SAINT-SIEGE/FRATERNITE
SAINT-PIE X : VERS UNE RECONCILIATION ?
L’information
religieuse en France, est, en général, d’une grande pauvreté quand il
s’agit des décisions et actes du Saint-Siège. Très peu de journaux
ont un correspondant permanent au Vatican et la plupart des journaux se
contentent de recopier les dépêches des agences de presse ou d’y
puiser la matière de leurs commentaires. Les publications “ traditionalistes ”,
pour beaucoup d’entre elles, ne sont guère mieux au fait de l’actualité
vaticane. Dans le dossier actuel qui les intéresse au premier chef en ce
moment – la réconciliation possible entre la Fraternité Saint-Pie X et
la “ libéralisation ” de la messe selon le rite ancien –,
aucune information nouvelle ou inédite ne transparaît. Trop souvent, les
publications traditionalistes se recopient les unes les autres, ou, pour
diverses raisons, elles n’osent divulguer les informations en leur
possession.
Aletheia
a été la première, en France, à faire état de la rencontre du 15
novembre dernier entre le cardinal Castrillon Hoyos et Mgr Fellay. Depuis,
cette rencontre a été évoquée (non sans erreurs) et commentée par
divers organes français ; mais déjà d’autres événements s’étaient
produits qui ont ajouté au dossier.
La
presse italienne, catholique ou non, est, beaucoup mieux au fait des
questions vaticanes. En France, on ne compte guère que deux ou trois
authentiques vaticanistes,
en Italie, ils sont bien plus nombreux. Le journaliste Andrea Tornielli,
du Giornale, ou l’historien Sandro Magister, de l’Espresso,
sont parmi les informateurs les plus au fait des événements, et les plus
indépendants. La connivence ou l’hostilité systématique ne font pas
un bon vaticaniste.
Par
exemple, la récente nomination de Mgr Fitzgerald comme nonce apostolique
en Egypte et délégué auprès de la Ligue arabe a été interprétée,
par certains milieux commentateurs français, comme une “ mise à l’écart ” de
celui qui était, depuis 2002, Président du Conseil pontifical pour le
Dialogue interreligieux. Il faudrait voir dans cette nomination ; le signe
que Benoît XVI était en désaccord avec celui qui avait présidé à
tant d’initiatives, contestées, en matière de dialogue avec les
religions non-chrétiennes. Or, on peut considérer tout au contraire que
Benoît XVI, en procédant à cette nomination, a voulu placer, dans un
poste avancé du dialogue avec les musulmans, un prélat avec lequel il
est en consonance doctrinale (cf. le livre d’entretiens entre Mgr
Fitzgerald et Anne Laurent, recensé dans Aletheia le 1er
janvier dernier).
Autre
événement à l’interprétation délicate : la réunion des
différents chefs des dicastères de la Curie, le 13 février dernier,
autour de Benoît XVI a réuni, pour évoquer la question de la
réconciliation du Saint-Siège avec la Fraternité Saint-Pie X. Plutôt
que de commenter l’événement, je préfère offrir au lecteur la
traduction de l’article, bien informé et intéressant, qui est paru il
y a deux jours dans le quotidien italien l’Indipendente.
LEFEBVRISTES :
VERS LA FIN DU SCHISME
- par Tommaso Debenedetti
Le
schisme entre l’Eglise de Rome et les traditionalistes héritiers de Mgr
Lefebvre est en voie d’être résolu. L’information, désormais
donnée pour certaines même si elle n’est pas encore officielle, est
venue de la réunion des trente chefs de dicastère que le pape Benoît
XVI a organisée, à huis clos, l’autre jour au Vatican. Un seul thème
était à l’ordre du jour : la possibilité de révoquer l’excommunication
qui a frappé quatre évêques en 1988 suite à leur consécration par Mgr
Lefebvre, et la possibilité de leur consentir, et aux fidèles qui les
suivent, l’usage du Missel en vigueur avant la réforme voulue par Paul
VI à la suite du concile Vatican II.
La
convocation de la réunion était déjà en elle-même un fait très
nouveau, peut-être le premier exemple de cette “ collégialité ”
dans le gouvernement de l’Eglise que Ratzinger a défini, depuis un
certain temps déjà, comme une des lignes directrices de son pontificat.
Les chefs de dicastère, en fait, ont été appelés à évaluer, avec le
Pape, les voies les plus rapides, et juridiquement les plus valides, pour
arriver à ce que Benoît XVI veut de toutes ses forces : c’est-à-dire
la fin de toute dissension avec la Fraternité Saint-Pie X (c’est le nom
officiel de l’organisation qui regroupe les disciples de Mgr Lefebvre,
soit 4 évêques, quelque 500 prêtes et des centaines de milliers de
fidèles sur les cinq continents). En réalité, Ratzinger n’avait pas
vraiment besoin de cette consultation : c’était déjà lui qui,
sous le pontificat de Jean-Paul II, s’occupa pendant plus de dix ans de
cette délicate question. Il est connu, de fait, que Wojtyla a souffert
énormément de devoir infliger cette excommunication et de signer la
naissance du seul schisme de l’ère contemporaine,
et il avait demandé à son ami théologien, fort de son incomparable
connaissance doctrinale, de tout faire pour que la division cesse.
