Une
lettre inédite d’Etienne Gilson sur Teilhard de Chardin et sur la crise
de l’Eglise
En
1967, Etienne Gilson publiait, aux éditions Vrin, Les Tribulations de
Sophie, un ouvrage de 167 pages qui rassemblait diverses études
consacrées, entre autres, à l’ “ Actualité de saint
Thomas d’Aquin ”, au “ cas Teilhard de Chardin ” et
aussi des “ Divagations au milieu des ruines ”, les ruines
dont il est question étant “ les ruines que l’après-concile
accumule autour de nous ” (p. 162).
Cette
même année 1967, Etienne Gilson acceptait que la revue Itinéraires
de Jean Madiran publie une nouvelle édition de Christianisme et
philosophie, ouvrage paru pour la première fois en 1936[1].Pour
cette réédition dans cinq numéros de la revue de Jean Madiran, Etienne
Gilson avait rédigé un nouvel “ Avant-propos ” où il
expliquait pourquoi lui, chrétien réputé de gauche, il acceptait de
paraître dans une revue apparemment éloignée de ses vues temporelles.
Etienne Gilson voulait qu’on interprète la publication d’un de ses
ouvrages dans la revue de Jean Madiran comme “ une volonté d’union
sur l’unique nécessaire en un temps où plusieurs de ceux qui en ont la
garde semblent le perdre de vue et paraissent même vouloir nous en
détourner. ” Il écrivait aussi : “ On ne peut rien
faire d’utile pour l’Eglise à moins de s’établir d’abord dans un
climat de foi commune, de grâce et d’amitié. ”
Etienne
Gilson a eu un sens aigu de la crise de l’Eglise. Dans la préface aux Tribulations
de Sophie, datée du 30 avril 1967, il estimait : “ Le
désordre envahit aujourd’hui la chrétienté ; il ne cessera que
lorsque la dogmatique aura retrouvé son primat naturel sur la
pratique. ”
Deux
ans après la parution des Tribulations de Sophie, un prêtre,
religieux marianiste, le P. Boulet écrivait à Etienne Gilson pour s’étonner
de sa “ modération ” et de son “ indulgence ”
à l’égard de Teilhard de Chardin[2].
Le philosophe lui répondit par une lettre, intéressante, que nous
publions pour la première fois, avec l’autorisation bienveillante de
son destinataire[3].
Etienne
Gilson exprime, sans fard, son sentiment sur l’œuvre de Teilhard de
Chardin et sur la crise que traverse l’Eglise.
89
– Vermenton
12 mai 1969
Monsieur
l’abbé
Votre
lettre m’a beaucoup amusé, car je reçois d’ordinaire des
protestations indignées contre les mauvais traitements que j’ai fait
subir au pauvre P. Teilhard, alors que vous me reprochez le contraire.
Mon
excuse pour tant de modération est que je sens pour son œuvre une détestation
si profonde, une révulsion si exaspérée que je dois me pencher en
sens contraire pour ne pas laisser la violence prendre le dessus.
Une
autre raison est que ces détestations totales sont généralement le
signe d’une présence réelle, de quelque chose qui est là et demande
qu’on lui fasse droit. J’ai remarqué cela dans les arts :
Stravinsky et Picasso n’auraient pas provoqué, jadis et naguère, des
réactions si violentes si l’un et l’autre n’avaient été quelqu’un.
Mon horreur morbide pour Hegel me fait craindre de manquer un bien que
je n’ai pas la perspicacité de découvrir. Et justement, Teilhard…
que j’abomine, me revenait hier à la mémoire en relisant Darwin, The
Descent of Man. Il m’est soudain venu à l’esprit : au
moins, Teilhard aurait écrit “The Ascent of Man “. Que
l’évolution, si elle est plus que simple changement, soit une montée
plutôt qu’une descente, que le singe soit monté vers l’homme
plutôt que l’homme ne soit descendu du singe, lui du moins l’aura
vu. Il faut lui en savoir gré.
