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Aletheia n°55 - 4 avril 2004 PDF

Bruno Neveu (1936-2004)

Bruno Neveu est décédé le 24 mars dernier, à l’âge de 67 ans. Archiviste paléographe, membre de l’Institut, cet historien catholique, discret, était un spécialiste de l’histoire religieuse du XVIIe siècle, notamment du jansénisme et du gallicanisme. Ses recherches l’avaient mené jusqu’à l’époque contemporaine. Un de ses derniers ouvrages parus est consacré aux Facultés de théologie catholique au XIXe siècle. Professeur à l’Ecole pratique des hautes études (IVe section), il l’avait présidée de 1994 à 1998.

Très lié au grand érudit et bibliographe René Rancœur, il partageait avec lui, et avec quelques autres historiens et chercheurs plus jeunes, “ un commun attachement à la romanité ”. Attachement que renforçaient ses séjours à Rome et ses travaux dans le cadre de l’Ecole française de Rome.

Attentif aux évolutions contemporaines des études et méthodes historiques – évolutions qui ont touché aussi l’histoire religieuse –, il regrettait que les travaux universitaires soient souvent tentés de “ préférer à l’étude de l’histoire celle de l’historiographie ”. Une “ histoire au second degré ” jugeait-il, qui a tendance à s’éloigner de l’objectivité, au sens littéral : c’est-à-dire qui risque, en s’enfermant dans la problématique, de perdre de vue l’objet étudié.

En 1981, dans les premières lignes d’une longue étude érudite sur l’autorité du Souverain pontificat au XVIIe et XVIIIe siècle, il notait avec beaucoup de justesse que, dans la modernité, le rapport entre l’Histoire, comme science (ou art) et la Théologie est loin d’être réglé :

Pour se voir reconnaître par le savoir universitaire la respectabilité d’une discipline académique, l’histoire du christianisme a dû peu à peu s’éloigner de la théologie, mais cette séparation laborieuse ne lui a pas assuré, en fin de compte, une complète crédibilité. […] la part du transcendant dans l’histoire décide pourtant de toute orientation critique ultérieure. Suivant que l’on tient l’Eglise pour héritière des promesses évangéliques ou pour une société purement humaine, dès l’époque de son fondateur ou par une altération progressive, les historiographes du christianisme varient du tout au tout. Autant que leur diversité leur luxuriance déconcerte[1].

Bruno Neveu est mort au Liban où il donnait une série de conférences. Depuis longtemps, il était un paroissien assidu de l’église Saint-Julien-le-Pauvre. Cette paroisse grecque-catholique de Paris, où la liturgie de saint Jean Chrysostome est célébrée  en grec et en arabe selon le rite melkite, est depuis les années 1970 le refuge de nombreux catholiques, parisiens ou provinciaux, désorientés par la liturgie romaine “ réformée ” célébrée dans leurs paroisses.

Bruno Neveu, qui avait manifesté, nous a-t-on dit, le désir de mourir au Liban, s’est éteint au siège du Patriarcat grec catholique de Beyrouth, dont il était l’hôte. Il a pu voir là un signe de la Providence.


Mgr Barbier et la FSSPX

Il y a quelques semaines, deux prêtres de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X ont été reçus par Mgr Barbier, archevêque de Bourges, diocèse où ils exercent leur apostolat. Le compte-rendu de cette visite a été publié dans le bulletin de la Chapelle Saint-Michel, desservie par les prêtres de la FSSPX (Tradition, Chapelle Saint-Michel, 5 rue du Château, 36250 Niherne). Voici ce texte :

En marge d’un dialogue qu’on espère inachevé

Sans vouloir commenter ce dialogue engagé, quelques remarques peuvent être faites.

Mgr Barbier, archevêque de Bourges depuis le 25 avril 2000, est le pasteur de deux départements : le Cher et l’Indre. Son diocèse connaît, au regard des catholiques attachés à la Tradition, une situation assez paradoxale. Chaque dimanche, on peut y entendre la messe selon le rite traditionnel au sein de plusieurs communautés religieuses mais dans aucune paroisse.

