Jacques
Duquesne, lecteur du R.P. Cerbelaud
Il
y a dix ans, Jacques Duquesne publiait un Jésus qui balayait
nombre de dogmes et de croyances avec un aplomb paré d’un vernis pseudo
scientifique. “ Les théologiens se sont gentiment moqués de cette
entreprise vulgaire qui ressemblait à une arnaque ” rappelle le
R.P. Verdin o.p.[1]. L’ouvrage,
servi par un battage médiatique doublé d’une campagne publicitaire, s’était
vendu à 400.000 exemplaires.
Aujourd’hui,
Jacques Duquesne récidive avec un ouvrage consacré à la Mère de Dieu[2].
Il a l’ambition d’aller “ à l’encontre de ce qui a été
présenté des siècles durant comme des vérités absolues ” (p.
13), en l’occurrence : l’Immaculée Conception de Marie, l’Annonciation,
la conception virginale de Jésus, l’Assomption. Avec, en point d’orgue,
un chapitre 6 intitulé “ Marie, mère de famille nombreuse ”.
Jacques Duquesne entend démontrer que Jésus eut des frères et des sœurs.
Il affirme : “ Que Marie ait été mère de famille nombreuse,
voilà une affirmation qui ne pose plus de problème aux historiens, ni
aux exégètes (même si tous ne l’avouent pas nettement) ”[3].
Ce
Marie, achevé d’imprimer en juin, a été diffusé cet été
pour faire l’objet de recensions et être présent dans toutes les
librairies avant la venue du Pape à Lourdes, le 15 août. Jacques
Duquesne, homme de presse, savait que le voyage de Jean-Paul II allait
susciter, dans tous les journaux et toutes les revues, des articles sur
Lourdes et sur la Vierge Marie et que les télévisions et les radios
consacreraient des reportages à l’événement. En effet, pas un organe
d’informations n’a manqué et presque tous ont signalé ou recensé l’ouvrage
de Jacques Duquesne. Cette manœuvre habile et réussie a été prolongée
par une campagne de publicité coûteuse (presse et radio) qui dure
encore. Jacques Duquesne est en passe de connaître à nouveau un énorme
succès de librairie.
Il
se défend d’avoir voulu réaliser un “ coup marketing ”.
Il affirme avoir travaillé à ce livre depuis trois ans. Pourtant, en
bien des endroits, ce livre sent la précipitation. Il a été sinon
conçu du moins achevé à la va-vite et très mal relu. On passera sur
les nombreuses fautes de frappe : “ Assises ”
(p. 132), “ Nicolas de Talentino ” pour Tolentino (p.
141), “ 1975 ” pour 1935, date d’un message de Pie
XI (p. 163), “ Cenetto ” pour Ceretto, lieu d’apparition
de la Vierge (p. 220), d’autres encore.
Moins
excusables sont les bourdes ou erreurs de copie qui témoignent d’un
savoir approximatif. Comment Jacques Duquesne peut-il écrire “ hécharitomène ”
(p. 33) pour le célèbre “ kecharitômêne ” de l’Annonciation ?
N’est-ce pas une lecture trop rapide qui lui fait appeler “ Gui François ”
(p. 139) le languedocien Gui Foucois (le pape Clément IV) ? Et que
dire de ce “ Paul Newman, le célèbre théologien
catholique britannique ” (p. 212).
Outre
ces erreurs factuelles, on reste ébahi par l’embrouillamini des
références (par exemple, page 221, sur la question des révélations
privées, Jacques Duquesne cite de seconde main, sans le dire). Pour
détruire toutes les croyances et dogmes relatifs à Marie, il n’hésite
pas à faire flèche de tout bois. Il utilise et cite les travaux
dévastateurs des historiens juifs récents de Jésus. Il cite Pères de l’Eglise
et théologiens. Mais les a-t-il bien lus et compris ? Par exemple,
il cite saint Thomas d’Aquin de la manière suivante : “ l’Esprit-Saint
n’a pas produit la nature humaine dans le Christ à propos de sa
propre substance ” (p. 57), il faut lire, bien sûr : “ à
partir de sa propre substance… ”.
Ailleurs,
il fait référence à un sermon de saint Augustin (Sermo de tempore
XXII) pour se moquer de l’explication de la conception
virginale qui y est donnée : “ la fécondation se serait
faite par l’oreille ” (p. 55) commente-t-il. Voltaire déjà s’était
saisi de ce texte y trouvant du “ ridicule divin ”. Or, c’est
un sermon apocryphe. On le sait depuis longtemps[4].
Au-delà
de la “ bêtise ergotante ” de Jacques Duquesne[5],
ce livre est révélateur de la vulgarisation (au sens littéral comme au
sens figuré) d’une certaine exégèse critique. À plusieurs reprises
dans son livre, Jacques Duquesne dénonce la “ surenchère ”
qui se serait fait jour dans le domaine de la mariologie à partir du
concile d’Ephèse (celui où a été donné à Marie le titre de “ Mère
de Dieu ”).
