LE
CENTENAIRE DU “ VÉNÉRÉ Mgr LEFEBVRE ” - Un
document
Un
catholique soumis aux enseignements du Saint-Siège peut bien appeler le
fondateur de la Fraternité Saint-Pie X le “ vénéré Mgr
Lefebvre ” puisque c’est en ces termes mêmes que Benoît XVI l’a
évoqué lors de l’audience qu’il a accordée à Mgr Fellay le 29
août dernier.
Depuis
plusieurs mois déjà, la FSSPX multiplie les manifestations
(conférences, colloques, cérémonies) pour commémorer le centenaire de
la naissance de son fondateur (29 novembre 1905). On sera attentif à ce
jugement de l’abbé de Cacqueray, supérieur du district de France de la
FSSPX. Il estime que “ ce qui a caractérisé la vie de Mgr
Lefebvre ” n’est pas le fait d’avoir été le fondateur de la
Fraternité Saint-Pie X, ni non plus “ son attachement à la
messe ” (traditionnelle) mais d’avoir été “ l’homme de
la foi et, en ces temps de crise de la foi, de ruine de la foi, il en a
été le chantre, le défenseur, l’athlète invincible ”[1].
Les
études historiques sur Mgr Lefebvre et la Fraternité Saint-Pie X, et sur
le traditionalisme en général, sont encore peu nombreuses. Les travaux
universitaires sont, à ce jour, souvent parcellaires et souvent
décevants[2]. La plus
importante biographie de Mgr Lefebvre est celle qui a été publiée par
un des évêques qu’il a sacrés en 1988 : Bernard Tissier de
Mallerais, Marcel Lefebvre. Une vie (Clovis, 2002). L’ouvrage,
volumineux (719 pages), bien informé, traduit ou en cours de traduction
en anglais, italien et allemand, ne trahit pas la vérité de l’histoire
– au risque de déplaire aux tenants d’un ”lefebvrisme”
idéologisé – , même si on peut donner des interprétations
différentes de certains événements récents de l’histoire de l’Eglise.
En
guise de contribution, modeste, au centenaire, voici un document : la
notice nécrologique parue au lendemain de la mort de Mgr Lefebvre dans la
revue interne de la Congrégation des Pères du Saint-Esprit à laquelle
il a appartenu et dont il fut le Supérieur général. Cette notice,
rédigée par celui qui était à l’époque Supérieur provincial des
Spiritains, est assez équanime, malgré ses retenues et l’expression
feutrée ou ouverte des désaccords.
Mgr
Marcel LEFEBVRE
La
mort de Mgr Lefebvre en cours de semaine sainte et après une retraite
discrète, n'a pas fait grand événement médiatique. Et c'était mieux
ainsi. Mais tous les spiritains français ont été suffisamment
marqués par Mgr Lefebvre pour que nous évoquions ici dans la prière
ce qu'il a été pour nous.
Il
est entré dans la Congrégation par le Séminaire Français de Rome où
il faisait ses études pour le diocèse de Lille de 1923 à 1930. Il a
fait son noviciat comme prêtre. Après sa profession religieuse en
1932, il est missionnaire 12 ans au Gabon. Il est directeur du
scolasticat de Mortain en 1945. Il est alors nommé Vicaire apostolique
de Dakar et Délégué apostolique pour l'Afrique française en 1947.
Ceux d'entre nous qui ont vécu avec lui ses longues années
missionnaires témoignent de son dévouement, de son esprit
d'organisation dans son service missionnaire.
Avec
les années soixante, l'Afrique arrive aux indépendances et l'Eglise
entre en Concile. Nous avons assisté à la difficulté qu'a eue Mgr
Lefebvre à vivre ces événements. Il quitte l'Afrique pour l'évêché
de Tulle en 1962 et la même année il est élu Supérieur Général.
Nous avions accepté sa nomination comme Supérieur Général, même si
tout le monde ne le souhaitait pas.
Alors
sont venues les prises de position que l'on sait au Concile et les
directives sur le style de formation dans les scolasticats. Dans la
Province de France surtout, nous avons eu à supporter les
interpellations de bien des gens au sujet des orientations de Mgr
Lefebvre, mais la grande majorité d'entre nous a dû concilier sa vie
spiritaine avec des directives évidemment orientées. Nous sommes
reconnaissants envers tous ceux qui nous ont aidés à passer ces
années difficiles sans confondre les positions personnelles de Mgr
Lefebvre avec celles de la Congrégation.
