Les
“ Petits dialogues ” de Jean Madiran
Dans
les milieux catholiques attachés à la Tradition, la discussion ou la
saine et intelligente controverse rencontre souvent des obstacles.
Il
y a l’ignorance de ce qui se fait et s’écrit ailleurs. Manque de
curiosité intellectuelle ou “ manque de temps pour tout lire ”
dira-t-on.
Il
y aura aussi, fréquemment, chez les mieux informés, silence sur ce que l’autre
fait ou écrit. Un silence qui reflète alors un sens très affirmé de sa
propre supériorité et la certitude de posséder seul la vérité.
Ou
alors, l’évocation qui est faite des actes et positions d’autrui sera
malveillante ou caricaturale. Et, inversement, il y aura des approbations
inconditionnelles et paresseuses de tout ce qui se dit et se fait pourvu
que cela vienne de ceux qui sont réputés “ proches ”.
Exemple
récent de malveillance : on affirmera que Dom Gérard s’est démis
de sa charge abbatiale “ sous la pression de Rome ” (cela s’est
lu dans un intelligent et agile bulletin proche de la FSSPX).
Exemple
de silence : telle éminente revue trimestrielle proche de la
Fraternité Saint-Pierre, et qui a un sens aigu de la romanité, a pu,
jusqu’ici, faire comme si n’existaient pas les études théologiques
du concile Vatican II faites par la Fraternité Saint-Pie X et ceux qui
sont proches d’elle.
Les
exemples de réel débat sont rares. Il faut tout l’art et l’autorité
d’un Jean Madiran pour, à travers ses “ Petits dialogues ”
– cinq à ce jour –, éclairer, opposer, rectifier et faire se
rencontrer. Ceux qui ne lisent pas Présent les ignore. Ceux qui le
lisent distraitement n’ont peut-être pas saisi l’importance et la
salubre ambition de ces “ Petits dialogues ”.Les cinq parus
à ce jour sont : Petit dialogue inter-laïcs sur la messe tradi
(4 décembre 2003), Petit dialogue plus laïc que clérical sur la
FSSPX (17 décembre), Petit dialogue inter-laïcs sur l’antérieur
et le postérieur (24 décembre), Inter-laïcs : la confession
d’Hubert le papiste (14 janvier 2004), Petit dialogue à
propos d’un Père abbé émérite (7 février)[1].
Vatican
II et l’Evangile,
par
l’abbé de Tanoüarn
L’abbé
Guillaume de Tanoüarn est sans conteste un des esprits les plus déliés
parmi les prêtres traditionalistes. Pour avoir écrit, ici, que sa revue,
Certitudes, est la plus libre des revues de la FSSPX ou proches de
la FSSPX, il m’a gourmandé dans une autre de ses publications, Pacte.
Au
risque de lui déplaire, je maintiens qu’il y a toujours un vif plaisir
intellectuel à le lire, même si on est pas toujours d’accord avec lui.
Dans la “ lutte doctrinale ” (l’expression est de l’abbé
de Cacqueray, supérieur du District de France) que semble privilégier
désormais la FSSPX, l’abbé de Tanoüarn est assurément un
chevau-leger ou un hussard, au sens littéral d’éclaireur, et non au
sens figuré.
L’audace
spéculative de ce disciple de Cajétan lui permet d’écrire, dans un
ouvrage collectif qui vient de paraître, qu’au second concile du
Vatican : “ Le dogme est resté intact ”[2].
Tout en faisant une critique philosophique et théologique du dit-concile.
Cette
critique, on la trouve dans un autre ouvrage, qu’il a publié seul cette
fois, il y a quelques mois : Vatican II et l’Evangile[3].
La thèse centrale de l’auteur me semble être celle-ci : le
concile Vatican II a inauguré une “ nouvelle religion ”, au
sens, étymologique, de “ nouvelle manière d’entrer en relation
avec Dieu ” (p. 10). Cette nouvelle religion s’articule autour de
la place nouvelle faite à la conscience : non plus “ comme un
jugement qui permet de distinguer le bien et le mal, mais plutôt comme
“le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul
avec Dieu“ (Gaudium et Spes, n° 16). La conscience apparaît
dans le texte comme le cœur du mystère de l’homme et finalement comme
la part divine dans l’homme. ” (p. 101). L’abbé de Tanoüarn
fait de la conscience la pierre angulaire de la doctrine de la liberté
religieuse qu’a développée le concile Vatican II.
