Rome
et la FSSPX en dialogue
Outre
une conférence devant des prêtres de la Fraternité Saint-Pie X, Mgr
Fellay a rendu compte de sa rencontre avec Benoît XVI dans un entretien
accordé à DICI (www.dici.org)
et publié le 17 septembre. En voici la reproduction intégrale :
"Le
devoir de faire reconnaître la
place de la Tradition dans l’Église"
DICI
: Monseigneur, vous avez demandé au pape Benoît XVI une audience qui a
eu lieu le 29 août dernier. Quel était le sens de votre démarche ?
Mgr
Fellay : Nous avons souhaité rencontrer le Saint-Père parce que nous
sommes catholiques et que, comme tout catholique, nous sommes attachés à
Rome. En demandant cette audience nous voulions montrer que nous sommes
catholiques. Tout simplement.
Notre
reconnaissance du pape ne se limite pas seulement à la mention de son nom
au canon de la messe par tous les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X.
Il est normal que nous marquions notre déférence en tant que catholiques
romains. Catholique veut dire universel, et le Corps mystique de l’Église
ne se réduit pas à nos chapelles.
Il
y a également de notre part le dessein de rappeler au nouveau Souverain
Pontife l’existence de la Tradition ; le souci de lui rappeler que la
Tradition c’est l’Église et que nous incarnons de façon tout à fait
vivante la Tradition de l’Église. Nous voulons montrer que l’Église
serait plus forte dans le monde d’aujourd’hui si elle maintenait la
Tradition. Ainsi nous souhaitons apporter notre témoignage : si l’Église
veut sortir de la crise tragique qu’elle traverse, la Tradition est une
réponse, voire la seule réponse à cette crise.
DICI
: Comment s’est déroulée cette audience ?
Mgr
Fellay : L’audience a eu lieu dans la résidence d’été des papes à
Castel Gandolfo. Prévue à 11 h 30, elle a débuté effectivement à 12 h
10 dans le bureau du Souverain Pontife. Celui-ci accorde habituellement
une audience de quinze minutes à un évêque. Pour nous cela a duré
trente-cinq minutes. Cela signifie, disent les spécialistes du Vatican,
que Benoît XVI a voulu montrer l’intérêt qu’il porte à ces
questions.
Nous
étions quatre : le Saint-Père et le cardinal Castrillon Hoyos, l’abbé
Schmidberger et moi. La conversation s’est déroulée en français -
contrairement à certaines sources qui annonçaient qu’elle se tiendrait
en allemand - ; elle a été conduite par le pape dans une atmosphère
bienveillante. Lui-même a énoncé trois difficultés en réponse à la
note que nous lui avions fait parvenir un peu avant l’audience. Benoît
XVI en avait pris connaissance et il n’a pas été nécessaire de
reprendre les points évoqués dans cette note.
Nous
y faisions une description de l’Église en citant "l’apostasie
silencieuse" de Jean-Paul II, "le bateau qui prend l’eau de
toute part" et "la dictature du relativisme" du cardinal
Joseph Ratzinger, avec en annexe des photos de messes toutes aussi
scandaleuses les unes que les autres.
Nous
donnions également une présentation de la Fraternité avec des chiffres
et diverses réalisations. Nous citions deux exemples d’actions menées
par la Fraternité dans le monde actuel et l’attitude invraisemblable
des épiscopats locaux à leur endroit : le procès en Argentine qui
obtint l’interdiction de la vente des contraceptifs, qui nous vaut le
qualificatif de terroristes de la part de l’évêché de Cordoba, et la
dénonciation de la gay-pride de Lucerne qui se termina dans une église
catholique par un office protestant dans l’indifférence totale de l’évêque.
Enfin
nous formulions nos demandes : changer le climat d’hostilité à l’égard
de la Tradition, climat qui rend la vie catholique traditionnelle - y en
a-t-il une autre ? - à peu près impossible dans l’Église conciliaire,
en donnant une pleine liberté à la messe tridentine, faire taire le
reproche de schisme en enterrant les prétendues excommunications, et
trouver une structure d’Église pour la famille de la Tradition.
DICI
: Est-il possible de connaître les difficultés soulevées par Benoît
XVI ?
Je
peux seulement les évoquer. Dans un premier temps, le Saint Père a
insisté sur la reconnaissance effective du pape et l’a reliée à la
situation de nécessité invoquée pour le sacre des évêques par Mgr
Lefebvre et pour notre activité subséquente.
Ensuite
Benoît XVI a précisé qu’il n’y avait qu’une manière d’être
dans l’Église catholique : c’est d’avoir l’esprit de Vatican II
interprété à la lumière de la Tradition, c’est-à-dire dans l’intention
des pères du concile et selon la lettre des textes. C’est une
perspective qui nous effraie passablement…
Enfin
il nous faudrait, pense le Souverain Pontife, une structure qui nous
convienne pour le rite traditionnel et certaines pratiques extérieures, -
sans pour autant nous protéger de l’esprit du concile que nous devrions
adopter.