Il
n'est pas inutile de dire, car c'est peu connu, comment Mgr Lefebvre a
quitté la charge de Supérieur Général. Élu pour 12 ans en 62, il a
annoncé le 27 mai 1968, qu'il démissionnerait au Chapitre spécial,
pour que celui-ci puisse être électif. Ce qu'il a fait. Une question
de procédure l'a mis en minorité ; il a alors quitté le Chapitre
et n'y est reparu que très peu. Le Père Lécuyer a été élu
Supérieur Général. Mgr Lefebvre s'est retiré de la vie de la
Congrégation, comme peuvent le faire les religieux devenus évêques.
Et nous avons appris plus tard qu'il travaillait à la fondation d'un
Séminaire en Suisse.
L'histoire
d'Ecône est connue. Même si des confrères ont gardé une grande
estime et parfois une amitié envers leur confrère, aucun n'a voulu
participer à son œuvre. Les rencontres personnelles et les échanges
de lettres n'ont pas manqué, surtout aux grandes étapes de cette
action : en 1976, suspense a divinis après l'ordination de quelques
prêtres ; en 1988, ordination d'évêques et déclaration du schisme.
Mgr Lefebvre a toujours répondu à ses amis avec sa bienveillance
habituelle, mais il est malheureusement resté tout aussi ferme dans sa
démarche de séparation.
Donnons
le témoignage d'un récent échange de lettres entre un confrère et
lui en novembre dernier. Mgr Lefebvre : "Votre lettre me fait bien
plaisir et je vous remercie de me donner de vos nouvelles... Je vous
assure que je ne regrette pas ce que la Providence m'a suggéré de
faire. Après-demain j'aurai 85 ans. Je sais bien que la fin approche.
Je l'attends avec joie et paix, ayant conscience de n'avoir jamais
travaillé que pour la Règne de Notre-Seigneur au cours de mes 61 ans
de sacerdoce". Réponse du confrère : "Faut-il vraiment
rester en désunion avec le Saint-Père ? Monseigneur, vous faites
allusion à ce que la Providence vous a suggéré de faire... Avant
d'entrer dans l'amour infini de Dieu, allez embrasser Jean-Paul II. Ce
serait une telle joie pour moi et tant d'autres qui vous aiment
tant". Il ne l'a pas fait, il n'est pas inutile de savoir que cela
lui a été dit.
Mgr
Lefebvre a été un spiritain généreux, un missionnaire évangélique
et actif, un supérieur général soucieux de la vie de la
Congrégation. Son orientation personnelle, intellectuelle et
ecclésiale, qui l'a porté jusqu'à la séparation de l'Eglise, nous
restera toujours mystérieuse. Nous le confions dans la prière à
l'accueil miséricordieux du Père.
Jean
SAVOIE
(Province et Mission, n° 165, avril 1991)
Lectures
•
Matthieu
Baumier, L’anti-Traité d’athéologie,
Presses de la Renaissance, 243 pages, 17 €.
Michel
Onfray, philosophe à la mode, qui se réclame d’un improbable “ nietzschéisme
de gauche ”, a multiplié les ouvrages pour exalter la jouissance,
une culture de l’hédonisme et son hostilité aux monothéismes. Le
titre de son dernier livre, Traité d’athéologie, dit bien sa
volonté de se débarrasser de la question de Dieu : “ Le
dernier Dieu disparaîtra avec le dernier des hommes. Et avec lui la
crainte, la peur, l’angoisse, ces machines à créer des
divinités ” (p. 40).
La
thèse de la religion comme névrose n’est pas nouvelle, ni non plus la
posture adoptée par Onfray qui revendique un athéisme “ argumenté,
construit, solide et militant ”. En revanche, jamais n’avait
été affirmée de façon aussi péremptoire la thèse que la barbarie du
XXe siècle, et singulièrement le nazisme, trouve sa source dans le
monothéisme.
L’ouvrage
de Michel Onfray a été un succès de librairie après que l’auteur ait
pu exposer ses thèses sans recevoir de contradiction, dans un
univers médiatique dont une des caractéristiques est d’être
religieusement inculte.
Matthieu
Baumier, essayiste et romancier, met à nu, dans L’anti-Traité d’athéologie,
le “ système Onfray ”. Son Anti-Traité est
vigoureux et bien informé. En matière historique, il relève non
seulement les approximations de Michel Onfray, mais aussi ses
ignorances graves. Et en matière philosophique et théologique, il
démonte les sophismes de son argumentation antichrétienne et antijuive.
