Supposées
apparitions
Depuis
1996, de supposées apparitions de la Vierge auraient lieu à
Plombières-lès-Dijon et, en lien avec celles-ci, en d’autres lieux. J’écris
“ supposées ” en attendant le jugement de l’Eglise, même
s’il n’est pas interdit aux fidèles d’émettre une appréciation au
regard des critères traditionnels de l’Eglise en la matière et par
comparaison avec les apparitions reconnues authentiques.
Les
faits auraient commencé à Plombières-lès-Dijon le 15 août 1996, date
à laquelle la Vierge Marie serait apparue à une mère de famille, Eliane
Deschamps. Un premier problème se pose puisque les sources divergent sut
cette supposée première apparition. Parfois, une autre date est
donnée : le 28 avril de cette même année. En tout cas, désormais,
la Vierge apparaîtrait le 15 de chaque mois (ou le week-end le plus
proche du 15 !), à l’heure invariable de 0 h 06.
Éliane
Deschamps est mère de cinq enfants, issus de trois mariages ou unions.
Elle se dit complètement illettrée et a connu une conversion depuis sa
participation à un groupe de prières charismatique en 1990. Elle se
présente comme la “ Petite servante ”.
Les
apparitions, qui se déroulaient dans une relative discrétion, ont
attiré au fil des mois quelques dizaines de fidèles. L’année 1999 a
été une année importante. Cette année-là, dans un de ses messages, la
Vierge Marie demande qu’une médaille soit frappée. Aussi, en mai 1999,
une association est créée (“ Amour et miséricorde ”) pour
en permettre la fabrication et la diffusion. Un artiste a frappé une
médaille portant, sur la face, le Christ crucifié, entouré du mot “ Amour ”
répété trois fois, et sur l’autre face, une colombe représentant le
Saint-Esprit, entourée du mot “ Miséricorde ” répété
trois fois.
Le
16 octobre de cette année-là aussi, “ l’Ange de l’Amour”
révèle à Eliane une prière au “ Père bien-aimant ”.
Enfin, le 15 décembre, la Vierge Marie aurait annoncé : “ Je
ne remettrai ni ma présence ni l’Esprit du Père ici ”. Cette
formule, curieuse, était l’annonce, voilée, que les apparitions n’auraient
plus lieu à Plombières-lès-Dijon mais à quelques kilomètres de là,
près de la chapelle de Velars-sur-Ouche.
Ce
changement de lieu était dû, en fait, à une dissension dans le groupe
de prières constitué autour d’Eliane Deschamps. Un des fidèles du
groupe, Frédéric, prétendait à son tour bénéficier d’apparitions.
À partir du 15 janvier 2000, des apparitions de la Vierge auraient donc
eu lieu, à Velars-sur-Ouche, Eliane en étant la bénéficiaire,
tandis que d’autres continuaient à avoir lieu à Plombières-lès-Dijon,
le 15 de chaque mois également, Frédéric en étant le
bénéficiaire.
Puis,
depuis juillet 2001, Eliane bénéficierait chaque mois d’une apparition
à Chaussin, dans le Jura, dans une propriété mise à sa disposition par
une fidèle. Dans le jardin, une grande croix, éclairée la nuit par
douze néons, est le lieu habituel de l’apparition qui se déroule selon
un schéma invariable : les fidèles, qui doivent s’être
confessés au préalable (le jour même ou dans la semaine précédente),
se réunissent à dix heures du soir autour d’Eliane pour prier et
chanter. À minuit six minutes la Vierge apparaît à Eliane, “ parfois
la Sainte Vierge demande à la “Petite servante“ d’amener un ou
plusieurs pèlerins à Ses pieds ”.
Éliane
décrit ainsi la Vierge Marie en son apparition : “
Quand la Vierge apparaît, elle arrive sur un petit nuage blanc, proche du
sol, pieds nus. Elle est habillée en blanc, les bras le long du corps,
les mains face à nous. Elle a un manteau posé sur sa tête qui se
confond avec sa robe et quand elle écarte les bras, son manteau s’élargit.
Elle porte une petite ceinture bleue, très pâle et un chapelet en forme
de perles de pluie à la main. Une lumière entoure Marie. Une lumière
qui ne fait pas mal aux yeux, qui n’existe pas sur Terre, très
difficile à expliquer : une lumière d’amour, de pureté, de
miséricorde. Très claire, très transparente, comme du cristal. C’est
beau. ”
Les
messages reçus par Eliane – le dernier à ce jour, le 15 juillet
dernier, était le 96 e – sont des invitations à la prière, à la
charité et à la confiance en Dieu. Leur style et leur forme ne sont pas
sans rappeler ceux des apparitions de Medjugorge (apparitions,
rappelons-le, où un “ non-constat de surnaturalité ” a
été porté par l’évêque de Mostar). Le vocable sous lequel la Vierge
apparaît à Chaussin, “ Notre-Dame de la Paix ”, est aussi
celui sous lequel elle se serait présentée à Medjugorje.
