L’affaire
Wielgus - Anatomie d’un lynchage - par Yves Chiron
Je
ne reviendrai pas sur les péripéties de l’affaire Wielgus dont on peut
résumer la chronologie en quelques lignes :
•
6 décembre 2006 : nomination de Mgr Stanislas Wielgus comme
archevêque de Varsovie, en remplacement du cardinal Glemp.
•
20 décembre : l’hebdomadaire polonais Gazeta polska accuse
Mgr Wielgus d’avoir collaboré avec le SB (Sluzba Bezpieczenstwa),
l’ancienne police secrète communiste.
•
21 décembre : Benoît XVI prend la défense du nouvel archevêque de
Varsovie dans un communiqué publié par le Bureau de Presse du
Vatican : « En décidant de la nomination du nouvel archevêque
métropolite de Varsovie, le Saint-Siège a pris en considération toutes
les circonstances de sa vie, dont également celles qui concernent son
passé. Cela signifie que le Saint-Père nourrit envers Mgr Stanislas
Wielgus une confiance totale, et, en pleine confiance, il lui a confié la
mission de pasteur de l’archidiocèse de Varsovie ».
•
2 janvier 2007 : le Nonce à Varsovie demande à l’Institut de la
Mémoire Nationale (I.P.N., Instytut Pamieci Narodowej) le dossier
de Mgr Wielgus.
•
3 et 4 janvier : des documents relatifs à Mgr Wielgus, à l’époque
où il « collaborait » avec le SB, sont publiés dans la
presse polonaise.
•
5 janvier : Mgr Wielgus est investi canoniquement dans la
cathédrale de Varsovie. Ce même jour, dans un communiqué rendu public
quelques heures auparavant, il avait nié avoir nui à l’église
catholique polonaise même s’il reconnaissait avoir signé, en 1978,
« sous la menace » précisait-il, une attestation de
collaboration avec le SB.
•
6 janvier : dans un message lu dans les églises de Varsovie, Mgr
Wielgus reconnaît avoir eu des « contacts avec les services secrets
de cette époque ». « Guidé par le désir de faire des
études importantes pour ma spécialisation scientifique, je me suis
laissé entraîner dans ces contacts sans la prudence nécessaire, le
courage et la détermination d’y mettre fin […] mais j’affirme
aujourd’hui avec une conviction totale n’avoir pratiqué la délation
à l’égard de personne, ni avoir cherché à nuire à quelqu’un ».
Il implore le pardon de Dieu et demande aux fidèles de l’accueillir
comme « un frère qui souhaite unir et pas diviser, prier et unir le
peuple de l’Eglise, dans l’Eglise des saints et des pécheurs, que
nous sommes tous ».
À
la fin de ce même message, Mgr Wielgus ajoute : « Je déclare
au Saint-Père avec toute humilité que je respecterai sa décision,
quelle qu’elle soit. »
Ce
même-jour, la copie du dossier de Mgr Wielgus, envoyée par l’I.P.N.,
arrive à Rome. En fin de soirée, Benoît XVI fait demander à Mgr
Wielgus de remettre sa démission, en vertu de l’article suivant du
droit canon : « L’évêque diocésain qui, pour une raison de
santé ou pour tout autre cause grave, ne pourrait plus remplir
convenablement son office, est instamment prié de présenter la
renonciation à cet office. » (Code de droit canonique, canon
401, § 2).
•
7 janvier : dans la cathédrale de Varsovie, Mgr Wielgus annonce, en
larmes, sa « renonciation » à son siège archiépiscopal.
Qu’est-ce
que « collaborer » ?
Un
archevêque, acculé à la démission, le jour-même où il doit prendre
solennellement possession de son siège est, bien sûr, un événement
quasiment inédit dans l’histoire de l’Eglise.
On
se trompe vraiment en résumant cet épisode à une « erreur de
casting », comme l’a fait un autre archevêque. Je ne crois pas du
tout que le nonce en Pologne, chargé de préparer les nominations
épiscopales, ni Benoît XVI, qui a pris la décision finale, aient été
trompés ou mal informés. Certes les documents issus des archives de l’ancienne
police secrète communiste n’ont été connus du Saint-Siège qu’après
la nomination, mais les liens de Mgr Wielgus avec le SB ont été connus
du Pape avant la nomination officielle.
Les
consultations pour nommer un successeur au cardinal Glemp avaient été
longues. Dans l’épiscopat polonais, plusieurs prétendants espéraient
être promus à la tête du diocèse le plus peuplé de Pologne. La
Congrégation pour les évêques, présidée par le cardinal Re, avait
examiné, avant l’été, le dossier de trois candidats (l’archevêque
de Lublin, l’archevêque de Przemysl et l’évêque de Tarnow).
Finalement, le choix du Saint-Siège s’est porté sur un autre évêque,
Mgr Wielgus, évêque du petit diocèse de Plock.
