Vers
un Patriarcat ukrainien
Mgr
Slipyi, archevêque de Lviv, grande figure de l’Eglise catholique
ukrainienne du XXe siècle, connut pendant dix-huit années, de 1945 à
1963, les prisons et les camps soviétiques avant d’être libéré au
moment du concile Vatican II. Depuis sa libération, il demandait avec
insistance que le Saint-Siège reconnaisse l’archevêché majeur de Lviv
comme un patriarcat. Le 23 octobre 1971 – une de ses multiples
interventions parmi d’autres –, prenant la parole devant le IIe Synode
des évêques réuni à Rome par Paul VI, il déclarait avec quelque
amertume :
Les
communistes ont cruellement détruit l’Eglise ukrainienne en
incarcérant toute sa hiérarchie et en l’annexant de force à l’orthodoxie.
Cette grave injustice est encore actuelle. Les Ukrainiens catholiques sont
encore persécutés sans être défendus par personne… Le régime
soviétique nous a obligés à revenir aux catacombes pour célébrer la
liturgie… Des milliers de fidèles d’Ukraine sont encore incarcérés
ou déportés. Aujourd’hui, pour la diplomatie ecclésiastique, les
Ukrainiens catholiques sont considérés comme gênants. Le Vatican est
intervenu pour intercéder en faveur des catholiques latins, mais il s’est
tu sur les six millions d’Ukrainiens persécutés… La création du
patriarcat ukrainien proposée au Concile Vatican II a été refusée.
Il
lui semblait que la reconnaissance d’un Patriarcat ukrainien était
sacrifiée au nom de l’Ostpolitik. Aujourd’hui, alors que
le cardinal Slipyi est mort en 1984, il pourrait sembler que cette même
demande n’aboutit pas, non pour des raisons canoniques ou théologiques,
mais pour ne pas contrarier la politique œcuméniste en direction des
orthodoxes.
Dans
un livre qui vient de paraître, le P. Augustyn Babiak fait le point sur
la question[1]. Le P. Babiak,
prêtre gréco-catholique né en Pologne d’une famille ukrainienne,
exerce son ministère auprès des catholiques ukrainiens en France et en
Europe. Docteur en théologie, il a publié ces dernières années deux
livres historiques importants. L’un, auprès de l’Université
Catholique de Lyon : Le Métropolite André Cheptytskyi et les
synodes de 1940 à 1944 (1999, 790 pages) ; l’autre, auprès de
l’Université Catholique ukrainienne de Rome, Les Nouveaux martyrs
ukrainiens du XXe siècle (2001, 635 pages).
Significativement,
son troisième livre, qui est fondé sur des archives inédites d’une
grande importance, notamment la correspondance échangée entre le
cardinal Slipyi et le Saint-Siège dans les années 1970-1980, n’a pu
trouver d’éditeur. Le P. Babiak a dû l’éditer à compte d’auteur.
Il
entend montrer la pertinence de l’établissement de l’Eglise d’Ukraine
en patriarcat. Il le fait d’un quadruple point de vue : historique,
théologique, canonique et pastoral.
Si,
avec les premiers conciles œcuméniques, cinq patriarcats ont été
définis dans un ordre hiérarchique bien fixé : Rome,
Constantinople, Antioche, Jérusalem, Alexandrie, la suite de l’histoire
de l’Eglise a vu le titre de patriarche accordé aux chefs de plusieurs
Eglises catholiques orientales.
Le
P. Babiak montre comment d’Urbain VIII à Léon XIII, en passant par
Grégoire XVI et Pie IX, plusieurs papes ont considéré positivement l’élévation
du métropolite de Kiev-Halytch à la dignité de patriarche.
Sans
faire référence explicitement aux gréco-catholiques, le concile Vatican
II, dans le décret sur les Eglises orientales, a admis la légitimité d’instaurer
de “ nouveaux patriarcats (…) lorsque cela est
nécessaire ” ; leur institution étant réservée au concile
œcuménique ou au Pontife romain. Le même décret définissait un
patriarche comme “ un évêque qui a juridiction sur tous les
évêques y compris les métropolites, sur le clergé et les fidèles de
son territoire ou de son rite, selon les normes du droit et restant sauve
la primauté du pontife romain ”.
“ …de
son territoire ou de son rite ”, la précision est
importante puisqu’elle permettra au cardinal Slipyi de demander l’érection
d’un Patriarcat ukrainien qui placerait sous une juridiction unique non
seulement les gréco-catholiques d’Ukraine mais aussi les très nombreux
gréco-catholiques ukrainiens exilés dans le monde et organisés, déjà,
avec des évêques ou exarques à leur tête.
Depuis
sa libération du Goulag jusqu’à sa mort, le cardinal Slipyi réclamera
avec insistance l’instauration de ce Patriarcat. Auprès de diverses
instances (Congrégation pour les Eglises orientales, Secrétairerie d’Etat,
et auprès du Pape lui-même), il renouvellera, dans des lettres
argumentées, sa demande. Le P. Babiak publie de larges extraits de ces
lettres et aussi, ce qui est très intéressant, les réponses reçues.