La
même idée a été exprimée, il y a un an, de manière plus savante et
moins provocatrice, par un théologien dominicain, le R.P. Dominique
Cerbelaud. Il parlait, lui, d’ “ inflation dogmatique ”
et d’ “ inflation mariale ”[6].
Son ouvrage a été largement utilisé et cité par Jacques Duquesne.
Le
théologien dominicain, professeur à l’université catholique de Lyon,
n’a pas la brutalité du journaliste, mais son travail, articulé en
douze thèses, tend à montrer que toute la dogmatique mariale repose sur
l’affirmation de la conception virginale et que c’est “ l’article
qui fait tenir ou tomber toute la mariologie ” (p. 293). Sous
couvert de questions, le théologien dominicain en arrive à remettre en
cause tout l’édifice doctrinal sur la Vierge Marie : “ la
relativisation de l’aspect physiologique de la virginité in partu,
fréquente chez les théologiens catholiques contemporains, peut conduire
à se poser des questions analogues sur la virginité ante partum,
c’est-à-dire sur la conception virginale : ne convient-il pas de l’entendre,
elle aussi, au sens “symbolique“ ? Mais dans ce cas, c’est tout
l’ensemble du réseau dogmatique qui va subir les contrecoups d’une
telle “relecture“.
Dans
l’élaboration plus récente, les incertitudes concernant le dogme du
péché originel retentissent directement sur celui de l’Immaculée
Conception. Quelle signification ce dernier peut-il conserver, si la
notion même de péché originel se dilue ? ” (p. 298).
Entre
le R.P. Cerbelaud et Jacques Duquesne, il y a la différence entre un
théologien érudit et un journaliste vulgarisateur, mais il y a une
identité dans la volonté de “ déconstruire ” la
dogmatique mariale.
De
l’affaire Laguérie à l’affaire Sernine : allers et retours
.
Mascaret (19 avenue de Gaulle, 33520 Bruges, 1,50 ¤ le numéro), le
“ Bulletin mensuel des catholiques girondins ”, consacre les
seize pages de son numéro 265, septembre-octobre 2004, à ce qu’il est
convenu d’appeler désormais “ l’affaire Laguérie ”. L’abbé
Laguérie, directeur du bulletin, y signe l’éditorial et un “ Ephéméride
de l’été 2004 ”, tandis que d’autres collaborateurs abordent
la question sous d’autres aspects (juridique mais aussi humoristique).
On lira ces pages comme un plaidoyer pro domo de l’abbé
Laguérie, sûr de son droit : “ rien ne sera comme avant, les
remises en question vont bon train. (…) Saint-Eloi vit, prospère, et la
Fraternité peut et doit suivre. ”
.
Dans ce numéro de Mascaret,
de façon incidente, l’abbé Laguérie dit de l’abbé Celier :
“ [sa] tête est réclamée par Chiré-en-Montreuil, ce qui
explique son zèle soudain à me pourfendre… ”. Jean Auguy,
directeur de la S.A. D.P.F. sise à Chiré-en-Montreuil, a fait paraître
aussitôt un communiqué où il affirme notamment : “ Nous
posons ici publiquement une question précise à M. l’abbé Laguérie :
où, quand, à qui, sous quelle forme et de quelle manière aurions-nous
“réclamé la tête“ de M. l’abbé Celier ? Nous attendons une
réponse explicite et étayée de preuves… lesquelles seront d’ailleurs
difficiles à fournir, car cette accusation —est-il besoin de le
préciser ? —relève de la plus haute fantaisie. […] M. l’abbé
Laguérie a peut-être été abusé par une rumeur calomnieuse qui circule
en ce moment à Paris dans les milieux de la Tradition, rumeur selon
laquelle Jean Auguy et Etienne Couvert seraient récemment allés voir Mgr
Fellay pour lui “réclamer“ la tête de M. l’abbé Celier. Cette
rumeur est absolument fausse et aussi absurde que fausse, mais il serait
intéressant de savoir qui l’a lancée, qui la fait circuler et dans
quel but ! ”
.
Jean Auguy a raison de démentir
cette rumeur qui le concerne, lui et son équipe. La “ tête ”
de l’abbé Celier n’a été réclamée, publiquement, que par des
feuilles comme celles de Louis-Hubert Rémy et de Philippe Ploncard d’Assac,
et aussi par un nouveau site internet qui réclame la “ purification ”
de la FSSPX. La “ tête ” de Celier/Sernine est réclamée
en même temps que celle de l’abbé de Tanoüarn, le directeur de Pacte
et de Certitudes et l’éditeur de Celier/Sernine. Bien que l’affaire
Laguérie ait dissocié les deux accusés de l’affaire Sernine, la
controverse a rebondi sous des oripeaux nouveaux.
.
Plus qu’à ce nouvel épisode de ce que j’ai appelé la guerre
picrocholine, on sera attentif au dernier numéro de Pacte (23 rue
des Bernardins, 75005 Paris, 2,50 euros le numéro).Ce numéro daté du 15
septembre 2004 était attendu. L’abbé de Tanoüarn n’avait pas, à ce
jour, exprimé de position publique sur l’affaire Laguérie, bien qu’il
ait soutenu son confrère dès le départ.