Benoît
XVI, qui une fois élu Pape a tout de suite décidé de rouvrir le dossier
pour le résoudre en un temps bref, a voulu en fait s’assurer d’un
ample consensus et de conseils juridiques et techniques pour prendre la
décision qu’il avait depuis toujours considérée comme une absolue
priorité. Dans la réunion de lundi, le Souverain Pontife a exposé les
résultats de la rencontre qu’il a eue le 29 août dernier à Castel
Gandolfo avec les responsables de la Fraternité Saint-Pie X, et il a
demandé aux chefs de dicastère d’exposer leur jugement sur le sujet et
de faire les suggestions adaptées : un document sera élaboré et
sera présenté au Pape au cours d’une autre réunion, déjà fixée au
23 mars, document qui – selon les informations que nous avons
recueillies – signera non seulement la révocation de l’excommunication,
mais la véritable fin du schisme. Une réconciliation, néanmoins, qui
devra avoir l’indispensable accord des lefebvristes, lesquels, au moins
jusqu’à ces derniers mois, refusaient complètement la demande du
Vatican d’accepter le Concile. Selon des sources très proches du Pape,
Benoît XVI aurait voulu cette consultation des chefs de dicastère pour
manifester que le choix de cette réconciliation n’était pas seulement
un acte personnel mais comme un geste solennel de réconciliation accompli
par l’Eglise catholique en son entier dans sa plus ample et
représentative acception.
Il
semble que Ratzinger a étudié attentivement avec les prélats les plus
directement concernés par le dialogue avec les lefebvristes, c’est-à-dire
le cardinal Arinze responsable de la liturgie et Castrillon Hoyos
préposé au Clergé et aux rapports avec les lefebvristes, les modalités
pour réussir à récupérer les schismatiques avec une formule qui trouve
leur assentiment. “ Le Saint Père ”, confirme un de ses
collaborateurs, “ est déterminé à trouver une solution dans des
délais très brefs, solution dont on est prés de trouver le point d’appui
juridique qui convienne, naturellement sans porter atteinte aux principes
fondamentaux de l’Eglise, de son histoire et des dispositions auxquelles
aujourd’hui elle se tient. ”
Un
compromis, donc ? “ Dans une telle matière ”, répond
le collaborateur du Pape, “ il n’existe pas de compromis, au
moins dans le sens courent et facilement équivoque du terme, mais il
existe des médiations fructueuses, surtout quand, entre les deux parties,
la volonté d’arriver est intense. ” À la question si le 23 mars
est la date juste, il a été répondu : “ Pour nous,
oui ”.
Personne,
au Vatican, ne le dit clairement, mais la rumeur, récurrente, semble
fondée selon laquelle Benoît XVI lui-même maintient personnellement, au
moins avec une certaine fréquence, des contacts directs avec la
Fraternité Saint-Pie X. On parle de contacts téléphoniques répétés
et très discrets entre Ratzinger et l’évêque lefebvriste Fellay,
contacts par lesquels aurait mûri chez les traditionalistes une
disponibilité bien supérieure à celle exprimée dans les communiqués
officiels.
Justement
les résultats désormais encourageants de tels contacts auraient conduit
Ratzinger à la convocation des deux réunions de lundi et du 23 mars et l’auraient
incité à en faire l’annonce à l’extérieur, choses qui auraient
été évitées s’il n’y avait pas eu un climat d’optimisme motivé.
Beaucoup de temps semble avoir passé depuis fin août lorsque, commentant
la rencontre entre le pape et l’évêque lefebvriste, un important
prélat disait : “ Le dialogue est engagé, et il aura les
résultats espérés, mais il faudra des années. ” Au
contraire, grâce à l’action personnelle de Benoît XVI, il aura fallu
– et tout le laisse croire – peu de mois. Une nouvelle confirmation de
l’extraordinaire méthode de travail de ce Souverain Pontife, qui refuse
les grandes initiatives médiatiques, mais qui, opérant avec ténacité
et intelligence, arrive à des résultats surprenants, qui laissent une
marque dans l’histoire de l’Eglise et étonnent le monde.
Article
paru dans L’Indipendente le vendredi 17 février 2006
(traduit
par nos soins)
Benoît
XVI et la “ réforme de la réforme ”
Il
est bien connu que le cardinal Ratzinger s’était prononcé pour une
réforme de la réforme liturgique, pour un “ nouvel élan ”
liturgique qui ne soit pas, comme après le concile Vatican II, une “ dévastation ”,
la mise en œuvre d’une “ liturgie fabriquée ” mais un
“ processus vivant de croissance ”.