Si
la hiérarchie ukrainienne se montra, parfois, provocatrice – le P.
Babiak ne le cache pas –, les autorités romaines, elles aussi, se
montrèrent, parfois, maladroites. Ainsi, en 1971 l’Exarchat apostolique
pour les fidèles ukrainiens de rite byzantin résidant au Brésil fut
transformé, par le Saint-Siège, en un diocèse placé sous la
dépendance de la Congrégation pour les Eglises orientales, mais le
premier évêque consacré, Mgr Kryvyi, le fut dans le rite latin et le
nouveau diocèse était suffragant de l’archevêque (latin) de
Curitiba !
À
défaut de se voir reconnu le titre et la fonction de Patriarche, Mgr
Slipyi avait été nommé “ archevêque majeur ” en 1963
puis créé cardinal en 1965. Paul VI, s’il refusa toujours d’accéder
à la demande principale du cardinal, accepta finalement, et non sans
réticences, que se réunisse régulièrement le “ synode
permanent ” de l’épiscopat ukrainien.
Jean-Paul
II fut le premier Pape à rendre un juste hommage à l’Eglise
ukrainienne et à ses martyrs : dès 1979, avec en point culminant la
béatification solennelle de vingt-huit martyrs ukrainiens en 2001. Il n’a
pas encore, à ce jour, satisfait la demande que le successeur du cardinal
Slipyi, le cardinal Husar, a réitérée. Celui-ci estime que le
patriarcat est une “ forme normale d’existence de la tradition
byzantine et orientale ” et serait “ un développement de la
structure de l’Eglise [ukrainienne] ”.
L’ouvrage
du P. Babiak a été achevé d’imprimer, en Ukraine, le 11 avril 2004 et
commence tout juste à être diffusé. Par une heureuse coïncidence,
Jean-Paul II, alors que le synode permanent de l’Eglise
gréco-catholique d’Ukraine est réuni à Rome depuis le 1er juin, a
semblé faire un pas important vers ce que souhaitent les évêques
ukrainiens puisqu’il a dit partager “ par la prière et aussi par
la souffrance ” leur aspiration. Il a dit attendre “ le jour
fixé par Dieu ” pour confirmer, en tant que Successeur de saint
Pierre, le “ développement ecclésial ” que tous les
Ukrainiens espèrent et réclament.
La
guerre picrocholine
La
controverse suscitée par le livre signé Paul Sernine, paru en novembre
dernier[2], n’a guère fait
avancer la question sur le fond. Les principaux reproches faits au livre
sont d’ordre méthodologique. Dans un article signé Dominicus, la revue
Le Sel de la terre, estime qu’il s’agit d’une “ mauvaise
querelle ”[3]. Dominicus
estime que Paul Sernine “ a falsifié la pensée des autres, n’a
pas exprimé sa propre pensée sur ses sujets, a enfermé le débat dans
un dilemme absurde et ajouté d’inutiles querelles de personnes (tout en
protestant du contraire). Il faudrait repartir sur de meilleures
bases. ”
La
principale “ falsification ” relevée par Le Sel de la
terre est une citation extrapolée. Dans un de ses ouvrages, Etienne
Couvert écrit que pour comprendre certaines œuvres de Victor Hugo “ il
y a une clé… et c’est la Gnose ”. Paul Sernine a généralisé
cette affirmation : “ En toute erreur “ il y a une clé…et
c’est la gnose“ ”. Dominicus estime : “ La
phrase en question n’a jamais été prononcée en l’état par M.
Couvert et ne correspond même pas à sa pensée. ”
La
revue des religieux d’Avrillé estime, à juste titre, que cette
controverse sur la gnose ne doit pas devenir “ un véritable
affrontement qui distrairait du combat principal ” : “ le
combat contre le néo-modernisme qui cherche à détruire l’Eglise de l’intérieur,
la formation d’intelligences vraiment catholiques, le soutien spirituel
des pères et des mères de famille voulant éduquer chrétiennement leurs
enfants nous paraissent beaucoup plus importants. ”
Si
la revue Le Sel de la terre se refuse aux querelles de personnes,
il n’en est pas de même d’autres publications. Par exemple, depuis
quelques semaines se diffuse, sous forme de brochure ou sur internet, un
texte anonyme de 53 pages, intitulé Leçon de gnose. L’auteur,
courageusement anonyme, de cette brochure publiée sans nom d’éditeur,
ni lieu de publication, entend montrer que la gnose est l’ “ ennemi
traditionnel de l’Eglise ”. Il prétend aussi dénoncer, “ par
les documents ”, dit-il, “ les infiltrations gnostiques
actuelles dans la Tradition catholique” . Cette seconde partie nous vaut
des chapitres, plus ou moins abondants, intitulés : “ Dom
Gérard gnostique ? ”, “ La double vie de Monsieur Yves
Chiron ”, “ L’abbé de Tanoüarn est-il
gnostique ? ”, “ L’abbé Célier [sic] est-il
gnostique ? ”.