Après
avoir montré, au chapitre 8 de son ouvrage, “ le conflit des
interprétations ” autour de cette liberté religieuse (thèses
accommodatrices du P. Basile Valuet, de Brian Harrison, des RR.PP.
André-Vincent et de Margerie), l’abbé de Tanoüarn, au chapitre 9, met
en regard la transmission de la foi et la doctrine de la liberté
religieuse.
Dans
cette doctrine, il n’est plus question d’adhésion à l’autorité de
Dieu qui se révèle et d’obéissance de la foi, mais de médiation de
la conscience, y compris pour la foi. “ C’est par la médiation
de sa conscience que l’homme perçoit et reconnaît les injonctions de
la loi divine ” dit Dignitatis humanæ [les Pères
conciliaires n’ont pas dit loi naturelle, fait remarquer l’abbé de
Tanoüarn].
Le
concile Vatican II “ ne nie aucun dogme chrétien ” (p. 153)
mais “ commande [au sens premier du terme, pourrait-on dire] une
nouvelle relation de chacun au contenu de sa foi ”.
La
force de l’analyse de l’abbé de Tanoüarn est de montrer la religion
conciliaire comme une nouvelle manière de vivre la vieille religion. C’est
bien une “ révolution copernicienne ”, selon l’expression
de Jean Madiran, qui a eu lieu. L’Eglise, écrit l’abbé de Tanoüarn,
“ ne veut plus se proposer à l’humanité comme son unique destin
surnaturel : elle se contente de faire signe au peuple de Dieu. Elle
s’intitule elle-même “sacrement“, c’est-à-dire signe de
Dieu. ” (p. 258-259).
On
ne sera pas toujours d’accord avec l’abbé de Tanoüarn. Sans parler
de quelques erreurs de détail[4],
on pourra contester le diagnostic général : “ Pourquoi la
crise dure-t-elle ? Pourquoi semble-t-elle s’aggraver d’année en
année ? ” (p. 18).
La
crise s’ “ aggrave ”-t-elle ? L’abbé de
Tanoüarn ne voit-il poindre vraiment aucun signe de restauration ?
La situation française ne doit pas masquer les changements dans d’autres
pays. Et en France elle-même, sans parler de certaines abbayes, n’y
a-t-il pas des évêques qui commencent à parler et à enseigner comme
aucun évêque français ne l’avait fait jusque-là depuis des
décennies ?
L’abbé
de Tanoüarn nous dit lui-même : “ En 1993 [périodisation
peut-être contestable], Jean-Paul II moraliste a effectué sa
contre-révolution ! ” (p. 284). Au début de son livre, il
reconnaît aussi : “ si imprégné soit-il de la
nouvelle religion conciliaire, le catéchisme de l’Eglise catholique,
publié en 1992, réaffirme tous les dogmes sans atténuations. L’enseignement
romain le plus officiel est théologiquement complet, c’est un
fait ! ” (p. 18). Affirmation reprise encore à la fin de l’ouvrage :
le Catéchisme de l’Eglise catholique est une “ représentation
correcte de la foi ” (p. 282).
Ce
qui contredit complètement ce que la FSSPX avait affirmé lors de la
parution du Catéchisme dans des ouvrages de controverse publiés
par certains de ses prêtres et sous l’autorité du Supérieur général
d’alors[5].
Aux
philosophes et aux théologiens qualifiés d’examiner et de juger plus
amplement de la validité des analyses de l’abbé de Tanoüarn sur le
concile Vatican II et sa “ nouvelle religion ”. La force de
ces analyses ne peut que retenir l’attention des lecteurs non prévenus
et les amener à s’interroger sur cette nouvelle praxis
chrétienne instaurée “ en toute légalité ecclésiastique à l’intérieur
du Bercail ” (p. 285).
2005
verra le 40e anniversaire de la clôture du concile Vatican II. Presque
deux générations élevées dans une “ nouvelle religion ”
qui n’est pas le contraire de la religion catholique, mais une nouvelle
façon de concevoir et de vivre cette religion.
Revue
des revues
.