Parallèlement,
de supposées apparitions se poursuivent à Plombières-lès-Dijon. La
Vierge continuerait à s’y manifester sous le vocable de “ Notre-Dame
des Souffrances ”. Le voyant, Frédéric, diffuse, lui aussi, les
messages qu’il reçoit le 15 de chaque mois, entouré de quelques
dizaines de fidèles venus de diverses régions de France. Les messages qu’il
dit recevoir (d’une longueur, invariable, d’une pleine page
dactylographiée !) ont une tonalité prophétique accentuée. Ils
annoncent des “ tribulations ” pour la France, des “ cataclysmes ”,
des “ mouvements sociaux incontrôlés ” dans une
perspective nettement eschatologique. Référence, explicite, est faite
par la Vierge à Marie-Julie Jahenny (1850-1941), la voyante stigmatisée
de La Fraudais.
Dans
le message du 15 mai 2004, la Sainte Vierge aurait demandé à la France
de “ se réveiller ” : “ elle est choisie pour
être la Lumière du Monde (…) tout commencera par la Bretagne. Priez
Sainte Jeanne d’Arc et Saint Michel Archange de venir délivrer la
France de l’assaut destructeur de tous les anges rebelles. La vraie Foi
est dans le catholicisme, elle n’est pas dans l’œcuménisme. Vous
êtes des enfants de Marie, vous ne deviendrez jamais des enfants du
Coran. Quoi que vos politiciens, dominés par la Franc-maçonnerie, aient
prévu pour ce territoire béni de si grands Saints, vous ne deviendrez
jamais enfants de l’Islam. Mahomet brûle en enfer. […] Une Royauté
venue du Ciel va régner sur la France, puis sur toute la Terre. ”
Même
si les messages délivrés lors de ces deux supposées apparitions
parallèles appartiennent à des registres très différents, elles
comportent toutes deux des éléments qui, au regard des apparitions
reconnues authentiques par l’Eglise, ne sont pas sans susciter des
questions. Sans juger de la sincérité des supposés voyants ni de leurs
bonnes intentions spirituelles, on reste perplexe devant plusieurs de
leurs caractéristiques qui sortent des normes traditionnelles en la
matière. D’abord le nombre très élevé des apparitions : à ce
jour, une cinquantaine d’apparitions de la Vierge à Frédéric, près d’une
centaine à Eliane. Est inhabituel aussi le changement des lieux d’apparition
– trois pour Eliane – qui est toujours intervenu pour des raisons de
convenance. Le caractère stéréotypé des messages, répétitifs d’un
mois à l’autre et en même temps d’une longueur inhabituelle, étonne
aussi. Il y aurait encore à faire une analyse doctrinale des messages.
L’archevêché
de Dijon, compétent pour porter un jugement sur les faits, ne s’est pas
prononcé publiquement sur les faits. Le prêtre de la cathédrale de
Dijon, chargé depuis août 2002 de suivre cette affaire, nous a
précisé : “ Aucune enquête diocésaine n’a été menée
et aucun jugement de l’autorité diocésaine n’a été prononcé à ce
jour. ”
Impérialisme
païen de Julius Evola
En
1928, Julius Evola faisait paraître Impérialisme païen. L’ouvrage
portait en sous-titre : “ Le fascisme face au danger
euro-chrétien ”. Julius Evola était encore jeune – il avait
tout juste trente ans –, il venait des rivages de l’idéalisme
philosophique et était encore adepte de pratiques magiques et
ésotériques. Dans ce livre, il affirmait, sans nuance, un “ antichristianisme ”
entier. Il voulait, disait-il, donner “ une âme ” au
régime fasciste, au pouvoir en Italie depuis six ans.
L’ouvrage
a son origine dans des articles qu’Evola avait publiés à partir de
1927 dans Critica fascista, la revue de Giuseppe Bottai. Bottai,
lié depuis plusieurs années à Evola, était député et membre du
Grand Conseil fasciste. Les articles avaient suscité une interpellation
du journal du Vatican, L’Osservatore romano, qui fut suivie de
vives critiques parues dans la presse catholique et aussi dans des
publications fascistes. Bottai abandonna alors Evola, dégageant la
responsabilité de la revue. Evola persista, lui, dans ses positions, les
développant dans un ouvrage qui parut en 1928, aux éditions Atanor.
L’ouvrage
est traduit pour la première fois en français[1].