Dans l’antique abbaye de Fontgombault, depuis l’indult de 1984, les fidèles peuvent assister, chaque dimanche, à la messe conventuelle célébrée selon le rite traditionnel. On y vient de loin, d’au-delà du diocèse même.

Le motu proprio de 1988 rappelait : “ On devra partout respecter les dispositions intérieures de tous ceux qui se sentent liés à la tradition liturgique latine, et cela par une application large et généreuse des directives données en leur temps par le Siège apostolique pour l’usage du missel romain selon l’édition typique de 1962 ”[2] . En application de cette demande de Jean-Paul II, à Bourges, dans la ville archiépiscopale de Mgr Barbier, une messe selon le rite traditionnel est célébrée dans la chapelle des Franciscaines de la ville “ en principe le 1er & 3e dimanche ” de chaque mois, mais il vaut mieux, prévient-on, “ se renseigner avant ”.

La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, elle, dessert quatre chapelles dans le diocèse de Mgr Barbier : la chapelle de l’Ecole Saint-Michel à Niherne, dirigée par les prêtres de la FSSPX (une ou deux messes y sont célébrées chaque dimanche) ; la chapelle du noviciat des Sœurs de la Fraternité Saint-Pie X à Ruffec ; la chapelle de la Maison-Mère des Sœurs de la Fraternité Saint-Pie X à Saint-Michel-en-Brenne ; et aussi la chapelle privée du château de La Chapelle d’Angillon.

Enfin, la Fraternité de la Transfiguration, fondée par l’abbé Lecareux, très liée à la FSSPX, assure plusieurs messes chaque dimanche dans le village de Mérigny et aux alentours.

Ce sont donc huit ou dix messes selon le rite traditionnel qui sont célébrées chaque dimanche dans l’archidiocèse de Bourges, mais deux seulement sont célébrées en communion avec le Saint-Siège et celle célébrée en application du motu proprio de 1988 est aléatoire.

Les fidèles du diocèse de Bourges attachés au rite traditionnel se trouvent donc conduits, par la nécessité, à être des catholiques “ gyrovagues ” : soit pérégriner loin de chez eux pour assister à une messe traditionnelle en communion avec le Saint-Siège, soit se rendre aux messes célébrées par les prêtres de la FSSPX, les “ sans-papiers de l’Eglise ” selon l’expression d’Huguette Pérol[3] ; soit encore sacrifier leur attachement à la messe catholique traditionnelle pour des messes selon le nouvel ordo, messes dont la variété, d’une paroisse à l’autre, est infinie.

Face à cette situation, qui existe aussi dans nombre de diocèses français, Mgr Barbier, en poste depuis quatre ans maintenant, n’a pas cherché à répondre davantage à l’appel de Jean-Paul II : “ partout respecter les dispositions intérieures ..., application large et généreuse… ”. Dans son diocèse, la messe traditionnelle n’est célébrée chaque dimanche dans aucune paroisse.

L’édition 2002 du Trombinoscope des évêques, réalisée par les Editions Golias, accorde à Mgr Barbier “ trois mitres ”. Ce classement irrévérencieux des évêques de France va de 5 à 1 : “ cinq mitres ” pour les “ novateurs affirmés ”, “ une mitre ” voire “ un bonnet d’âne ” pour les “ réacs ” et les “ dangereux ”. Mgr Barbier, estimé des rédacteurs irrespectueux et ultra-progressistes de Golias, est classé parmi les “ managers ” qui méritent “ trois mitres ”. Il est présenté comme un évêque aux “ qualités pastorales indéniables ”, “ très partisan de l’Action catholique ”. C’est aussi un évêque qui, dans une déclaration, a dénoncé “ la fausse interprétation du mot ”prochain” ”, lorsque, a-t-il dit, “ l’Evangile sert de caution à la préférence nationale et légitime l’exclusion. ”

Cet évêque hostile à l’ “ exclusion ”, recevant pour la première fois, à leur demande, des prêtres de la FSSPX, s’est montré, semble-t-il, inébranlable dans ses certitudes et assuré d’être dans une voie juste. Dans son diocèse, les fidèles attachés au rite traditionnel garderont le sentiment d’être toujours des “ exclus ”. 