Convaincu que “ la crise de l’Eglise que nous vivons aujourd’hui
repose largement sur la désintégration de la liturgie ”, le
cardinal Ratzinger en appelait, dans un autre livre, à “ un
nouveau mouvement liturgique, qui donne le jour au véritable héritage du
concile Vatican II ”.
Les
traditionalistes qui croient que Benoît XVI pourrait être le Pape qui
restaurera, dans toute l’Eglise, la messe traditionnelle, se trompent.
Benoît XVI, sans mépriser l’ancien rite, est déterminé, sans doute,
à favoriser plus largement son usage. Mais aussi, il estime, en historien
et en théologien, que l’évolution de la liturgie, multiséculaire,
doit se poursuivre, dans le sens d’une rectification du rite nouveau, et
même par l’intégration de l’ancien et du nouveau.
À
titre documentaire, je reproduis ici une lettre importante qu’il a
adressée au Professeur Heinz-Lothar Barth, professeur de philologie
grecque et latine à l’Université de Bonn, le 23 juin 2003. Les
pensées exprimées par le cardinal Ratzinger, il y a près de trois ans,
peuvent certainement éclairer les actes celui qui est devenu Benoît XVI :
Très
cher Docteur Barth,
Je
vous remercie de votre lettre du 6 avril, à laquelle je n’ai pu
trouver le temps de répondre que maintenant. Vous me demandez de m’engager
pour l’autorisation plus étendue du rite romain ancien. Vous savez
déjà qu’une telle demande auprès de moi ne tombe pas dans les
oreilles d’un sourd, mon engagement dans cette affaire est maintenant
connu par tout le monde.
Est-ce
que le Saint Siège à propos du rite ancien “l’autorisera de
nouveau dans le monde entier et sans restriction” - comme vous le
souhaitez et comme la rumeur s’en répand ? On ne peut pas
répondre à cette question de manière absolue. Trop forte est encore
chez beaucoup de catholiques - endoctrinés depuis des années – l’aversion
pour la liturgie traditionnelle, qu’ils qualifient de manière
méprisante de “pré conciliaire”, et aussi, d’un autre côté,
beaucoup d’évêques montreraient une opposition déterminée à une
autorisation générale.
La
situation est différente si on n’envisage qu’une autorisation
limitée; car la demande de la liturgie ancienne est limitée. Je sais
que sa valeur ne dépend naturellement pas de la demande, mais la
question du nombre des prêtres des et laïcs intéressés a cependant
une certaine importance. Une telle mesure ne peut être réalisée que
progressivement aujourd’hui, une trentaine d’années après la
réforme liturgique du Pape Paul VI. Maintenant il faut avancer pas à
pas, chaque nouvelle précipitation ne produira pas de bons résultats.
Mais
je crois que dans l’avenir l’Eglise romaine devra avoir à nouveau
un seul rite ; l’existence de deux rites officiels est dans la
pratique difficilement “gérable” pour les évêques et les
prêtres. Le rite romain de l’avenir devrait être un seul rite,
célébré en latin ou en langue populaire, mais entièrement fondé
dans la tradition du rite ancien; il pourrait intégrer quelques
nouveaux éléments, qui ont fait leurs preuves, comme de nouvelles
Fêtes, quelques nouvelles Préfaces dans la messe, un Lectionnaire
élargi – un plus grand choix qu’avant, mais pas trop - une Oratio
fidelium, c’est-à-dire une litanie de prières d’intercession
après l’Oremus de l’Offertoire, où jadis il avait sa place.
Très
estimé Dr Barth, si vous vous engagez ainsi pour la question
liturgique, vous ne serez pas seul et vous préparez “l’opinion
publique de l’église” à des mesures éventuelles en faveur d’un
usage plus large des manuels liturgiques anciens. Mais on doit être
prudent en n’éveillant pas des espoirs trop forts, des attentes trop
grandes auprès des fidèles attachés à la Tradition.
Je
profite de cette occasion pour vous remercier de votre engagement
appréciable en faveur de la liturgie de l’Eglise romaine, par vos
livres et vos conférences, même si je souhaiterais ici et là plus d’amour
et de compréhension pour le Magistère du Pape et des évêques. Que la
graine, que vous semez, grandisse et porte beaucoup de fruits pour une
vie renouvelée de l’Eglise, dont “la source et le sommet”, son
véritable cœur, est et doit rester la liturgie.
Je
vous donne volontiers la bénédiction demandée et je reste de tout cœur
Vôtre
Josef
Cardinal Ratzinger
Lettre
publiée sur le site allemand de Wolfang Lindemann, traduction revue par
nos soins. |