Le diocèse de Nanterre est un
des diocèses de France où, malgré des demandes anciennes et
répétées, depuis 1985, les catholiques attachés à la liturgie
traditionnelle n’ont pu obtenir de leurs évêques successifs que soient
appliqués les privilèges du motu proprio Ecclesia Dei. Une “ Association
pour la paix liturgique dans le diocèse de Nanterre ” vient de
se créer. Elle publie régulièrement un bulletin pour informer des
démarches qu’elle a entreprises auprès du nouvel évêque du diocèse,
Mgr Daucourt. On peut recevoir ce bulletin et soutenir l’association en
écrivant à l’Association pour la paix liturgique, 7 rue des
Marguerites, 92500 Rueil-Malmaison.
.
Divinitas est une “ Revue
internationale de recherche et de critique théologique ” fondée
par Mgr Piolanti et dirigée aujourd’hui au Vatican par Mgr Brunero
Gherardini. Dans le dernier numéro paru, anno XLVI, 2/2003, on peut
lire :
L.J.
Elders, s.v.d. Dangers threatening the Christian Faith.
P.
Bonifacio Honings, o.c.d., Le persone con handicaps e la sessualità.
Un tema-problema attinente al progetto di Dio in materia di bi-sessualità.
Vittoria
Valentino, E. Avogadro Della Motta (1798-1865), un difensore rigoroso
dei diritti della Chiesa e del Papa.
Mgr
Brunero Gherardini, Canonizzazione ed infaillibilità
Yves
Chiron, Il y a 40 ans. L’ouverture de Vatican II. Mise en perspective
historique.
Mgr
Brunero Gherardini, Œcumenica - 2 [suite d’une étude critique
sur les initiatives et déclarations œcuméniques de ces dernières
années].
L’abonnement
à la revue, trimestrielle, est de 40 ¤ pour l’étranger : Divinitas,
Palazzo dei Canonici, 00120 Città del Vaticano.
.
La Revue d’Histoire de l’Eglise
de France, imprimée à Paris (26 rue d’Assas, 75006 Paris) et qui
est, avec la Revue d’Histoire ecclésiastique, imprimée à
Louvain, la principale revue d’histoire religieuse, publie dans son
dernier numéro (n° 223, juillet-décembre 2003), une longue
recension, pages 529-536, de la biographie de Mgr Lefebvre rédigée par
Mgr Tissier de Mallerais.
L’auteur
de la recension, le P. Pierre Blet, s.j., après une ample présentation
de l’ouvrage et des principaux événements de la vie de Mgr Lefebvre,
conclut très justement : “ Les liens de l’auteur de cette
longue biographie avec Mgr Lefebvre, liens d’affection et de parenté
spirituelle, porteront des lecteurs à mettre en cause a priori l’impartialité
de son travail. En réalité, on sent dans cet ouvrage la volonté de
retrouver et de dire la vérité. L’ouvrage est rédigé selon les
règles de la méthode historique : les faits et les textes cités
sont appuyés sur des références à des sources manuscrites ou
imprimées. […] On pourra peut-être relever dans quelques pages, en
particulier dans les récits de la vie de Mgr Lefebvre, missionnaire au
Gabon, archevêque de Dakar et délégué apostolique, quelques accents
hagiographiques. Mais cela n’empêche pas Tissier de Mallerais d’exposer
en toute clarté et sans réticence les positions tenues par Mgr Lefebvre
[…] Il déclare sans ambages que l’archevêque Lefebvre reconstruisait
le passé quand il affirmait à tort avoir refusé sa signature à deux
actes du concile, Dignitatis humanæ et Gaudium et spes. De
même l’auteur ne craint pas d’exposer sans réticence l’évolution
des idées de Mgr Lefebvre sur un point particulièrement névralgique,
son jugement sur la nouvelle messe, partant d’une tolérance sous
condition pour arriver à une condamnation absolue. En revanche, l’auteur
évoque sans glose les faux pas des interlocuteurs de l’archevêque, à
commencer par l’attribution du plus petit évêché alors vacant à l’archevêque
de Dakar, délégué apostolique pour l’Afrique francophone, d’Alger
à Madagascar, plus tard la lettre expédiée pour lui enjoindre d’accepter
le deuxième concile du Vatican en mettant cette assemblée œcuménique
sur le même plan, sinon au-dessus, du concile de Nicée, ou encore le
rejet de l’appel au suprême tribunal de la Signature apostolique (ce
que les historiens d’Ancien Régime appellent la justice retenue). ” |