Document :
Lettre
d'un catholique français perplexe au Saint Père
Très
Saint Père,
Lors
du congrès Eucharistique de Bari, vous avez voulu redonner de l'éclat,
de la valeur et de la spiritualité au Jour du Seigneur, en insistant
notamment sur l'assistance à la Sainte Messe, appelée aussi
Célébration ou Eucharistie.
Le
dimanche 19 juin, à l'occasion d'une Célébration dominicale offerte
pour l'anniversaire de la mort d'un membre de ma famille, je me suis
rendu dans une paroisse de la banlieue parisienne. Toute cette
Célébration fut faite en langue vernaculaire. Dans le livre, mis à la
disposition des fidèles, les mots “ Récit de
l'institution ” sont écrits en marge des textes de la
Consécration. Les hosties, destinées à la communion des fidèles,
étaient mises dans un ciboire en bois. Ce dimanche-là, ai-je reçu le
Corps de Christ (Messe catholique) ou une simple hostie (cène
protestante)? J'en frémis encore. Vous comprendrez, Très Saint Père,
que le dimanche suivant, je sois revenu dans la chapelle où est
célébrée la Sainte Messe, selon le rite tridentin par des prêtres de
la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X.
À
la sortie de cette Célébration du 19 juin, mes nièces m'ont
présenté quelques jeunes avec lesquels j'ai parlé des JMJ de Cologne,
journées inoubliables qui réconfortent et rendent heureux. Pour ces
jeunes, le Saint Père, Jean-Paul II, est vraiment un saint. Je les
comprends. Mais moi, leur oncle, je ne puis oublier que votre
prédécesseur est le pape qui a embrassé le Coran, ce qui pour un
musulman représente un acte de soumission à la volonté du Coran.
Comment est-il possible de croire un livre qui demande de lapider une
femme adultère, alors que dans nos Saints Evangiles Notre Seigneur dit
à cette même femme, en lui pardonnant : “ Va et ne pêches
plus ”. En 1985, au Maroc, le Saint Père a dit à la jeunesse
musulmane de ce pays : “ Nous croyons au même Dieu ”.
Mais l'Islam nie la Trinité et nous traite d'idolâtres. En 2000, en
Terre Sainte au bord du Jourdain, il s'est écrié : “ Puisse
St Jean baptiste protéger l'islam ! ”. Quelle
horreur ! Auparavant en 1980, à Mayence, il leur a dit aussi cette
phrase : “ Vivez votre foi, même en terre étrangère ”.
Je ne comprends plus. Les paroles de Notre Seigneur : “ Allez
enseigner toutes les Nations, baptisez-les … ” seraient-elles
devenues caduques ? Très Saint Père, je ne comprends plus. Santo
subito? Je suis perplexe.
Que
dois-je dire à mes nièces et à leurs amis des JMJ qui seront tous
heureux de vous retrouver à Cologne ? Très Saint Père, s'il vous
plaît, dites-leur que le prêtre est un autre Christ, qui, lorsqu'il
prononce les paroles de la Consécration le calice en main, se trouve
lui aussi au Calvaire au moment où Notre Sauveur s'écrie : “ Mon
Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? ” et rend son âme à
son Père.
Un
autre sujet me trouble également. J'ai cru comprendre que lorsque vous
serez à Cologne, vous iriez à la synagogue de cette ville. C'est une
très bonne initiative. Mais quelles paroles direz-vousÊ? Le plus
illustre de vos prédécesseurs, le premier Pape, saint Pierre,
l'Apôtre et le Martyr, a prononcé deux admirables homélies que nous a
retranscrites saint Luc dans les Actes des Apôtres : l'une au
Chap. 2, V, 14-36, le jour de la Pentecôte et la seconde au Chap.
3, V, 12-36, quelques heures plus tard, dans le Temple même de
Jérusalem.
Très
Saint Père, reprenez cette homélie à Cologne et je ne serai plus
perplexe. Je comprendrai alors que la Tradition Apostolique peut
revenir. Les Israélites ne sont pas nos “ grands frères ”,
car le devoir du “ grand frère ” serait alors de prendre
la main du “ petit frère ” et de le conduire à la
synagogue d’où Notre Seigneur nous a précisément sortis.
Très
Saint Père, je ne comprends plus ! Je continuerai donc à fréquenter
les prêtres de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X en suivant la
Sainte Messe avec le missel que m'ont offert en 1948 mes parents,
ouvriers agricoles. Il me faut rester fidèle à ce que j'ai reçu.