Et
puis, j’ai eu des violences, je les ai toutes regrettées tôt ou
tard.
Ou
simplement, je deviens vieux. Plus exactement, je le suis devenu ;
il est très vrai, comme vous le dites, que les esprits qui trouvent
dans Teilhard de quoi justifier leur sentiment d’être chrétiens se
font illusion. Mais j’en connais personnellement au moins deux. Ce
sont des “ scientifiques ” ; hors de leurs
spécialités, ils raisonnent comme des enfants, mais j’en suis venu
à me demander si ces enfants-là aussi ne sont pas de ceux que Jésus
veut qu’on laisse venir à lui ? Je ne sais pas. Aussi suis-je d’autant
moins exigeant pour les autres que je le suis plus pour moi-même. On ne
peut attendre que l’Eglise ne se compose que de saints Thomas d’Aquin…
La contestation actuelle qu’évoque la fin de votre lettre ne me
semble pas due à Teilhard, même en partie, car lui fait partie des
symptômes de ce cancer généralisé. Des fous demandent aujourd’hui
la réhabilitation de Luther, et je ne serais pas autrement surpris qu’on
introduisît la cause de sa béatification en Cour de Rome. Alors le
pauvre Teilhard, avec son optimisme larmoyant, fera figure d’un petit
François d’Assise en comparaison avec l’apôtre du Pecca
fortiter. Je crains que nous ne voyions pire à brève échéance.
Mais
je vous remercie de votre aimable lettre ; nous ne sommes pas seuls
à souffrir de ce qui se passe et je reconnais que des réactions plus
violentes que les miennes sont sans doute bienfaisantes, nécessaires
même. Il y en a d’ailleurs. Il y en a même de parfaitement
objectives et équilibrées, je plaide donc coupable. Teilhard a
désormais d’éminents avocats dans la Commission romaine e
théologiens : nous n’en sommes pas, nous autres laïcs, à
exiger la rigueur théologique, en un temps où notre hiérarchie s’amuse
à fronder le pauvre pape Paul VI, qu’ils ont littéralement
crucifié.
Et
prions Dieu que tous nous veuille absoudre ![4]
Avec
mes remerciements, veuillez agréer l’assurance de mes sentiments
respectueusement dévoués.
Etienne
Gilson
La
controverse sur l’anaphore de Addaï et Mari
L’anaphore
de Addai et Mari, en usage chez les Nestoriens, est une anaphore qui a la
particularité de ne pas comporter de récit de l’Institution. Une “ Note ”
du Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des Chrétiens,
publiée le 20 juillet 2001, a autorisé comme “ valide ” l’utilisation
d’une telle anaphore dans la liturgie catholique. Cette décision a
suscité une controverse publique, en même temps qu’elle rencontrait de
vives critiques dans certains milieux romains.
Divinitas,
revue internationale de recherche et de critique théologique publiée au
Vatican sous la direction de Mgr Gherardini, publie un numéro spécial de
296 pages entièrement consacré à ce sujet[5].
Le fait même est significatif du non-monolithisme qui règne désormais
au Vatican.
La
perspective des études publiées est scientifique et doctrinale mais les
douze articles historiques, théologiques ou liturgiques laissent s’exprimer
des avis très divergents sur la question.
Après
une traduction intégrale en italien de l’anaphore et la publication de
la note du Conseil pour l’Unité des Chrétiens, on trouve les articles
suivants :
A.
Gurati, A proposito degli “Orientamenti“.
Yves
Chiron, La réception de l’Anaphore de Addaï et Mari en France.
Enrico
Maza, Che cos’è l’anafora eucaristica ?
Bonifacio
Honings, Addai e Mari : l’anaphora della Chiesa d’Oriente.
Robert
F. Taft, Messa senza consacrazione ? Lo storico accordo sull’Eucaristia
tra la Chiesa cattolica e la Chiesa assira d’Oriente promulgato il 26
ottobre 2001.
Cesare
Giraudo, L’anaphora degli apostoli Addai e Mari : la “ gemma
orientale ” della Lex orandi.
