TROIS
PAROLES D’EVEQUES par
Yves Chiron
Cette
modeste lettre d’informations religieuses n’a ni vocation ni ambition
à être parénétique. Elle a comme première ambition d’apporter des
nouvelles et des précisions, de publier éventuellement des documents.
Elle ne veut qu’inciter à la réflexion et, ainsi, contribuer, à sa
place, à la paix dans l’Eglise par la vérité. Recevant il y a deux
jours les évêques du Malawi en visite ad limina, Benoît XVI leur
a demandé : « Ne cessez jamais de proclamer la vérité, et
insistez sur cette vérité “à temps et à contretemps “ (2 Tm
4, 2) car “la vérité vous rendra libres“ (Jn 8, 32). »
Nous,
fidèles du dernier rang, ne devons-nous pas demander aussi à nos
évêques cette vérité, avec le respect dû à leur caractère de
ministre ordonné, nous plaindre quand elle nous apparaît travestie et
nous réjouir quand elle est proclamée ?
Trois
faits récents donnent une image contrastée de nos évêques de France.
Mgr
Dupleix et la messe
Vient
de paraître, sous forme d’abécédaire, un livre qui s’adresse
« à tous ceux qui désirent retrouver les mots de l’initiation
chrétienne ».
L’ouvrage est présenté par Mgr André Dupleix, secrétaire général
adjoint de la Conférence des évêques de France, et il émane, par ses
auteurs, du Service national de catéchuménat et de sa revue Chercheurs
de Dieu.
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mots qui appartiennent presque tous aux conversations courantes :
amour, bonheur, charité, joie, laïc, mémoire, résurrection, etc. ,
font l’objet de définitions et explications assez élaborées (trois ou
quatre pages par notice). Pour chacun est d’abord donnée la
signification ordinaire puis le sens particulier qu’ils ont pour les
chrétiens.
Il
ne s’agit pas d’un catéchisme ou d’un « parcours de la
foi » mais l’ouvrage veut contribuer à l’évangélisation :
« permettre aujourd’hui de comprendre la foi des chrétiens, à
partir des mots de tous les jours et en dévoilant peu à peu le nouveau
sens que leur donne cette foi ».
On
reste alors stupéfait des définitions minimalistes qu’on y trouve. On
ne s’attardera que sur celle de la messe. La messe y est définie comme
une « rencontre d’hommes et de femmes de tous âges » pour
former « un seul Corps avec le Christ » et « rompre le
pain et boire à la coupe, comme Jésus l’a fait avec ses apôtres et
ses disciples ». Y a-t-il présence réelle du Christ par la
transsubstantiation ? Ce mémorial est-il aussi un saint sacrifice
qui « actualise l’unique sacrifice du Christ Sauveur » (CEC,
1330). L’abécédaire de Mgr Dupleix n’en dit rien, n’utilise aucun
de ces mots.
Plus
grave, à la fin de la notice sur le mot « messe », entre une
courte citation du Psaume 22 et une courte citation de la Première Lettre
aux Corinthiens, est donnée la citation, longue cette fois, d’un auteur
contemporain, Bernard Feillet qui réduit la doctrine catholique de la
messe à néant :
« Ce
n’est pas pour faire venir Dieu au milieu des hommes que l’on
célèbre l’eucharistie, mais c’est parce que le mystère de Dieu
habite l’humanité qu’il est possible de faire surgir par un geste
simple de cette humanité le symbole de cette Présence.
Partager
le pain et boire à la coupe est une démarche de communion entre ceux qui
ensemble lui donnent un sens pour anticiper l’accomplissement d’une
humanité enfin pacifiée et unie. L’eucharistie est constitutive d’humanité
et révélation de cette humanité en Dieu. C’est un acte d’homme,
accompli devant Dieu, au service de l’Homme. »
Cette
vision anthropocentrique, immanente et symbolique de la messe est donnée
sous l’autorité du secrétaire général adjoint de la Conférence des
évêques de France ; comme un caillou qu’on donnerait à un pauvre
qui a faim.
Mgr
Cattenoz et l’école catholique
Le
hasard du calendrier ou les divisions grandissantes de l’épiscopat
français font que, au moment Mgr Dupleix croit nécessaire de minimaliser
les réalités et les mystères chrétiens pour proposer aux hommes d’aujourd’hui
« un Dieu, un sens, une vérité qui ne leur tombent pas sur la
tête ou leur sont imposés de l’extérieur » (p. 17 de sa
Présentation), un autre évêque, Mgr Cattenoz, déplore l’ « humanitarisme
bon teint » et les références « sans vrai lien avec la foi
chrétienne » de nombre des projets pédagogiques de l’enseignement
catholique.
L’archevêque
d’Avignon regrette l’ « abus des valeurs de solidarité et
d’ouverture à tous » et estime qu’aujourd’hui
« beaucoup d’établissements catholiques n’ont plus de
catholique que le nom ».