Comme
vous l'avez dit le bateau prend eau. Dans ce cas, n'est-ce pas au
capitaine de redresser la barre, Très Saint Père ? Chaque jour, avec
mon épouse, nous prions pour que le Saint-Esprit inspire au successeur
de Pierre ce qu'il faut pour tenir la barre et rester ferme dans la Foi,
reçue des Apôtres.
Tonton
Jean
(C'est
ainsi que m'appellent mes nièces)
Ce
texte est extrait du numéro d’août 2005 de la revue Credo (11
rue du Bel-air, 95300 Ennery). Cette revue est l’organe de l’association
du même nom, fondée en 1977 par l’écrivain Michel de Saint-Pierre et
liée aujourd’hui à la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X.
Cette
adresse respectueuse à Benoît XVI est celle d’un simple fidèle – l’Association
est présidée par Jean Bojo. Plus que des démonstrations
théologiques qui, paradoxalement, courent le risque de la
simplification, de la caricature et, même de l’omission, cette
interpellation a la saveur de l’authenticité et de la simplicité. Elle
exprime le trouble, le scandale-même, qu’ont pu éprouver des fidèles,
dans le monde entier, suite à certains gestes, certaines initiatives,
certaines paroles de Jean-Paul II.
Depuis
qu’il a été élu au Souverain Pontificat, Benoît XVI n’a pas
manqué de recevoir des lettres de fidèles, de France et d’ailleurs,
attachés à la Tradition, et des suppliques et pétitions d’associations,
lui demandant des rectifications et des éclaircissements doctrinaux et
une liberté entière pour le rite traditionnel de la messe. À l’inverse,
une campagne médiatique s’est développée, surtout ces derniers temps
à l’approche des JMJ organisées à Cologne, pour mettre en cause son
“ traditionalisme en matière de mœurs et la lenteur des progrès
sur l’œcuménisme ” (Le Figaro, 11 août 2005).
Les
allocutions et sermons que le Pape Benoît XVI va prononcer aux JMJ de
Cologne sont attendus par les uns et par les autres. Chacun y cherchera
réponse à ses questions ou à ses interpellations, contradictoires, et,
pour certains, à ses sommations. Les JMJ de Cologne seront un “ test ”
disent déjà certains.
L’adresse
du “ catholique français perplexe ”, que nous avons
reproduite plus haut, est modeste et respectueuse. Elle est patiente
aussi, nous semble-t-il.
Dans
l’Eglise, les rectifications et restaurations se font rarement d’un
seul coup. Benoît XVI ne répondra sans doute pas aux attentes des uns et
des autres exactement de la façon dont ils le souhaitent. Un Pasteur en
charge de l’Eglise universelle a forcément une vue universelle des
besoins du Peuple de Dieu. Il a aussi une vision surnaturelle de l’Eglise,
il sait, comme ses prédécesseurs, que l’Eglise ne se dirige pas comme
une commune ou comme un pays, à coup de règlements, d’ordonnances et
de lois qui peuvent annuler les précédentes. Il n’en reste pas moins
que les fidèles peuvent être attentifs à certains signes, certaines
décisions.
Les
catholiques attachés à la Tradition auront peut-être été attentifs au
fait qu’un des premiers évêques nommés en France a été M. l’abbé
Raymond Centène, nommé évêque de Vannes. L’abbé Centène a été
membre du comité de rédaction de Kephas dès son premier numéro
et il y a publié plusieurs articles. Kephas est la revue dirigée
par M. l’abbé Le Pivain, prêtre de la Fraternité Saint-Pierre (même
si la revue ne dépend pas de la Fraternité Saint-Pierre) ; elle s’est
voulue dans la continuité de la Pensée Catholique du regretté
abbé Lefèvre.
Autre
événement, sur lequel je me garderai bien d’entrer en
conjecture : le 29 août prochain, Mgr Fellay, Supérieur général
de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, sera reçu en audience par
Benoît XVI. Avant même l’élection du cardinal Ratzinger au Souverain
Pontificat, dans les jours qui avaient précédé le conclave, des
contacts, téléphoniques, avaient renoué les liens entre le futur pape
et la FSSPX.
Cette
audience accordée à Mgr Fellay est-elle une étape dans de nouvelles
négociations entre le Saint-Siège et la FSSPX ? Sans répondre à
cette question, on peut indiquer quelles sont les analyses et les demandes
que le Supérieur général de la FSSPX va présenter au Saint-Père. Le
16 juillet dernier, il a accordé un long entretien au bulletin D.I.C.I..