Selon
l’Evola de cette époque, “ le christianisme est à la racine
même du mal qui a corrompu l’Occident ” parce qu’il a détruit
“ l’impérialité et l’universalité romaines ”. Le
fascisme, écrit Evola en 1928, est “ à la croisée des
chemins ” (Mussolini négociait, discrètement depuis plusieurs
années, avec Pie XI ; négociations qui aboutiront aux Accords du
Latran signés en février 1929). Le régime, estimait Evola, doit choisir
entre la “ catholicité ” et la “ romanité ”,
jugés incompatibles. Il exhortait le régime fasciste à promouvoir “ l’antichristianisme ”,
identifié comme “ la tradition méditerranéenne, classique,
païenne ”.
Evola
faisait référence aux auteurs antichrétiens anciens (Celse, par
exemple) ou modernes (Louis Rougier). Retrouvant les accents de Nietzsche
qui avait dénoncé les chrétiens comme “ les hommes du
ressentiment ”, Julius Evola en appelait à une “ grande
libération ” : “ la cessation de la foi, le
monde libéré de Dieu. Aucun “ciel“ ne pèsera plus sur la
terre, aucune “providence“, aucune “raison“, aucun “bien“
et aucun “mal“, larves d’hallucinés, évasions blafardes d’âmes
blafardes. ”
Avant-même
que l’ouvrage ne paraisse en Italie, à la lecture des articles parus
dans Critica fascista, la Revue internationale des Sociétés
secrètes (RISS) de Mgr Jouin avait dénoncé le “ long
blasphème ” de Julius Evola. La revue, anti-maçonnique,
anti-juive et anti-libérale, avait rangé Evola parmi “ ces
excentriques – agents provocateurs de l’Enfer, arrière-garde de la
Maçonnerie proscrite et des sectes qui poursuivent le Christ d’une
inexpiable haine.[2] ”
La
dénonciation n’était pas aussi extravagante qu’il pourrait sembler.
Julius Evola, dans un appendice à son livre, a pu affirmer, en toute
honnêteté : “ Nous ne sommes pas théosophe et nous ne
sommes pas franc-maçon ”. Mais, des historiens sérieux, ont
montré le rôle que la franc-maçonnerie a joué dans certains épisodes
du fascisme[3]. Ce fut le cas,
semble-t-il, lors de la publication de ce pamphlet anti-chrétien.
Les
éditions Atanor, où parut le livre, étaient dirigées par Ciro Alvi,
qui était à la fois fasciste et franc-maçon. Il est fort possible qu’Evola
ait été manipulé par un courant anticlérical et fasciste qui était
farouchement hostile aux négociations en cours avec l’Eglise et qui
voulait empêcher la Conciliazione qui se préparait.
Cela
dit, Evola était bien le rédacteur de l’ouvrage. Plus tard, il
reconnaîtra que “ ce petit livre de combat ”, avait fait
usage d’ “ un style violent ” et se caractérisait
par “ un manque de mesure, de sens politique et d’une utopique
inconscience de l’état de choses typiques de la jeunesse ”[4].
Il ne rééditera jamais l’ouvrage et interdira qu’il soit réimprimé
de son vivant.
On
ajoutera aussi qu’Evola prendra de plus en plus conscience du rôle et
de l’influence de la franc-maçonnerie dans l’évolution du monde
contemporain. Trois ans après avoir publié Impérialisme païen,
il commencera à collaborer à La Vita Italiana de Giovanni
Preziosi, une des principales revues antimaçonniques italiennes. Il y
collaborera de mars 1931 à juillet 1943, publiant une centaine d’articles[5].
Ces articles, bien informés et sans concession, le mettront en relations
étroites avec certains des grands auteurs antimaçonniques de son
époque, en particulier Léon de Poncins et Emmanuel Malynski[6].
Quant
au jugement porté par Evola sur le christianisme, il évoluera et l’on
ne saurait honnêtement tenir les pages polémiques d’Impérialisme
païen pour la pensée définitive d’Evola sur le sujet. On ne fera
pas, pour autant, de l’auteur de Masques et visages du spiritualisme
contemporain un auteur chrétien ni un contre-révolutionnaire
intégral. Evola, mort en 1974, a voulu être incinéré et a exclu, dans
son testament rédigé quatre ans plus tôt, “ toutes formes de
cortège funèbre, d’exposition dans une église et d’intervention
religieuse catholique ”. C’est dire que, au sens propre comme au
sens figuré, il est mort hors de l’Eglise.
Parution
Yves
Chiron
Pie
XI (1857-1939)
Un
volume de 432 pages (avec index), à paraître aux éditions Perrin.
En
souscription, jusqu’au 25 août, au prix de 20 ¤, port compris.
Commandes à adresser à Y.C., 16 rue du Berry, 36250 NIHERNE.
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