L’abbé
de Tanoüarn estime que “ la Fraternité Saint-Pie X se trouve
déchirée par une des crises les plus graves de son histoire ”. Il
estime aussi que les enjeux sont doctrinaux et que deux “ questions
gravissimes ” sont posées par l’affaire Laguérie.
La
première est celle de la formation des séminaristes dans la FSSPX et des
critères de la vocation. Le directeur de Pacte estime que de “ nouveaux
critères ” de discernement de la vocation ont été introduits
dans la FSSPX : “ les directeurs demandent aux candidats d’autres
aptitudes, non révélées, malgré les demandes faites par différents
prieurs ou directeurs d’école, qui ont besoin de connaître ces
critères pour orienter les jeunes ”. Ces “ nouveaux
critères ” expliqueraient des renvois incompréhensibles des
séminaires de la FSSPX et des “ départs mal gérés ”.
La
deuxième question de fond, selon l’abbé de Tanoüarn, est celle de l’exercice
de l’autorité dans la FSSPX. L’abbé Laguérie n’a pas obtenu,
dit-il, le droit de faire appel de la mutation/sanction qui l’envoyait
de Bordeaux au Mexique. “ Une deuxième instance, ajoute-t-il,
pourrait donner du poids aux sentences du supérieur ”.
Les
deux questions — critères de la vocation sacerdotale et exercice de l’autorité
— seraient donc révélatrices d’une crise d’identité qui
frappe la FSSPX. Une crise de la maturité estime Maxence Hecquard dans ce
même numéro de Pacte, qui souhaite aussi qu’ “ un
débat serein peut et doit s’instaurer ”[7].
.
Les fines analyses de l’abbé de Tanoüarn ont le mérite de vouloir
dépassionner le débat et de ne pas le réduire à une querelle de
personnes. Mais on ne saurait minimiser, dans les décisions prises par
les autorités de la FSSPX, la question de Saint-Eloi, l’église acquise
à Bordeaux par l’abbé Laguérie, et sa situation juridique (l’abbé
Laguérie étant président de l’association propriétaire des lieux, ce
qu’ignoraient ses supérieurs).
Courrier
des lecteurs
Un
éminent lecteur de mon Pie XI (Perrin, 2004) m’écrit à propos
de l’Action Catholique :
“ Pie
XI ne reprend pas la distinction pourtant si indispensable de saint Pie X
dans Il fermo proposito (11 juin 1905) entre deux types d’action
catholique (en minuscules) : d’une part l’action des laïcs
catholiques dans la cité pour en convertir les institutions au règne
social du Christ, d’autre part l’apostolat au sens propre (même si le
1er type est un “apostolat“ au sens large) pour convertir les âmes.
Et le saint pape précisait les différents degrés de dépendance de ces
deux types d’action à l’égard de la hiérarchie.
L’absence
de cette distinction chez Pie XI a causé les désastres bien connus,
après la guerre. ”
Annonce
L’Ecole
Saint-Louis, à Nantes (8, rue de la Sirène), organise le samedi 16
octobre, de 14 à 19 h, sa IVe Journée du Livre. Yves Amiot, Jean-Luc
Cherrier, Yves Chiron, Daniel Hamiche, Claude Mahy, Jean-Louis Picoche,
Philippe Prévost et Henri Servien y signeront leurs ouvrages. Le
rédacteur d’Aletheia sera heureux d’y rencontrer ses lecteurs
de la région nantaise.
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[1]
Père Philippe Verdin o.p., “ Notre-Dame des Poncifs ”, Le
Figaro, 12 août 2004.
[2]
Marie, Plon, 230 pages, 18,50¤.
[3]
Cette pseudo démonstration de l’existence de “ frères et
de sœurs ” de Jésus était déjà au centre de son précédent
livre. L’épiscopat français avait fait rédiger une réponse, en forme
de mise au point, par l’exégète Pierre Grelot : “ La
conception virginale de Jésus et sa famille ”, Esprit et Vie,
104/46, 1996, p. 629-631.
[4]
Goulven Madec, “ Marie, Vierge et Mère, selon saint Ambroise et
saint Augustin ”, in La Virginité de Marie, 53e session de
la Société Française d’Etudes Mariales, Médiaspaul, 1998, p. 71-83.
[5]
L’expression est du R.P. Verdin, art. cité.
[6]
Dominique Cerbelaud o.p., Marie un parcours dogmatique, Editions du
Cerf, 2003.
[7]
On retrouve aussi, sous la plume de Maxence Hecquard, la vieille
prétention de la FSSPX à représenter à elle seule “ la
Tradition catholique ”. Quand il évoque “ les diverses
tendances de la Tradition ” et “ les congrégations
amies ”, il limite le périmètre de la Tradition à ceux qui
reconnaissent la légitimité des sacres de 1988.
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