« À
force de faire un catholicisme mou, on n’aura bientôt plus de
catholicisme du tout » déclare Mgr Cattenoz qui vient de promulguer
une « Charte diocésaine de l’enseignement catholique » pour
restaurer « une vraie pédagogie chrétienne ».
Mgr
Daucourt et la « conversion » de Frère Roger
Mgr
Gérard Daucourt, évêque de Nanterre, est intervenu dans la polémique
sur la conversion au catholicisme de Frère Roger, avec l’autorité de
sa fonction de membre du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité
des Chrétiens. Le 7 septembre, il a publié un communiqué pour démentir
les informations publiées par Aletheia (n° 95, 1er
août 2006), informations relayées avec éclat par Le Monde (6
septembre 2006).
Ce
communiqué, aussitôt reproduit ou cité par des dizaines de journaux, en
France et en Europe, a, dit-on, « dissipé toute incertitude sur la
“conversion“ du Frère Roger, fondateur de Taizé : non,
il ne s’est pas “converti“. »
Les
démonstrations de Mgr Daucourt appelaient une réponse de ma part. Ma
réponse a d’abord été privée : j’ai écrit, respectueusement,
à l’évêque de Nanterre pour lui présenter des objections à son
communiqué, tout en restant ouvert à toute explication et tout
témoignage qui viendraient apporter des éclairages nouveaux sur la
personnalité unique de Frère Roger et sur l’importance de sa démarche
œcuménique.
Naïvement,
j’ai cru que Mgr Daucourt, comme d’autres évêques de France, était
ouvert au dialogue et qu’il daignerait répondre à mes demandes d’éclaircissement,
comme l’avaient fait, précédemment à mon article, Mgr Séguy,
évêque d’Autun au moment de la mort de Frère Roger, Mgr Johan Bonny,
du Conseil Pontifical pour la promotion de l’Unité des chrétiens, Mgr
Minnerath, évêque de Dijon, et Frère Alois, Prieur de la Communauté de
Taizé.
À
ce jour, Mgr Daucourt n’a pas jugé utile de répondre à mes objections
et à mes questions. Je suis d’autant plus libre de les poser,
désormais, publiquement :
•
Mgr Daucourt affirme : « pour les personnes déjà baptisées,
l’Eglise catholique ne parle pas de conversion au catholicisme ».
J’entends
bien que c’est le mot de « conversion » qui fait d’abord
débat dans la question de la communion catholique reçue par Frère Roger
depuis 1972. Frère Alois, successeur de Frère Roger, récuse le mot
parce que Frère Roger n’a pas voulu de « rupture avec ses
origines ».
Mgr
Daucourt, lui, récuse le mot parce que, dit-il, l’Eglise ne l’emploie
pas « pour les personnes déjà baptisées » qui sont admises
à la pleine communion dans l’Eglise. L’évêque de Nanterre devrait
dire plutôt : « ne l’emploie plus » ou
« ne l’emploie presque plus ». On ne fera pas l’injure
à Mgr Daucourt de lui rappeler avec quelle hauteur de sentiment
Newman a employé le mot dans son Apologia pro vita sua pour
décrire « l’histoire de ses opinions religieuses » de l’anglicanisme
au catholicisme.
Tout
récemment encore, le mot est employé, non seulement en matière
interreligieuse mais aussi en matière interconfessionnelle par des
instances qu’on ne peut accuser de « romanocentrisme ». En
effet, depuis le mois de mai dernier, le Conseil pontifical pour le
dialogue interreligieux et le Bureau des relations et du dialogue
interreligieux du Conseil œcuménique des Eglises ont engagé une
réflexion, sur trois ans, visant à élaborer « un code de conduite
commun » en matière de conversion. Hans Ucko, responsable du Bureau
des relations interreligieuses du COE, indique : « La question
de la conversion religieuse demeure source de controverse dans bien des
relations interconfessionnelles et interreligieuses ».
Le
mot de « conversion » n’est pas accepté par Taizé, mais c’est
pour d’autres raisons qu’il n’est pas accepté par Mgr Daucourt. L’évêque
de Nanterre nous dit en somme : « Frère Roger ne s’est pas
converti au catholicisme parce qu’il n’y a pas de “conversion“
entre confessions chrétiennes ».
• Mgr Daucourt nous dit que lorsqu’un baptisé non-catholique entre en
pleine communion dans l’Eglise catholique, « cette démarche, dans
tous les cas, comporte un document écrit et signé ». Or, dit-il,
« aucun document de ce genre n’existe concernant Frère
Roger » ; donc c’est bien une preuve supplémentaire que
Frère Roger ne s’est pas converti au catholicisme « au sens où
on l’entend habituellement ».
Un
« document écrit et signé » accompagne-t-il vraiment « dans
tous les cas » ce que Mgr Daucourt appelle une
« démarche » d’admission dans l’Eglise catholique ?
Rien n’est moins sûr.