DICI
: Le communiqué du Vatican à l’issue de l’audience parle d’une
"volonté de procéder par étapes et dans des délais
raisonnables". Que faut-il entendre par cette expression ?
Mgr
Fellay : Le pape n’a pas voulu aborder les problèmes, mais simplement
les esquisser. Or il faudra bien, dans un premier temps, répondre à l’exigence
du droit de cité de l’ancienne messe pour ensuite aborder les erreurs
du concile, car nous y voyons la cause des maux actuels, cause directe et
pour une part indirecte.
Bien
sûr, nous irons pas à pas. Il faut apporter sur le concile un éclairage
différent de celui qui est donné par Rome. Tout en dénonçant les
erreurs, il est indispensable de montrer leur suite logique, leur
incidence sur la situation désastreuse de l’Église aujourd’hui, sans
toutefois provoquer une exaspération qui entraînerait une rupture de la
discussion. Cela nous oblige donc à procéder par étapes.
À
propos des délais raisonnables, il se dit à Rome que des documents pour
les communautés rattachées à la Commission Ecclesia Dei sont en
préparation, quelque chose de nouveau, du jamais vu encore.
"Attendons et voyons !" Il est certain que le pape a la volonté
de régler rapidement cette situation.
Pour
être tout à fait juste, je voudrais apporter ici une précision. En
effet, il faut bien considérer la situation dans laquelle se trouve le
pape. Il est coincé entre les progressistes et nous : s’il vient à
libéraliser la messe sur notre seule demande, les modernistes se
dresseront en disant que le pape a cédé aux traditionalistes. Nous
apprenions ainsi de Mgr Ricard qu’en 2000, lui-même, le cardinal
Lustiger et l’archevêque de Lyon s’étaient précipitamment rendus à
Rome pour bloquer toute avance faite à la Fraternité, en brandissant la
menace d’une rébellion. Nous savons que les évêques allemands ont agi
de la même manière lors des J.M.J. de Cologne : "C’est eux ou
nous". Il faut comprendre : "S’ils sont reconnus, nous sortons
de l’Église et nous faisons schisme".
De
telle sorte que le pape ne pouvait pas, au cours de l’audience, nous
donner verbalement l’assurance qu’à l’automne, par exemple, la
messe serait libéralisée. Toute promesse de sa part faite à la
Fraternité en ce sens l’exposerait infailliblement à la pression
exercée par les progressistes. Nous aurions alors recueilli les vues d’un
pape contre une majorité d’évêques enclins à la sécession. Cela n’est
pas envisageable dans la débâcle actuelle, même avec la volonté d’une
certaine restauration. Pour ma part, je pense que seule une
libéralisation limitée sera éventuellement concédée.
DICI
: La presse s’est fait l’écho de divisions au sein de la Fraternité
Saint Pie X. Qu’en est-il précisément ?
Mgr
Fellay : L’annonce de cette audience accordée par le pape a provoqué
un véritable tumulte dans les médias. Ils ont fait beaucoup de bruit,
tentant de montrer des divisions dans la Fraternité parmi les quatre
évêques. Les journalistes ont également propagé les menaces adressées
au pape par les progressistes : "Libérer la messe c’est désavouer
Paul VI et la réforme liturgique".
Mais
je puis vous affirmer qu’à l’intérieur de la Fraternité Saint Pie X
les quatre évêques sont à l’unisson au sujet des rapports avec Rome,
et que Mgr Williamson, dont le nom a été cité, n’est pas "sédévacantiste".
Les médias n’ont pas d’inquiétude à avoir. Malheureusement pour
eux, c’est un hors sujet !
DICI
: Monseigneur, qu’espérez-vous maintenant ?
Mgr
Fellay : Il y a une espérance chez certains cardinaux à Rome de voir la
Tradition reconnue. Nous l’espérons également. Nous espérons en
particulier une entière libéralisation de la messe, mais cela risque
fort de ne pas être pour demain. Nous aurons alors le devoir de faire
reconnaître la place de la Tradition dans l’Église, en évitant de
susciter les mauvaises interprétations que l’on donne d’elle.
Il
faudra faire admettre aux autorités romaines que nous ne pouvons suivre
sans de sérieuses restrictions l’interprétation que l’on donne du
concile et l’œcuménisme tel qu’il est pratiqué. Au fond, ce que
nous espérons, c’est de faire comprendre un jour la raison d’être de
la Tradition.
Le
jour même où étaient connues ces déclarations de Mgr Fellay, un autre
évêque de la FSSPX, Mgr Williamson, rendait publiques des “ Réflexions
pour le mois de septembre ” (texte original anglais et “ version
française par l’auteur ” disponibles sur qien.free.fr).
