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Aletheia n°52 - 8 février 2004 PDF

Les “ Petits dialogues ” de Jean Madiran

Dans les milieux catholiques attachés à la Tradition, la discussion ou la saine et intelligente controverse rencontre souvent des obstacles.

Il y a l’ignorance de ce qui se fait et s’écrit ailleurs. Manque de curiosité intellectuelle ou “ manque de temps pour tout lire ” dira-t-on.

Il y aura aussi, fréquemment, chez les mieux informés, silence sur ce que l’autre fait ou écrit. Un silence qui reflète alors un sens très affirmé de sa propre supériorité et la certitude de posséder seul la vérité.

 Ou alors, l’évocation qui est faite des actes et positions d’autrui sera malveillante ou caricaturale. Et, inversement, il y aura des approbations inconditionnelles et paresseuses de tout ce qui se dit et se fait pourvu que cela vienne de ceux qui sont réputés “ proches ”.

Exemple récent de malveillance : on affirmera que Dom Gérard s’est démis de sa charge abbatiale “ sous la pression de Rome ” (cela s’est lu dans un intelligent et agile bulletin proche de la FSSPX).

Exemple de silence : telle éminente revue trimestrielle proche de la Fraternité Saint-Pierre, et qui a un sens aigu de la romanité, a pu, jusqu’ici, faire comme si n’existaient pas les études théologiques du concile Vatican II faites par la Fraternité Saint-Pie X et ceux qui sont proches d’elle.

Les exemples de réel débat sont rares. Il faut tout l’art et l’autorité d’un Jean Madiran pour, à travers ses “ Petits dialogues ” – cinq à ce jour –, éclairer, opposer, rectifier et faire se rencontrer. Ceux qui ne lisent pas Présent les ignore. Ceux qui le lisent distraitement n’ont peut-être pas saisi l’importance et la salubre ambition de ces “ Petits dialogues ”.Les cinq parus à ce jour sont : Petit dialogue inter-laïcs sur la messe tradi (4 décembre 2003), Petit dialogue plus laïc que clérical sur la FSSPX (17 décembre), Petit dialogue inter-laïcs sur l’antérieur et le postérieur (24 décembre), Inter-laïcs : la confession d’Hubert le papiste (14 janvier 2004), Petit dialogue à propos d’un Père abbé émérite (7 février)[1].


Vatican II et l’Evangile, par l’abbé de Tanoüarn

L’abbé Guillaume de Tanoüarn est sans conteste un des esprits les plus déliés parmi les prêtres traditionalistes. Pour avoir écrit, ici, que sa revue, Certitudes, est la plus libre des revues de la FSSPX ou proches de la FSSPX, il m’a gourmandé dans une autre de ses publications, Pacte.

Au risque de lui déplaire, je maintiens qu’il y a toujours un vif plaisir intellectuel à le lire, même si on est pas toujours d’accord avec lui. Dans la “ lutte doctrinale ” (l’expression est de l’abbé de Cacqueray, supérieur du District de France) que semble privilégier désormais la FSSPX, l’abbé de Tanoüarn est assurément un chevau-leger ou un hussard, au sens littéral d’éclaireur, et non au sens figuré.

L’audace spéculative de ce disciple de Cajétan lui permet d’écrire, dans un ouvrage collectif qui vient de paraître, qu’au second concile du Vatican : “ Le dogme est resté intact ”[2]. Tout en faisant une critique philosophique et théologique du dit-concile.

Cette critique, on la trouve dans un autre ouvrage, qu’il a publié seul cette fois, il y a quelques mois : Vatican II et l’Evangile[3]. La thèse centrale de l’auteur me semble être celle-ci : le concile Vatican II a inauguré une “ nouvelle religion ”, au sens, étymologique, de “ nouvelle manière d’entrer en relation avec Dieu ” (p. 10). Cette nouvelle religion s’articule autour de la place nouvelle faite à la conscience : non plus “ comme un jugement qui permet de distinguer le bien et le mal, mais plutôt comme “le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu“ (Gaudium et Spes, n° 16). La conscience apparaît dans le texte comme le cœur du mystère de l’homme et finalement comme la part divine dans l’homme. ” (p. 101). L’abbé de Tanoüarn fait de la conscience la pierre angulaire de la doctrine de la liberté religieuse qu’a développée le concile Vatican II.

Après avoir montré, au chapitre 8 de son ouvrage, “ le conflit des interprétations ” autour de cette liberté religieuse (thèses accommodatrices du P. Basile Valuet, de Brian Harrison, des RR.PP. André-Vincent et de Margerie), l’abbé de Tanoüarn, au chapitre 9, met en regard la transmission de la foi et la doctrine de la liberté religieuse.