Enrico
Mazza, Le récent accord entre l’Eglise Chaldéenne et l’Eglise
Assyrienne d’Orient sur l’Eucharistie.
Brunero
Gherardini, Le parole della Consecrazione eucaristica.
David
Berger, “Forma huis sacramenti sunt verba Salvatoris ” –
DieForm des Sakramentes der
Eucharistie.
Thomas
Marschler, Neues und Altes zur Eucharistischen Sakramentenform.
U.M.
Lang, Eucharist without Institution Narrative ? The Anaphora
of Addai and Mari revisited.
Renzo
Lavatori, Il contesto mariologico nella liturgia della Chiesa
siro-orientale.
Vient
de paraître
.
Michel de Penfentenyo, Turquie : Un national-islamisme au cœur
de l’Europe ?, Éditions de L’Homme Nouveau (10 rue de
Rosenwald, 75015 Paris), 2004, 32 pages, 6 euros franco.
Michel
de Penfentenyo, qui a été secrétaire général de la Cité catholique,
puis vice-président et directeur de l’Office, publie une brochure pour
accomplir, dit-il, un “ double devoir : devoir de mémoire et
devoir de lucidité ”. À l’heure où l’adhésion de la Turquie
à l’Union Européenne est l’objet d’un large débat public dans
différents pays —rappelons, pour mémoire, la position prudente et
inquiète de l’épiscopat allemand et celle, négative, du cardinal
Ratzinger — , Michel de Penfentenyo apporte, principalement par une
évocation très détaillée du génocide arménien de 1915, des réponses
aux questions suivantes : “ D’où vient la nation
turque ? Quels ont été ses comportements habituels, ses traditions,
son atavisme, ses caractères propres en tant que nation ? Quelle est
la nature de l’islam turc ? ”.
.
Paul Sernine répond à ses lecteurs, Editions du Zébu (J.B.
Chaumeil, 16 rue Brézin, 75014 Paris), 2004, 32 pages, 6 euros franco.
Le
livre de Paul Sernine (abbé Grégoire Celier), La Paille et le
sycomore, publié il y a un an, a suscité une vive controverse. Il
établissait une critique des thèses d’Etienne Couvert sur la “ gnose ”,
thèse diffusée depuis vingt ans maintenant par différents livres :
De la gnose à l’œcuménisme (1983), La gnose contre la foi (1989),
La gnose universelle (1993), La vérité sur
les
manuscrits de la mer Morte (1995), La gnose en question (2002)[6].
Les
ouvrages d’Etienne Couvert — et ses thèses nouvelles, sur les
origines du bouddhisme, par exemple – n’ont pas retenu l’attention
des revues scientifiques ; pareillement, la controverse lancée
par Paul Sernine s’est principalement limitée au milieu
traditionaliste.
Dans
la brochure publiée aujourd’hui, qui se présente comme un entretien
avec Philippe Vilgier, Paul Sernine répond aux arguments qui lui ont
été opposés par les partisans des thèses d’Etienne Couvert.
Les
réponses de Paul Sernine sont d’ordre formel et factuel. Une autre
réponse à Etienne Couvert et à ses partisans est parue : signée
Anselme Farigoule (Un dossier sur la gnose, 40 pages), elle aborde
diverses questions de fond et de méthode. Mais cette étude, pour l’instant,
n’est pas diffusée dans le public.
.
Bulletin Charles Maurras (16 rue du Berry, 36250 Niherne), n°
24, octobre-décembre 2004, 40 pages, 8 euros.
Ce
numéro contient un dossier consacré à “ Pie XI, Maurras et l’Action
Française ” dont voici le sommaire :
-
Charles Maurras, Le grand deuil de l’Eglise (reproduction de l’article
paru dans L’Action française le 11 février 1939).
-
Yves Chiron, Pie XI et Maurras.
-
Abbé Guillaume de Tanoüarn, La grandeur de Pie XI.
-
Théophane Breton, Le “Pie XI“ de Yves Chiron. |