On y lit notamment les propos suivants :
Si
l’on peut dire qu’avant son accession au souverain pontificat l’Eglise
était en chute libre, Benoît XVI ouvrira un parachute, et il y aura un
certain coup de frein. Un coup de frein qui pourra être plus ou moins
important selon que le parachute sera plus ou moins vaste. Mais la
direction reste la même. Faut-il espérer plus que ce coup de
frein ? Les promesses de N.S. valent pour toujours. Et le Bon Dieu
se sert de tout pour faire avancer son Eglise là où il veut.
Permettez-moi
de vous donner un avis personnel : si Benoît XVI est mis au pied
du mur, dans une situation de crise, face à une réaction très
violente des progressistes, ou bien devant une crise politique, des
persécutions, je pense - en observant comment il a agi et réagi jusqu’ici
- qu’il fera le bon choix.
Voici
quelques faits :
-
À sa nomination à l’évêché de Munich, en 1977, alors qu’il n’a
été jusqu’à présent que professeur de théologie, il rentre dans
le concret et il est obligé d’interdire à un de ses amis d’occuper
la chaire de théologie de la Faculté. Ce qui va lui valoir l’opposition
de ses anciens amis.
-
En France, en 1983, il rappelle que le catéchisme est le catéchisme
romain c’est-à-dire celui du concile de Trente. Et il affrontera l’ire
des évêques de France.
-
On sait que le cardinal Ratzinger était opposé à la rencontre
interreligieuse d’Assise, en 1986, et qu’il n’y est pas allé. La
seconde fois, en 2002, toujours opposé, il a été contraint de s’y
rendre. Et il donnera plusieurs fois sa démission comme préfet de la
Congrégation de la foi à cause de désaccords avec le pape, notamment
sur Assise.
-
La Charte de Cologne, en 1989, signée par 500 théologiens contre le
magistère romain, rassemblait la grande majorité des forces
intellectuelles catholiques de l’époque. Ils manifestaient
ouvertement leur hostilité à Rome et au magistère. Le cardinal
produisit alors des écrits sur la nouvelle théologie. Dans une
description très fine et réaliste, il faisait apparaître l’étendue
de la gravité. Malheureusement les remèdes proposés étaient très en
deçà du diagnostic, quasiment nuls. […]
DICI :
Si vous étiez reçu par le pape, que lui demanderiez-vous ?
Mgr
Fellay : Je lui demanderais la liberté de la messe pour tous et dans le
monde entier. Dans notre situation personnelle, il s’agira également
de rétracter ce décret d’excommunication relatif aux sacres. Ce sont
les deux préalables que nous ne pouvons dissocier d’une discussion
doctrinale ultérieure. On sait bien que tout ne se limite pas à la
messe, mais il faut commencer par du concret ; il faut commencer
par un début. Ce serait une brèche très profonde et efficace dans le
système progressiste ; cela amènerait graduellement un changement
d’atmosphère et d’esprit dans l’Eglise.
Un
chef de dicastère à Rome, en voyant nos processions lors de l’Année
Sainte, en 2000, s’est exclamé : “ Mais ils sont
catholiques, nous sommes obligés de faire quelque chose pour eux ”.
Il y a encore des évêques, des cardinaux qui sont catholiques, mais le
mal est tellement répandu que Rome n’ose plus prendre le bistouri. […]
Car Ecône n’est pas contre Rome, comme le disent les journalistes.
Nous partageons avec le pape Benoît XVI le même constat sur la
situation dramatique de l’Eglise. Et comment ne pas être d’accord
sur ce constat lorsqu’on voit la chute des vocations : à Dublin
en Irlande, l’an dernier, il n’y aurait eu aucune entrée de
séminaristes ! Chez les jésuites il y a un an ou deux, on a
compté seulement sept professions perpétuelles pour toute la
congrégation ! Mais Rome ne remonte pas à la cause des effets que
tout le monde constate, parce que cela équivaudrait à une remise en
cause du concile. Il faut que Rome retrouve sa Tradition. Bien
sûr, ce n’est pas nous qui convertissons, c’est Dieu ; mais
nous pouvons apporter notre petite pierre à la restauration, nous
devons faire tout ce que nous pouvons. Il faut faire comprendre que la
Tradition n’est pas un état archéologique : c’est l’état
normal de l’Eglise aujourd’hui encore. […] L’Eglise dont le
cardinal Ratzinger a reconnu qu’elle prenait “ l’eau de
toutes parts ” a besoin de se tourner vers sa Tradition
oubliée. Nous en vivons et en jouissons pleinement. Nous donnons la
preuve que la Tradition n’est pas dépassée, mais au contraire
adaptée au temps présent, parce qu’elle est universelle, parce qu’elle
se situe dans la ligne ininterrompue des principes éternels. Et parce
que Dieu ne change pas.
|