Dans cette doctrine, il n’est plus question d’adhésion à l’autorité de Dieu qui se révèle et d’obéissance de la foi, mais de médiation de la conscience, y compris pour la foi. “ C’est par la médiation de sa conscience que l’homme perçoit et reconnaît les injonctions de la loi divine ” dit Dignitatis humanæ [les Pères conciliaires n’ont pas dit loi naturelle, fait remarquer l’abbé de Tanoüarn].

Le concile Vatican II “ ne nie aucun dogme chrétien ” (p. 153) mais “ commande [au sens premier du terme, pourrait-on dire] une nouvelle relation de chacun au contenu de sa foi ”.

La force de l’analyse de l’abbé de Tanoüarn est de montrer la religion conciliaire comme une nouvelle manière de vivre la vieille religion. C’est bien une “ révolution copernicienne ”, selon l’expression de Jean Madiran, qui a eu lieu. L’Eglise, écrit l’abbé de Tanoüarn, “ ne veut plus se proposer à l’humanité comme son unique destin surnaturel : elle se contente de faire signe au peuple de Dieu. Elle s’intitule elle-même “sacrement“, c’est-à-dire signe de Dieu. ” (p. 258-259).

On ne sera pas toujours d’accord avec l’abbé de Tanoüarn. Sans parler de quelques erreurs de détail[4], on pourra contester le diagnostic général : “ Pourquoi la crise dure-t-elle ? Pourquoi semble-t-elle s’aggraver d’année en année ? ” (p. 18).

La crise s’ “ aggrave ”-t-elle ? L’abbé de Tanoüarn ne voit-il poindre vraiment aucun signe de restauration ? La situation française ne doit pas masquer les changements dans d’autres pays. Et en France elle-même, sans parler de certaines abbayes, n’y a-t-il pas des évêques qui commencent à parler et à enseigner comme aucun évêque français ne l’avait fait jusque-là depuis des décennies ?

L’abbé de Tanoüarn nous dit lui-même : “ En 1993 [périodisation peut-être contestable], Jean-Paul II moraliste a effectué sa contre-révolution ! ” (p. 284). Au début de son livre, il reconnaît aussi :  “ si imprégné soit-il de la nouvelle religion conciliaire, le catéchisme de l’Eglise catholique, publié en 1992, réaffirme tous les dogmes sans atténuations. L’enseignement romain le plus officiel est théologiquement complet, c’est un fait ! ” (p. 18). Affirmation reprise encore à la fin de l’ouvrage : le Catéchisme de l’Eglise catholique est une “ représentation correcte de la foi ” (p. 282).

Ce qui contredit complètement ce que la FSSPX avait affirmé lors de la parution du Catéchisme dans des ouvrages de controverse publiés par certains de ses prêtres et sous l’autorité du Supérieur général d’alors[5].  

Aux philosophes et aux théologiens qualifiés d’examiner et de juger plus amplement de la validité des analyses de l’abbé de Tanoüarn sur le concile Vatican II et sa “ nouvelle religion ”. La force de ces analyses ne peut que retenir l’attention des lecteurs non prévenus et les amener à s’interroger sur cette nouvelle praxis chrétienne instaurée “ en toute légalité ecclésiastique à l’intérieur du Bercail ” (p. 285).

2005  verra le 40e anniversaire de la clôture du concile Vatican II. Presque deux générations élevées dans une “ nouvelle religion ” qui n’est pas le contraire de la religion catholique, mais une nouvelle façon de concevoir et de vivre cette religion.


Revue des revues

. Le diocèse de Nanterre est un des diocèses de France où, malgré des demandes anciennes et répétées, depuis 1985, les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle n’ont pu obtenir de leurs évêques successifs que soient appliqués les privilèges du motu proprio Ecclesia Dei. Une “ Association pour la paix liturgique dans le diocèse de Nanterre ” vient de se créer. Elle publie régulièrement un bulletin pour informer des démarches qu’elle a entreprises auprès du nouvel évêque du diocèse, Mgr Daucourt. On peut recevoir ce bulletin et soutenir l’association en écrivant à l’Association pour la paix liturgique, 7 rue des Marguerites, 92500 Rueil-Malmaison.

. Divinitas est une “ Revue internationale de recherche et de critique théologique ” fondée par Mgr Piolanti et dirigée aujourd’hui au Vatican par Mgr Brunero Gherardini. Dans le dernier numéro paru, anno XLVI, 2/2003, on peut lire :

L.J. Elders, s.v.d. Dangers threatening the Christian Faith.

P. Bonifacio Honings, o.c.d., Le persone con handicaps e la sessualità. Un tema-problema attinente al progetto di Dio in materia di bi-sessualità.

Vittoria Valentino, E. Avogadro Della Motta (1798-1865), un difensore rigoroso dei diritti della Chiesa e del Papa.

