologique et sexuelle de l’enfant
dans un couple où il n’y a qu’un sexe ?
L’affaiblissement
de la cellule familiale est une des causes majeures des difficultés des
jeunes. La crise de la famille est une cause directe du mal être des
jeunes. La majorité des jeunes en difficultés sont issus de familles
humainement et socialement fragilisées
Au
nom de l’Évangile, je veux défendre la vie, l’Évangile de la vie,
de cette vie qui fait de nous des hommes de l’utérus au sépulcre.
La
banalisation de l’avortement et le silence sur les conséquences
psychologiques, les blessures et les souffrances cachées qui marquent à
jamais les femmes sont intolérables. L’information tronquée sur les
séquelles provoquées par l’avortement chez les femmes qui y ont eu
recours est insupportable.
La
liberté de tuer n’est pas une vraie liberté, mais une tyrannie.
Jean-Paul II dans sa lettre encyclique L’Évangile de la vie a eu
des mots très vrais et très durs sur la réalité de l’avortement :
«
Parmi tous les crimes que l’homme peut accomplir contre la vie, l’avortement
provoqué présente des caractéristiques qui le rendent particulièrement
grave et condamnable […].
L’avortement
provoqué est le meurtre délibéré et direct, quelle que soit la façon
dont il est effectué, d’un être humain dans la phase initiale de son
existence, située entre la conception et la naissance. La gravité morale
de l’avortement provoqué apparaît dans toute sa vérité si l’on
reconnaît qu’il s’agit d’un homicide et, en particulier, si l’on
considère les circonstances particulières qui le qualifient. Celui qui
est supprimé est un être humain qui commence à vivre, c’est-à-dire l’être
qui est, dans l’absolu, le plus innocent qu’on puisse imaginer :
jamais il ne pourrait être considéré comme un agresseur, encore moins
comme un agresseur injuste ! Il est faible, sans défense, au point d’être
privé même du plus infime moyen de défense, celui de la force
implorante des gémissements et des pleurs du nouveau-né. »
Alors
que la peine de mort a été abolie pour une question de principe, l’avortement
devrait être considéré comme atteignant la dignité de la personne à
naître.
Certes,
l’avortement est désormais inscrit dans les lois, mais il n’en
demeure pas moins immoral au regard de l’Évangile et de l’Évangile
de la vie.
L’acceptation
de l’euthanasie fait peser des menaces graves sur les malades
incurables et sur les mourants. Certes, le contexte social et culturel
actuel augmente la difficulté d’affronter la souffrance à l’approche
de la mort. Il rend plus forte la tentation de résoudre ce problème en l’éliminant
à la racine par l’anticipation de la mort au moment considéré comme
le plus opportun. Pourtant, les médecins affirment aujourd’hui savoir
soulager la quasi-totalité des douleurs. La vraie question est donc celle
des soins palliatifs.
La
vie humaine est sacrée, de son commencement naturel jusqu’à son terme.
Tout être humain a le droit au respect intégral de ce bien qui est pour
lui primordial. Nous ne pouvons accepter la promotion de lois visant à
légaliser l’euthanasie.
La
manipulation des embryons fait peser une lourde menace sur notre
société. L’embryon est un être vivant qui possède un patrimoine
génétique humain. Il est une personne humaine, il faut la protéger
parce qu’elle est membre à part entière de l’espèce humaine et
mérite notre respect.
Les
progrès de la science et de la technique peuvent se transformer en menace
si l’homme perd le sens de ses limites. Il faut prendre conscience que
la chosification de l’embryon nous conduira tôt ou tard à l’eugénisme.
Effectivement,
cette manipulation débouche sur un eugénisme subtil. En effet, le
dépistage prénatal a changé de nature, il n’est plus destiné à
traiter mais bien à supprimer. Un tel dépistage renvoie à une
perspective terrifiante, celle de l’éradication.
Aujourd’hui,
la venue au monde de certains enfants est devenue non souhaitable. La
science propose même des outils pour réaliser le rêve de l’enfant
sans défaut. Plusieurs de vos programmes construisent pas à pas une
politique de santé qui flirte avec l’eugénisme.
Les
recherches biotechnologiques toujours plus pointues visent à instaurer
des méthodes d’eugénisme toujours plus subtiles et qui visent à la
recherche de l’enfant parfait, fruit d’une sélection totalement
contrôlée. Par leur maladie, par leur handicap, ou plus simplement par
leur présence même, ceux qui auraient le plus besoin d’amour, d’accueil,
de soin, sont jugés inutiles et considérés comme un poids insupportable
dont il faut se débarrasser, qu’il faut éliminer.