Ces
“ Réflexions ” se terminent ainsi : “ …tant
que les autorités de notre Mère, l’Église, souffrent la lèpre de l’hérésie
néo-moderniste, prions Dieu pour que nous gardions l’équilibre juste,
en nous éloignant d’eux ni trop peu, car ils ont la lèpre, ni trop,
car l’Église reste notre Mère. C’est un équilibre délicat, mais
les quatre évêques de la Fraternité entendent unanimement le garder.
Dieu aidant, et sa Très Sainte Mère. ”
Y
A-T-IL ENCORE UN “ ETAT DE NECESSITE ” ?
Sans
prétendre commenter ces déclarations épiscopales, et encore moins s’immiscer
dans un dialogue que le Saint-Père a accepté de réengager, on relèvera
quelques points des réponses de Mgr Fellay à DICI :
•
L’attachement à Rome et la reconnaissance de l’autorité du Souverain
Pontife sont affirmés d’emblée par le Supérieur général de la FSSPX.
C’est un rappel de doctrine et de discipline qui, semble-t-il, n’est
pas destiné seulement à rassurer le Saint-Siège. Il s’adresse aussi,
sans doute, aux prêtres de la FSSPX qui refusent de mentionner le nom du
pape au canon de la messe. Ces prêtres “ non una cum ”
sont une minorité au sein de la FSSPX – Mgr Lefebvre, en son temps,
avait sanctionné ceux qui refusaient de nommer le pape au canon. Mais les
fidèles qui assistent à la messe dans un prieuré de la FSSPX ne savent
pas, parfois, si le pape est nommé ou non dans le canon.
•
Mgr Fellay indique que Benoît XVI a évoqué, dès les débuts de l’entretien,
“ la situation de nécessité invoquée pour le sacre des évêques
par Mgr Lefebvre ”.
En
effet, l’argument de nécessité était revenu souvent, lors de l’ “ année
climatérique ” (J. Madiran), dans les déclarations de Mgr
Lefebvre pour justifier les sacres épiscopaux qu’il allait
accomplir :
“ la
Fraternité et son histoire manifestent publiquement cette nécessité
de la désobéissance pour demeurer fidèles à Dieu et à l’Église ”
(Lettre aux anciens du Séminaire d’Ecône, le 29 mars
1988) ;
“ la
nécessité absolue d’avoir des autorités ecclésiastiques qui
épousent nos préoccupations et nous aident à nous prémunir contre l’esprit
de Vatican II et l’esprit d’Assise ” (Lettre au pape,
le 2 juin 1988) ;
“ la
nécessité absolue de la permanence et de la continuation du sacrifice
adorable de Notre Seigneur pour que ”son Règne arrive” ”
(Lettre aux futurs évêques, le 29 août 1987, rendue publique
en juin 1988).
Cette
nécessité – au sens philosophique, opposé à contingence – était
définie aussi par Mgr Lefebvre comme une “ contrainte par la
Providence ”.
Aujourd’hui,
Benoît XVI affirme à Mgr Fellay que l’argument de l’état de
nécessité ne peut plus être employé pour justifier la désobéissance
et la séparation.
•
La “ structure d’Église ” à accorder à la FSSPX, c’est-à-dire
le statut canonique à lui reconnaître, ne semble pas poser un problème
insurmontable. Une plus grande libéralisation de la messe traditionnelle
semble aussi, selon d’autres sources, pouvoir intervenir lors du
prochain synode sur l’Eucharistie, en octobre prochain.
Reste
la question du concile Vatican II. Benoît XVI a affirmé, rapporte Mgr
Fellay, “ qu’il n’y avait qu’une manière d’être dans l’Église
catholique : c’est d’avoir l’esprit de Vatican II interprété
à la lumière de la Tradition ”. “ Perspective ”
effrayante commente Mgr Fellay.
On
remarquera, néanmoins, que Mgr Fellay ne rejette pas tout le concile
Vatican II en tant que tel. Il parle certes des “ erreurs du
concile ” mais aussi, d’une manière plus limitée, des “ sérieuses
restrictions ” à faire à “ l’interprétation ” du
concile. L’abbé Schmidberger, premier assistant général de la FSSPX
et qui participait à la rencontre du 29 août, avait évoqué déjà “ beaucoup
de déformations nées du concile Vatican II et à une certaine façon de
comprendre l’œcuménisme et la liberté de religion ”
(déclaration à l’agence APIC le 30 août 2005). “ Mauvaise
interprétation ” et “ déformations ” ne signifient
pas rejet entier.
On
en reviendrait ainsi à un des points de l’accord, éphémère, du 4 mai
1988 : “ À propos de certains points enseignés par le
concile Vatican II […] et qui nous paraissent difficilement conciliables
avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d’étude
et de communication avec le Siège apostolique, en évitant toute
polémique. ” |