Mgr Brunero Gherardini, Canonizzazione ed infaillibilità

Yves Chiron, Il y a 40 ans. L’ouverture de Vatican II. Mise en perspective historique.

Mgr Brunero Gherardini, Œcumenica - 2 [suite d’une étude critique sur les initiatives et déclarations œcuméniques de ces dernières années].

L’abonnement à la revue, trimestrielle, est de 40 ¤ pour l’étranger : Divinitas, Palazzo dei Canonici, 00120 Città del Vaticano.

. La Revue d’Histoire de l’Eglise de France, imprimée à Paris (26 rue d’Assas, 75006 Paris) et qui est, avec la Revue d’Histoire ecclésiastique, imprimée à Louvain, la principale revue d’histoire religieuse, publie dans son  dernier numéro (n° 223, juillet-décembre 2003), une longue recension, pages 529-536, de la biographie de Mgr Lefebvre rédigée par Mgr Tissier de Mallerais.

L’auteur de la recension, le P. Pierre Blet, s.j., après une ample présentation de l’ouvrage et des principaux événements de la vie de Mgr Lefebvre, conclut très justement : “ Les liens de l’auteur de cette longue biographie avec Mgr Lefebvre, liens d’affection et de parenté spirituelle, porteront des lecteurs à mettre en cause a priori l’impartialité de son travail. En réalité, on sent dans cet ouvrage la volonté de retrouver et de dire la vérité. L’ouvrage est rédigé selon les règles de la méthode historique : les faits et les textes cités sont appuyés sur des références à des sources manuscrites ou imprimées. […] On pourra peut-être relever dans quelques pages, en particulier dans les récits de la vie de Mgr Lefebvre, missionnaire au Gabon, archevêque de Dakar et délégué apostolique, quelques accents hagiographiques. Mais cela n’empêche pas Tissier de Mallerais d’exposer en toute clarté et sans réticence les positions tenues par Mgr Lefebvre […] Il déclare sans ambages que l’archevêque Lefebvre reconstruisait le passé quand il affirmait à tort avoir refusé sa signature à deux actes du concile, Dignitatis humanæ et Gaudium et spes. De même l’auteur ne craint pas d’exposer sans réticence l’évolution des idées de Mgr Lefebvre sur un point particulièrement névralgique, son jugement sur la nouvelle messe, partant d’une tolérance sous condition pour arriver à une condamnation absolue. En revanche, l’auteur évoque sans glose les faux pas des interlocuteurs de l’archevêque, à commencer par l’attribution du plus petit évêché alors vacant à l’archevêque de Dakar, délégué apostolique pour l’Afrique francophone, d’Alger à Madagascar, plus tard la lettre expédiée pour lui enjoindre d’accepter le deuxième concile du Vatican en mettant cette assemblée œcuménique sur le même plan, sinon au-dessus, du concile de Nicée, ou encore le rejet de l’appel au suprême tribunal de la Signature apostolique (ce que les historiens d’Ancien Régime appellent la justice retenue). ”

[1] Présent, 5 rue d’Amboise, 75002 Paris, le numéro : 1,50 ¤.

[2] Abbé Guillaume de Tanoüarn “ Explication de la déclaration finale ”, in La religion de Vatican II. Etudes théologiques, Editions des Cercles de Tradition de Paris, 2003, p. 360. Cet ouvrage collectif, de 432 pages, qui rassemble les actes du 1er symposium organisé par la FSSPX et les religieux du couvent d’Avrillé en octobre 2002, est en vente en promotion (au prix de 24,30 ¤) jusqu’au 28 février. Commandes à adresser au Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, 49240 Avrillé.

[3] Vatican II et l’Evangile, Editions Servir (15 rue d’Estrées, 75015 Paris), 332 pages, 15 ¤.

[4] C’est par erreur, ou distraction, que l’abbé de Tanoüarn, écrit : “ Qui consulte la bibliothèque personnelle de Jean-Baptiste Montini, conservée à Milan, se rend compte que le pontife a lu et annoté les œuvres des théologiens les plus progressistes… ” (p. 8). Cette bibliothèque ne se trouve pas à Milan mais à Brescia, la ville natale du pape ; elle est conservée à l’Istituto Paolo VI, où j’ai pu la consulter lors de la préparation de mon Paul VI, le Pape écartelé, Perrin, 1993.

[5] Conférences des abbés Simoulin, Lorans et Marcille publiés sous le titre : Le nouveau Catéchisme de l’Eglise catholique est-il catholique ? Examen critique, préface de l’abbé Schmidberger, Editions Fideliter, 1993 et abbé Michel Simoulin, Le Catéchisme assassiné, Editions Saint-Irénée, 1997.