Nous
voyons se déchaîner comme une sorte de conspiration contre la vie.
Au
nom de l’Évangile, je veux défendre la vie, l’Évangile de la vie.
Je ne peux fermer les yeux devant tant d’hommes et de femmes aujourd’hui
en France qui se sentent blessés, exclus, mis sur le bord de la route
pour de multiples raisons personnelles, économiques, sociales, politiques
ou même religieuses.
Certes,
il appartient aux politiques de gouverner, mais je ne peux m’empêcher
de vous rappeler que l’économie se doit d’être au service de l’homme
et du bien commun dans le respect de la justice sociale et de la
solidarité humaine. La mondialisation des échanges commerciaux et la
globalisation de l’économie semblent se fonder sur une conception
intégralement libérale de l’économie, de ses mécanismes. L’économie
prime sur tout et là encore des conceptions individualistes et libérales
dominent au détriment du respect de l’homme et de la solidarité entre
les hommes.
OÙ
SONT VOS PRIORITES ?
Comment
vivre une authentique fraternité humaine dans notre pays ? Comment
respecter les plus pauvres ? Comment répondre au droit au logement et à
des logements qui n’accentuent pas la déstructuration de la cellule
familiale ? Comment prendre en compte l’émigration comme un fait
désormais structurel de notre société ? Comment accueillir de manière
juste tout en étant généreuse ? Comment lutter contre tous ceux qui
exploitent les immigrés clandestins, les marchands de sommeil, les
employeurs véreux ? Comment réfléchir à la question de l’emploi, du
travail et de sa juste rémunération ? Comment prendre en compte les
menaces écologiques ?
Autant
de questions pour lesquelles nous attendons des réponses qui ne soient
pas des promesses électorales trop souvent sans lendemain, mais des
engagements clairement exprimés.
Où
sont vos priorités ? Sont-elles du côté de groupes de pression
susceptibles de vous apporter des voix le temps d’une élection ou
sont-elles vraiment au service de notre pays ?
Au
nom de l’Évangile, je ne peux que dénoncer avec les Associations
familiales catholiques la racine de tout cela : un individualisme à tout
crin qui gangrène notre société.
Nous
constatons l’évolution du droit civil qui consacre depuis trente ans l’individualisme
des droits. Le droit qui dicte et façonne les normes sociales,
privilégie l’individu, la vie privée, considère que les choix
affectifs ne peuvent et ne doivent avoir aucune conséquence ni sur les
enfants ni sur la vie civique, économique et sociale.
Dans
notre culture, on exacerbe souvent la liberté de l’individu conçu
comme sujet autonome, comme s’il se suffisait à lui-même, en marge de
ses relations avec les autres, étranger à ses relations avec autrui.
Beaucoup voudraient organiser la vie sociale seulement à partir des
désirs subjectifs et changeants, sans aucune référence à une vérité
objective comme la dignité de tout être humain, ses droits et ses
devoirs au service desquels doivent se mettre les responsables de notre
société.
Ainsi
toutes les formes d’union conjugale sont mises sur un pied d’égalité,
le droit à l’enfant se substitue au droit de l’enfant. On laisse se
propager et se développer des pratiques de contraception abortives, l’avortement
et les dérives eugénistes. La famille et les familles ne sont plus
considérées comme les corps fondateurs de la société, mais comme une
juxtaposition d’individus. Ainsi naissent et prospèrent au gré des
gouvernements, des politiques à caractère social, destinées à pallier
les effets de cet individualisme qui gangrène la société. Cette
conception individualiste de la société soumet notre pays aux dérives d’une
opinion aux repères brouillés et aux groupes de pression qui pèsent de
tout leur poids en cette période électorale (cf. Déclaration des AFC,
« Débats préélectoraux 2007-2008 »).
Au
nom de l’Évangile et à la veille de l’élection présidentielle et
des élections législatives, je ne peux qu’inviter les hommes
politiques, les chrétiens et tous les hommes de bonne volonté à passer
au crible de l’Évangile et de l’enseignement de l’Église vos
propositions avant de se déterminer dans leur choix.
Avignon,
le 22 mars 2007
Texte
reproduit d’après le site Liberté Politique |