C’est
un point qui a été peu relevé : Mgr Wielgus est évêque depuis
1999. Une enquête sur son passé avait donc déjà eu lieu à ce
moment-là.Quand Jean-Paul II l’a nommé au siège de Plock, personne n’a
mis en cause publiquement le passé de Mgr Wielgus. Ses faiblesses
passées étaient-elles connues de Jean-Paul II ? On n’en sait rien
à ce jour. En tout cas, Benoît XVI en a été informé, par l’intéressé
lui-même, avant qu’il ne le nomme officiellement à Varsovie.
Mgr
Wielgus l’a dit explicitement dans son message du 6 janvier :
« J’ai présenté au Saint-Père l’histoire de mon implication
et mes contacts avec les services secrets de cette époque » et
aussi : « Je confesse devant vous cette erreur que j’ai
commise pendant des années, comme je l’ai déjà confessée au
Saint-Père ».
Mgr
Wielgus n’est pas le seul ecclésiastique à avoir collaboré avec le
régime communiste polonais. 10 % des ecclésiastiques polonais, estiment
les historiens, ont collaboré, d’une manière ou d’une autre, avec le
régime communiste.
Encore
faut-il s’entendre sur ce qu’a signifié cette collaboration. Il y a
eu, forcément, des degrés divers dans cette collaboration : simples
conversations, participation au grand jour à des initiatives du régime,
espionnage, délation, etc.
Mgr
Wielgus a affirmé et soutient toujours qu’il n’a dénoncé personne
et qu’il n’a « cherché à nuire à personne ». Un
jugement sur l’implication réelle de Mgr Wielgus ne pourra se faire qu’après
une étude des documents existants.
L’historien
polonais Peter K. Raina, qui a publié de nombreux ouvrages
consacrés à l’histoire contemporaine de l’Eglise en Pologne, a
indiqué les différents moyens employés par la police secrète
communiste pour amener des prêtres à « collaborer » et en
quoi consistait cette collaboration :
« On
faisait tout pour compromettre le prêtre et ensuite le soumettre au
chantage. La pratique commune était de rassembler le plus de
renseignements possibles sur le compte de chaque prêtre : s’il
aimait l’alcool ou les femmes, s’il était frustré dans son travail.
Souvent, on employait des agents féminins pour le conduire à des
situations compromettantes ; on le photographiait en cachette ou bien
l’agent féminin annonçait qu’elle était enceinte. Soumis alors au
chantage, le prêtre recevait une proposition de collaborer avec la police
secrète. La collaboration avec le SB consistait à fournir des
informations sur ses activités de curé, sur la situation de sa paroisse,
sur les comportements et convictions de l’évêque, etc. […] L’une
des armes de chantage les plus utilisées par les Services Secrets était
la concession d’un passeport pour pouvoir voyager à l’étranger. Tout
citoyen qui en faisait la demande était invité à se rendre dans les
bureaux du S.B. Dans ce cas-là aussi c’était la politique du “donnant
donnant“ : le citoyen recevait son passeport s’il promettait de
fournir des informations, et les Services voulaient tout savoir sur les
personnes. Bien sûr, cette règle valait aussi pour les prêtres qui,
pour pouvoir aller étudier à l’étranger (tant de prêtres rêvaient
de visiter Rome et de poursuivre leurs études sur les bancs des
Universités pontificales) ou devenir missionnaires, devaient demander un
passeport. D’habitude les prêtres racontaient des faits sans aucune
importance, juste de quoi satisfaire la personne en charge des services
qui prenait des notes sur tout. »
Le
pardon
Si
l’on revient au cas Wielgus, on constate qu’il s’est trouvé
exactement dans cette situation en 1978. Sollicitant un visa pour se
rendre en Allemagne, pour une nouvelle année d’études à Munich, la
police secrète l’a contraint « sous la menace » à signer
une déclaration dans laquelle il reconnaissait avoir collaboré avec le
SB. Cette « collaboration » était ancienne, puisque les
premiers contacts remontent à 1969. Mais, à ce jour, l’ampleur de
cette collaboration et les conséquences qu’elle a éventuellement eues
n’ont pas été mises à jour.
Le
P. Lombardi, directeur de la Salle de Presse du Saint-Siège, a fait une
déclaration importante après la démission de Mgr Wielgus. Le P.
Lombardi fait justement remarquer que, même si la renonciation de ce
dernier a été « la meilleure solution pour répondre au trouble
créé en Pologne », « le cas de Mgr Wielgus n’est pas le
premier, et qu’il ne sera probablement pas la dernière agression contre
des personnalités de l’Eglise de Pologne basée sur les archives des
services secrets de l’ancien régime. Dans l’évaluation de ce
matériau colossal et dans les conclusions à en tirer, on n’oubliera
pas qu’il est le produit d’un système politique cultivant l’oppression
et le chantage ».
Si
Benoît XVI a cru pouvoir nommer à l’archevêché de Varsovie un
ecclésiastique jadis compromis avec la police secrète communiste, c’est
qu’il a jugé que cette « collaboration », reconnue par l’intéressé,
n’avait pas eu de conséquences graves et qu’elle avait été le
résultat d’une faiblesse de l’intéressé et non pas d’une volonté
de nuire ou d’une quelconque sympathie pour l’idéologie communiste et
son système.
