Le
Congrès sur la laïcité et l’abbé de Tanoüarn
À
l’initiative des Cercles de Tradition, c’est-à-dire principalement de
l’abbé de Tanoüarn, s’est tenu à Paris, au Palais de la Mutualité,
le dimanche 6 février, un Congrès : “ Laïcité et Chrétienté.
La Guerre des deux France. 1905-2005 ”. Ce Congrès a rencontré,
paraît-il[1], un grand succès :
“ un millier ” de participants selon Libération (7 février
2005) ; “ près de 1.600 personnes ” selon celui qui
signe Joël Prieur dans Minute (9 février 2005), “ près de
2.000 personnes au fil de la journée ” selon l’abbé Aulagnier,
toujours prompt à l’enthousiasme (Item, 8 février2005).
Il
est à noter que ce succès est intervenu malgré les mises en garde des
autorités de la Fraternité-Saint-Pie X et de quinze associations proches
d’elle qui considéraient que cette initiative allait entretenir le “ climat
de fronde ” qui secoue la Fraternité depuis plusieurs mois
maintenant ; les abbés Laguérie et Héry, exclus de la FSSPX, ayant
annoncé leur présence au congrès.
L’abbé
Aulagnier, autre exclu de la FSSPX antérieurement, était présent lui
aussi. Il note que ses deux confrères Laguérie et Héry “ ne
furent pas ovationnés ni acclamés. Cette journée ne fut nullement un
“meeting Laguérie“… ”.
On
ajoutera que certains, qui lisent toute l’histoire humaine comme une
suite de complots, avaient annoncé rien moins qu’une “ prise et
occupation de Saint-Nicolas-du-Chardonnet ” par les abbés Laguérie,
Héry et de Tanoüarn. Les adeptes des théories conspirationnistes
avaient imaginé et diffusé plusieurs scénarios possibles. Non
seulement, bien sûr, aucun de ces plans ne s’est réalisé, mais
l’hypothèse n’en avait même jamais été envisagée par les
organisateurs du congrès.
Ce
Congrès ne fut pas la première initiative des catholiques. Jean Madiran
a justement rappelé qu’avant ce congrès du 6 février, “ les réactions
catholiques à la nouvelle laïcité ont été nombreuses, dynamiques,
fortement argumentés ” (Présent, 12 février 2005).
Il y a eu le colloque organisé par le Centre Charlier en janvier 2004
(dont les actes sont parus, en partie, dans le mensuel Reconquête),
puis le pertinent livre de Rémi Fontaine, préfacé par Dom Gérard (La
Laïcité dans tous ses débats, Editions de Paris, avril 2004), et
aussi la XIIIe Université d’été de Renaissance catholique organisée
en juillet 2004 et consacrée au “ piège de la laïcité ”
(plusieurs conférenciers de juillet ont pris aussi la parole au congrès
du 6 février). On ajoutera à ces initiatives, plusieurs articles
de Jean Madiran parus dans Présent depuis 2002. Par ailleurs,
semble-t-il, Jean Madiran prépare un ouvrage sur la laïcité.
Il
est donc exagéré de dire que jusqu’au Congrès du 6 février “ les
catholiques étaient restés étrangement discrets sur le sujet ”
(l’expression est de celui qui signe Joël Prieur dans Minute).
Une
expulsion officielle mais non publique
Une
des conséquences les plus surprenantes, pour l’observateur extérieur,
de ce Congrès du 6 février est la sanction qui est en train de frapper
son principal organisateur et animateur, l’abbé Guillaume de Tanoüarn.
Les autorités de la FSSPX lui ont signifié, en décembre dernier, une
mise à l’épreuve de trois mois. Au lendemain du Congrès du 6 février,
il lui a été signifié oralement que cette mise à l’épreuve
n’avait pas été jugée concluante et ne serait donc pas renouvelée.
Si l’on comprend bien, l’organisation d’un Congrès sur la laïcité
faite sans l’assentiment des autorités de la FSSPX, va constituer un
des motifs de l’expulsion de l’abbé de Tanoüarn de la FSSPX. On se
gardera bien de juger, ici, des autres motifs disciplinaires qui pourront
être avancés.
Ce
n’est certainement pas aux laïcs de prendre parti dans les affaires
internes d’une société religieuse. En revanche, dans la mesure où il
s’agit aussi d’un homme public, il est permis aux laïcs de dire leur
estime. Or, l’abbé de Tanoüarn a été, sans conteste, un des prêtres
les plus intellectuellement actifs de la FSSPX. Les publications qu’il
dirige (Certitudes et Pacte), ses livres (La Tradition
sans peur, livre d’entretiens avec l’abbé Aulagnier, paru en 2001
et Vatican II et l’Evangile, publié en 2003), les colloques et
symposiums qu’il a organisés ou co-organisés, montrent une ardeur et
une agilité d’esprit qui ne sont pas si répandues que cela dans la
FSSPX.
La
FSSPX pourra-t-elle continuer à prospérer sans l’acribie
intellectuelle de l’abbé de Tanoüarn, comme elle a continué à prospérer
sans l’enthousiasme et l’esprit d’initiative de l’abbé Aulagnier ?
Oui, bien sûr. Elle continuera à prospérer dans ce qui a fait sa
mission première : une fonction de suppléance. Dans le domaine
liturgique et sacerdotal – la formation de saints prêtres –, dans le
domaine liturgique – le maintien de la messe traditionnelle –,
puis dans le domaine éducatif – 21 écoles privées hors-contrat
dans toute la France, de la maternelle à l’enseignement universitaire.
Mais
l’expulsion, prévisible, de l’abbé de Tanoüarn accentuera
l’impression que les autorités de la FSSPX coupent “ les têtes
qui dépassent ” (selon l’expression employée par Jean Madiran
dans Présent, 10 septembre 2004). Que ces autorités ne savent pas
admettre “ la cohabitation amicale d’autonomies respectueuses de
leurs propres limites ” (id.).
Pourtant,
encore une fois, ce qui me semble en jeu dans la crise qui traverse la
Fraternité Saint-Pie X, ce n’est pas d’abord une question de
personnes mais des questions de discipline et d’identité sacerdotales :
quelle doit être la forme de vie des prêtres de la FSSPX, quelles formes
doit prendre prioritairement leur apostolat ?
Le
recentrage sur la vie communautaire et spirituelle voulue, semble-t-il,
par le Supérieur du district de France de la FSSPX, a conduit à des
sanctions contre quelques-uns des prêtres les plus brillants et les plus
actifs. Il a jugé et il juge que la FSSPX peut se passer, se priver
d’eux. Est-ce une maladresse insigne, un risque inconsidéré ou, au
contraire, un acte de courage inspiré par des motifs uniquement
spirituels et en vue de favoriser la sanctification de tous (prêtres et
fidèles) ?
Ce
n’est point au fidèle de l’extérieur à juger des actes et des
intentions des uns et des autres. Mais, il est sûr que, où qu’il se
trouve demain, on ne pourra qu’être attentif aux initiatives et aux écrits
de l’abbé de Tanoüarn, une des plus belles intelligences qu’aura eue
(qu’a encore ?) la FSSPX. Comme son cher Cajétan – le grand théologien
thomiste du XVIe siècle – , il est un homme de transition. |