Quel
crédit accordé à un auteur, courageusement anonyme (à moins qu’ils
ne soient plusieurs), qui croit que le grand Olier est gnostique, qui s’imagine
que Pacte est un “ magazine ”, qui s’obstine à
écrire “ Etait t’il ” [sic], etc. ?
Quant
aux huit pages qui me concernent – “ La double vie de Monsieur
Yves Chiron ” –, je pourrais répondre comme l’avait fait le
grand antilibéral, le Père Emmanuel Barbier : “ je fais
comme l’honnête homme qui, dédaignant les fausses imputations, trouve
plus simple de déployer grand ouvert le livre de sa vie ”[4].
Quand le courageux anonyme – pour éviter les procès en
diffamation ? – affirme : “ Monsieur Chiron a des
contacts avec les loges maçonniques, au moins les loges féminines ”,
je pourrais lui répondre que les seules loges que j’aie jamais
fréquentées sont celles des concierges des immeubles parisiens où j’ai
habité jadis : rue du Cloître-Notre-Dame, à l’ombre de
Notre-Dame, puis rue Cail...
En
fait, le véritable cours de ma vie quotidienne, ma supposée “ double
vie ”, les lecteurs les moins mal intentionnés savent qu’ils la
trouveront dans les quatre petits livres qui me tiennent le plus à cœur :
Journal de Saigon et du Mékong (1994), Voyage vers Cyprien
(1998), Nos enfants de Lituanie (2002) et Ma Mère (2003).
Livres qu’ignorent les courageux anonymes de la guerre picrocholine.
Avis
aux lecteurs
.
Cette lettre d’informations n’est pas soumise à abonnement,
malgré les instances de certains lecteurs qui souhaiteraient que soit
fixé un prix d’abonnement. Parfois, pour les numéros plus volumineux,
je donne un coût estimatif, à l’intention de ceux, lecteurs non
réguliers, qui voudraient se procurer, exceptionnellement, ce numéro ou
en commander plusieurs exemplaires. En revanche, pour satisfaire aux
demandes de certains lecteurs, il est fixé désormais qu’Aletheia aura
quinze numéros par an ; ce qui permet de prévoir à peu près le
rythme des publications (environ toutes les trois semaines).
C’est
au lecteur à déterminer lui-même la contribution et la forme de la
contribution qu’il veut apporter aux frais d’impression et de
diffusion. Certains lecteurs et certaines communautés le font avec une
régularité, et parfois une générosité, qui permettent à cette
modeste lettre de continuer à paraître.
D’autres
lecteurs et d’autres communautés, qui pourtant, un jour, ont demandé
à recevoir cette lettre d’information, ne se signalent jamais à l’attention
d’Aletheia, sinon parfois pour réclamer un numéro qu’ils
croient n’avoir pas reçu !
.
Cette lettre d’informations est, bien sûr, libre de droits.
Quiconque peut utiliser et reproduire les informations et les textes qu’elle
contient. Mais la déontologie journalistique veut que, dans ce cas, on
indique ses “ sources ”. Sinon, il arrive que les “ utilisateurs ”
s’emmêlent les pinceaux. Deux exemples récents :
1.
La revue Lectures françaises, n° 562, en février 2004, a
annoncé la parution d’un ouvrage de Robert Faurisson, intitulé,
dit-elle, Pie XII, révisionniste ?, et elle en a donné le
résumé. Un tel livre n’existe pas. Existe en revanche un livre
de Robert Faurisson intitulé Le révisionnisme de Pie XII.
Aletheia
avait présenté cet ouvrage dans son n° 45, le 8 septembre 2003. L’article
qui présentait cet ouvrage était intitulé “ Pie XII,
révisionniste ? ”. Le rédacteur, trop pressé, de Lectures
Françaises, a cru qu’il s’agissait du titre du livre, donné
pourtant dans la suite de l’article qu’il s’est contenté de
résumer. Le rédacteur-“ utilisateur ” aurait dû être
plus attentif et il aurait mieux fait de mentionner sa source d’informations.
2.
L’auteur d’un essai récent, et fort pertinent, sur la laïcité,
reproduit, sur une pleine page, un texte d’Alain de Benoist. Il donne
comme référence : La “ nouvelle évangélisation ”
de l’Europe. La stratégie de Jean-Paul II, Arianna Editrice, p.
100. Le lecteur, curieux, qui voudrait consulter cet ouvrage, aura bien du
mal à se le procurer puisqu’il n’existe pas ! Le livre n’existe
que dans sa version italienne, publiée, à Casalecchio, près de
Bologne, sous le titre La “ nuova evangelizzazione ”
dell’Europa. La strategia di Giovanni Paolo II.
Aletheia
avait présenté cet ouvrage dans son n° 47, le 18 octobre 2003, donnant
notamment, en version française, la citation telle que l’a reproduite
intégralement notre auteur. Il aurait mieux fait de donner le titre exact
de l’ouvrage et de mentionner sa source d’informations. |