Le
pasteur Max Thurian, autre frère de la Communauté de Taizé, qui s’est
converti au catholicisme puis est devenu prêtre, en 1987, n’a pas
évoqué une telle déclaration écrite. Il écrivait : « La
cérémonie ”d’adjuration” n’existe plus dans l’Eglise
catholique, on confesse la foi de l’Eglise catholique dans sa
plénitude ».
Plus récemment, en 2001, quand le pasteur Michel Viot a quitté l’Eglise
évangélique de France pour l’Eglise catholique, où il est devenu
prêtre, a-t-il signé « un document écrit » ? La
question mérite d’être posée.
On
accordera à Mgr Daucourt que, concernant frère Roger, un tel
document « écrit et signé » n’existe pas dans les archives
du diocèse d’Autun. Est-ce suffisant pour affirmer qu’il n’y a pas
eu conversion ?
Mgr
Le Bourgeois, qui a donné la communion catholique à Frère Roger, n’a
pas jugé utile de formaliser davantage cette démarche accomplie en 1972.
Ce n’est pas une preuve a contrario.
•
Évoquant la communion reçue par Frère Roger lors des obsèques de
Jean-Paul II, communion donnée par celui qui allait devenir quelques
jours plus tard le pape Benoît XVI, Mgr Daucourt écrit : « Il
n’y a rien là d’extraordinaire. Le droit de l’Eglise catholique
confère à chaque évêque la responsabilité d’accueillir à l’Eucharistie,
régulièrement ou exceptionnellement, un nouveau baptisé ou un baptisé
venant d’une autre Eglise ».
On
passera sur l’expression « Eglise » employée pour désigner
les confessions protestantes, le Magistère ne l’emploie pas ; mais
on conviendra que l’évêque a la faculté, pour des raisons éminentes,
« d’accueillir à l’Eucharistie » un baptisé
non-catholique.
Mais
l’intercommunion n’est admise ni en doctrine ni en pratique habituelle
par l’Eglise. On se souvient qu’une des premières condamnations de
Benoît XVI a visé un théologien allemand, le Professeur Hasenhüttl,
qui avait accordé la communion à des protestants et en avait justifié
la pratique dans ses écrits.
•
Finalement, Mgr Daucourt reconnaît le « caractère objectif et
public à la communion de foi que Frère Roger vivait avec l’Eglise
catholique ». Comment qualifier alors la démarche de Frère Roger,
si on refuse le mot « conversion » ? Mgr Daucourt
refusera-t-il aussi qu’on dise que Frère Roger était devenu
catholique ?
Des
autorités éminentes ont affirmé publiquement que Frère Roger
était catholique :
-
le cardinal Kasper, interrogé par le cardinal Barbarin le
jour des obsèques de Jean-Paul II : « Frère Roger est
formellement catholique ».
-
Mgr Minnerath, évêque de Dijon : « Frère Roger a
officialisé son passage au catholicisme auprès de l’évêque d’Autun ».
-
Mgr Séguy, évêque émérite d’Autun où se trouve
Taizé : « Frère Roger lui-même m’a confirmé qu’il
était catholique ».
En refusant le terme de « conversion », Mgr Daucourt semble
vouloir éviter de qualifier Frère Roger de « catholique ».
Cette réticence, pour ne pas dire ce refus, pose question à l’historien
comme au croyant : pourrait-on être en même temps protestant et
catholique, dépasser les clivages confessionnels ? Ce serait une
nouvelle praxis et une nouvelle doctrine.
On
pourra préférer, finalement, la réponse, humble, de Frère Aloïs,
prieur de la Communauté de Taizé : « D’origine protestante,
[Frère Roger] a accompli une démarche qui n’a pas de précédent
depuis la Réforme. […] Comme cette démarche était progressive et tout
à fait nouvelle, elle était difficile à exprimer et à
comprendre. »
Enfin,
on citera ces propos de Paul VI à propos du cardinal Newman :
« Pour
aller jusqu’au bout de ce qu’il jugeait la Vérité, Newman a renoncé
à l’Eglise d’Angleterre non pas pour se séparer d’elle, mais pour
l’accomplir. Il ne cessait de croire ce qu’il avait cru, mais il le
croyait davantage encore, il avait porté sa foi anglicane jusqu’à sa
plénitude. Une conversion est un acte prophétique. Newman a vécu l’histoire
de la réunion future, de cette récapitulation en Jésus-Christ dont le
moment nous est encore caché, mais à laquelle nous aspirons
tous. »
L’analogie
ne saurait être poussée trop loin. Frère Roger n’avait pas
« renoncé » à Taizé. Mais la route de Taizé n’était
peut-être pas arrivée à son terme. On se souvient des paroles
prononcées par Benoît XVI au lendemain de la mort tragique de Frère
Roger. Le jour-même où Frère Roger était assassiné, le 16 août 2005,
Benoît XVI avait reçu une lettre de lui où il écrivait :
« Notre communauté de Taizé voudrait cheminer en communion avec le
Saint-Père. Très Saint Père soyez assuré de mes sentiments de profonde
communion. » |