•
Michel De
Jaeghere, Enquête sur la christianophobie.
Renaissance catholique (89 rue Pierre Brossolette, 92130
Issy-les-Moulineaux), 214 pages, 15 €.
Certains
accents de Michel Onfray – sur le christianisme qui “ contamine l’Univers ”
et répand une “ épidémie mentale ” – rappellent les
antiques diatribes de Celse. De manière plus générale, ils manifestent,
une fois encore, cette “ christianophobie ” qui est devenue
une composante majeure du paysage médiatique d’aujourd’hui comme l’expose,
avec brio, Michel De Jaeghere.
Son
Enquête sur la christianophobie est très ample, riche en faits et
en citations. Pages 182 à 185, il a le courage de pointer du doigt les
trois “ lobbies ” qui “ constituent une sorte de
féodalité moderne ” et qui ont en commun d’être militants dans
leur “ rejet du catholicisme romain ” : la
franc-maçonnerie, “ le lobby homosexuel, très influent dans le
milieu artistique ” et “ un certain nombre de dirigeants des
institutions représentatives de la communauté juive ”.
Michel
De Jaeghere ne crie pas au complot judéo-maçonnique. Il n’assimile pas
tous les Français de confession juive à certains des “ dirigeants ”
de la communauté juive. Il dénonce des “ groupes de
pression ”. Aucun évêque français n’oserait nommer
publiquement ces lobbies, même si, dans la discrétion, un certain nombre
déplorent les interventions de l’un ou l’autre de ces groupes de
pression.
Précisions
•
Un lecteur internaute a cru lire “ une énorme bourde ” dans
le n° 80 où, recensant l’épais numéro du Sel de la terre
consacré à Fatima, je relevais que les rédacteurs d’Avrillé ne
jugent pas “ authentique ” le texte de la 3e partie du
secret de Fatima révélée et interprétée par le Vatican en 2000. Mon
contradicteur s’écrie : “ si ce numéro critique bel et
bien l’interprétation officielle, il consacre plusieurs pages à en
défendre l’authenticité ! ! ! ”.
Les
subtilités apparentes des rédacteurs d’Avrillé peuvent tromper
certains lecteurs. C’est bien l’abbé François Knittel, collaborateur
de ce numéro de 2005 du Sel de la Terre, qui a publié, en
2002, un article pour s’interroger “ Où est la fin du deuxième
secret de Fatima ? ” (Nouvelles de Chrétienté, n°
78). C’est le P. Louis-Marie qui dans ce même n° 53 du Sel de la
Terre au terme de sa longue étude (“ Sur la neutralisation du
troisième secret ”) estime : “ on ne peut affirmer
avec certitude que nous avons désormais intégralement le secret
du 13 juillet 1917 ”. Le même auteur, reprenant une distinction
célèbre appliquée à un autre sujet – cf. ci-dessous –
écrit : “ s’il n’y a pas eu occultation matérielle, il y
a eu occultation formelle… ”.
•
Le P. Louis-Marie de Blignières, en référence à notre n° 80, nous
prie de préciser que sa position au début des années 1980 ne saurait
être qualifiée de “ sédévacantiste ” : “ Nous
avons constamment affirmé la permanence matérielle de la
Hiérarchie ”. De fait, le P. de Blignières et d’autres clercs
à l’époque avaient adopté la fameuse thèse dite de Cassiciacum
(du nom de la publication où, en 1979, le P. Guérard des Lauriers
appliqua une distinction théologique classique à la situation de l’Eglise
contemporaine) : on ne peut reconnaître à Jean-Paul II, et avant
lui à Paul VI, l’Autorité pontificale formaliter, à cause de
leurs erreurs, mais on doit les reconnaître comme papes materialiter (occupant
légitimement ou “ légalement ” disent certains le Siège
de Pierre).
Cette
distinction, apparemment subtile, a divisé et divise encore les marges du
traditionalisme. Aujourd’hui, l’Institut Mater Boni Consilii, dans la
région turinoise, ou l’abbé Sanborn, établi dans le Michigan,
soutiennent encore cette thèse[3].
Tandis que les Amis du Christ-Roi, de Louis-Hubert Rémy, les éditions
Delacroix et les Editions Saint-Rémi sont sédévacantistes.
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