Mgr Barbier semble insensible à toutes les justes plaintes et à toutes les interrogations. Fidèle à un enseignement, non officiel, mais quasi-unanimement partagé dans l’Eglise de France, il déclare que “ pour faire partie de l’Eglise ” il faut accepter “ le concile Vatican II ” et que la foi consiste “ dans la réception docile de la doctrine ”.

Cette “ docilité ” réclamée est, qu’on nous en permette la remarque, à l’encontre des vœux exprimés par Jean-Paul II en 1988, au moment du “ schisme ” de Mgr Lefebvre. Le Pape avait en effet demandé aux évêques et aux théologiens d’être “ interpellés par les circonstances présentes ”. Mgr Barbier ne semble guère avoir été “ interpellé ” par les remarques, les interrogations et les doléances des deux prêtres de la FSSPX qu’il a reçus.

Jean-Paul II, dans le motu proprio Ecclesia Dei adflicta cité, demandait aux “ théologiens et autres experts en science ecclésiastique ” de se livrer à “ un effort renouvelé d’approfondissement qui permettra de mettre en lumière la continuité du Concile avec la Tradition, spécialement sur des points de doctrine qui, peut-être à cause de leur nouveauté, n’ont pas encore été bien compris dans certains secteurs de l’Eglise. ”

La doctrine sur la liberté religieuse est de ces “ points de doctrine ” nouveaux.

La liberté religieuse

M. l’abbé Bétin a fait remarquer à Mgr Barbier que “ Monseigneur Lefebvre avait posé des questions sur la liberté religieuse ” et que “ jamais il n’avait eu de réponse ”.

Cette dernière affirmation est erronée. En novembre 1985, Mgr Lefebvre a présenté à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi des “ Dubia ” sur la liberté religieuse[4]. Or, ces “ objections ” ont fait l’objet d’une réponse de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (en une cinquantaine de pages) et Mgr Lefebvre a fait une “ Réponse à la réponse ” ; deux textes qui, à ce jour, n’ont pas été publiés.

Mgr Barbier, lui, semble ignorer et les “ Dubia ”, et la “ Réponse ” de la Congrégation et la “ Réponse à la réponse ” de Mgr Lefebvre. Aussi, à ses interlocuteurs de la FSSPX, il n’a, sur ce sujet, qu’une réponse à donner : “ La réponse est la pratique de l’Eglise ”. On est loin de l’ “ effort renouvelé d’approfondissement ” que demandait Jean-Paul II.

On signalera encore pour terminer que Mgr Tissier de Mallerais, un des quatre évêques sacrés par Mgr Lefebvre en 1988, et qui a collaboré avec celui-ci pour la rédaction des “ Dubia ” en 1985, vient de revenir longuement sur cette question, sous la forme d’un dialogue didactique : “ Liberté religieuse et conscience religieuse ”, pages 2 à 14 du dernier numéro de la revue Certitudes (23 rue des Bernardins, 75005 Paris, n° 14, ce numéro 8 ¤).

[1] Bruno Neveu, “ Juge suprême et Docteur infaillible : le pontificat romain de la bulle In Eminenti (1643) à la bulle Auctorem Fidei (1794) ”, in Mélanges de l’Ecole française de Rome, t. 93, 1981, 1, p. 215-275.

[2] Motu proprio “ Eccleia Dei adflicta ”, 2 juillet 1988, D.C., n° 1967, 7/21 août 1988, p. 789.

[3] Huguette Pérol, Les Sans-Papiers de l’Eglise, F.-X. de Guibert, 1996, préface du P. Michel Lelong.

[4] “ Dubia ” sur la liberté religieuse, texte de 138 pages, présenté le 6 novembre 1985, imprimé, dans une version dactylographiée et photocopiée, par le Séminaire d’Ecône en juin 1987 ; publié sous le titre Mes doutes sur la liberté religieuse par les Editions Clovis en 2000.