Si
on veut trouver une des clefs de la nomination de Mgr Wielgus au siège de
Varsovie, on peut se rapporter au discours de Benoît XVI, prononcé
justement à Varsovie, le 25 mai dernier. Le Pape s’adressait à
plusieurs centaines de prêtres polonais, en présence du cardinal primat,
le cardinal Glemp, et de plusieurs dizaines d’évêques, parmi lesquels
Mgr Wielgus qui n’avait pas encore été pressenti comme possible
successeur du cardinal Glemp.
Évoquant
la douloureuse époque du communisme et des compromissions des uns et des
autres, Benoît XVI demandait à l’Eglise polonaise de pardonner :
« Nous
savons que l’Eglise est sainte, mais qu’il y a des pécheurs parmi ses
membres . Nous avons besoin de rejeter le désir de nous identifier
seulement avec ceux qui sont sans fautes. Comment l’Eglise pourrait-elle
exclure les pécheurs de ses rangs ? C’est pour leur salut que
Jésus a pris chair, est mort et ressuscité. Nous devons par conséquent
apprendre à vivre la pénitence chrétienne avec sincérité. En la
pratiquant, nous confessons nos fautes individuelles, en union avec les
autres, devant les autres et devant Dieu. Pourtant, il nous faut nous
garder de la prétention arrogante de nous établir de nous-mêmes juges
des générations passées, qui vivaient des temps différents en des
circonstances différentes. Une humble sincérité est nécessaire pour ne
pas nier les fautes du passé mais en même temps ne pas s’abandonner
aux accusations faciles en absence de toute évidence ou sans égard pour
les conceptions reçues, différentes à l’époque. »
Le
refus des « accusations faciles » et la prise en
considération des « circonstances différentes » dans des
« temps différents » qui ont guidé le choix de Benoît XVI n’ont,
à l’évidence, pas été compris par ceux qui en Pologne, et ailleurs,
dans le clergé et hors du Clergé, ont réclamé la tête de Mgr Wielgus.
Jean
Madiran - L’Accord de Metz ou pourquoi notre Mère fut muette
(Éditions
de Paris, 75 pages, 15 euros)
Au
moment où l’affaire Wielgus secoue l’Eglise polonaise et l’opinion
publique mondiale, Jean Madiran écrit dans son dernier livre :
« L’Internationale communiste a causé à l’Eglise, au XXe
siècle, des dégâts dont une grande partie, en ce début du XXe siècle,
n’est pas encore réparée ».
L’affaire
Wielgus, survenue juste après la publication du livre de Jean Madiran,
est une illustration de ces « dégâts » postérieurs.
Le
livre de Jean Madiran est consacré principalement à un fait majeur de l’histoire
de l’Eglise depuis le concile Vatican II : la non-condamnation du
communisme. C’est Jean-Paul II qui apportera la
« délivrance » en usant d’une méthode habile :
« contre-attaquer le communisme sans le nommer », par ses
voyages en Pologne qui suscitent « une massive espérance
mobilisatrice », inédite « méthode de réanimation et de
gouvernement de l’Eglise » en Pologne.
L’origine
de cette non-condamnation se trouve dans ce que Jean Madiran appelle
« l’Accord de Metz ». En septembre 1962, à Metz, le
cardinal Tisserant et Mgr Nicomède, représentant de l’Eglise orthodoxe
russe, ont conclu un accord : les orthodoxes russes répondraient à
l’invitation d’envoyer des observateurs au concile Vatican II qui
devait s’ouvrir « à la condition de garanties en ce qui concerne
l’attitude apolitique du concile ».
C’est
Mgr Schmitt, évêque de Metz, qui a révélé l’accord lors d’un
entretien au journal local, Le Lorrain (9.2.1963) ; la
Croix s’est contentée, à l’époque, de faire discrètement écho
à cette révélation.
Durant
le concile Vatican II, plusieurs évêques, ignorant l’Accord de Metz,
demanderont la condamnation du communisme. Il y a eu, notamment, en 1965
une pétition signée par quelque 450 évêques (parmi lesquels 13
français) ; la pétition sera « égarée » suffisamment
longtemps pour ne pouvoir être prise en compte.
Chaque
chapitre du livre de Jean Madiran est suivi de « Notes
techniques » et de « Documents » qui viennent apporter
la preuve de la démonstration. On peut légitimement mettre au compte de
« l’esprit du Concile » cette non-condamnation du
communisme, même si « l’esprit du Concile » ce fut bien d’autres
choses, négatives ou positives. Cette non-condamnation favorisa une
non-résistance au communisme.
L’affaire
Wielgus est l’illustration non d’une connivence idéologique mais d’une
faiblesse face à ce que Pie XI appelait le caractère
« intrinsèquement pervers » du communisme.
Commander
le livre:
Jean Madiran, L’Accord de
Metz ou pourquoi notre Mère fut muette (75 pages)
Envoyer ses coordonnées complètes avec 15 euros (frais de port
compris) par exemplaire à Association
Nivoit - 5, rue du Berry - 36250 NIHERNE - France
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