REMI
BRAGUE INTERROGE L’ISLAM
Rémi
Brague fut, en 1975, un des fondateurs de la “ Revue catholique
internationale ” Communio. Cette revue, d’inspiration
nettement balthasarienne, se voulait l’anti-Concilium. Dans la
revue, et dans sa collection, aux éditions Fayard, on a lu, outre Hans
Urs von Balthasar et Henri de Lubac, avant qu’ils ne deviennent
cardinaux, Karol Wojtyla, avant qu’il ne devienne Jean-Paul II, Joseph
Ratzinger, avant qu’il ne devienne Préfet de la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi, et d’autres auteurs partisans d’un “ retour
au Centre ” (le “ Centre ” étant le Christ selon l’expression
de Balthasar).
Rémi
Brague est aujourd’hui professeur de philosophie aux universités de
Paris I et de Munich. Spécialiste de la philosophie médiévale
(chrétienne, juive et islamique), il a fait paraître, ces derniers
temps, deux articles sur l’Islam qui, dans des perspectives très
différentes, méritent de retenir l’attention et font espérer que l’auteur
prolongera ses réflexions dans un ouvrage plus développé.
Le
premier article, intitulé “ Quelques difficultés du dialogue avec
l’Islam ”, est paru dans trois numéros successifs de la revue
trimestrielle Œuvre d’Orient[1].
Rémi Brague présente différentes “ difficultés qui se
présentent dans la compréhension mutuelle entre musulmans et
non-musulmans ”. La première est qu’il n’existe qu’un seul
terme pour désigner la religion et la civilisation musulmanes : “ islam ” ;
alors que dans toutes les langues européennes, on distingue la religion
( ” christianisme ”) et la civilisation ( ” chrétienté ”).
Cette univocité s’accompagne, paradoxalement, d’une aporie : “ L’islam,
à la différence du christianisme, en tout cas dans sa version
catholique, n’a pas de magistère ecclésiastique universellement
reconnu, et il ne veut pas en avoir. ” Qui va alors dire ce qu’est
l’islam “ véritable ” ? Qui peut alors affirmer que
telle ou telle doctrine ou pratique ne correspond pas à l’islam “ authentique ” ?
Rémi
Brague fait ensuite remarquer que la place de l’islam, dans l’Histoire,
a beaucoup changé entre les siècles du Moyen Age et l’époque
contemporaine. L’islam s’est très tôt considéré comme “ un
post-christianisme, au sens hégélien de la Aufbehung : un
effacement qui accomplit ”. L’Histoire a pu, pendant quelques
siècles, sembler lui donner raison : l’Islam a conquis rapidement
tout le sud et l’Orient méditerranéens, même comme civilisation il a
pu apparaître “ à son apogée, plus développé, plus avancé que
les autres branches de l’arbre des descendants d’Abraham ”.
Aujourd’hui, et depuis au moins le XVIIIe siècle, il n’en est plus
ainsi. Rémi Brague, avec un brin d’ironie, écrit : “ Le
malaise de l’islam à l’époque moderne vient, entre autres, de ce que
le niveau de la civilisation et de la revendication de la religion ont
cessé de se confirmer l’un l’autre. L’islam comme religion est le
dernier cri ; l’islam comme peuples connaît un état de
civilisation démodé ”.
Considéré
de manière plus immédiate comme religion, les difficultés de
compréhension de l'islam ne sont pas moins grandes. Quand on cherche à
ne cerner l’islam que dans ses sources (le Coran et les Hadith
— les récits sur la vie de Mahomet), on se heurte bien vite à des
contradictions. Rémi Brague estime : “ Cela n’a rien de
surprenant, si l’on songe que, pour qui admet la doctrine reçue sur sa
formation, il fut prêché sur une durée de vingt ans, et dans de
conditions très différentes. Au début, Mahomet était un prêcheur
isolé qui annonçait à sa ville natale la venue prochaine du jugement
dernier. À la fin de sa carrière, il était le chef d’une communauté
victorieuse aux membres de laquelle il dictait ses lois. Entre les deux,
il lui fallut polémiquer avec des païens, des juifs et des chrétiens,
mais aussi négocier avec eux, nouer avec les uns des alliances tactiques
contre les autres. ” L’exemple, “ désagréable ”,
que cite Rémi Brague est significatif de la difficulté soulevée. Je
renvoie le lecteur curieux à l’article lui-même.
Dans
une dernière partie de sa longue étude, Rémi Brague montre l’islam
comme “ intrinsèquement fondamentaliste ” ( “ au
sens “protestant“ du terme ”) et explique que le concept de “ tolérance ”
est inopérant pour juger l’islam parce que c’est une idée “ née
dans l’Europe de l’époque de la Réforme ”.
Enfin,
Rémi Brague termine par un paradoxe : “ pour la dogmatique
islamique, les Juifs ne sont pas d’authentiques Juifs, les Chrétiens ne
sont pas d’authentiques Chrétiens. Les véritables Juifs et les
véritables Chrétiens sont en fait… les Musulmans eux-mêmes. ”
Paradoxe qui se prolonge par un “ plaidoyer pour la science ” :
un dialogue authentique présuppose, certes, de bonnes dispositions
morales de part et d’autre, mais aussi une “ bonne connaissance
mutuelle ”. et celle-ci, sauf rarissimes exceptions, fait défaut
aux amateurs, des deux bords, du dialogue islamo-chrétien.
À
peu près contemporaine de ce long article, paraissait, dans une autre
revue, une autre étude de Rémi Brague intitulée : “ Le
Coran : sortir du cercle ? ”[2].
La perspective est très différente des articles parus dans Œuvre d’Orient.
Il s’agit, cette fois, d’une interrogation sur la composition du
Coran, menée à partir de travaux érudits, essentiellement de langue
allemande et anglaise.
Rémi
Brague fait remarquer d’emblée : “ On croit lire, écouter,
traduire le Coran ” alors qu’en lisant le texte actuel, dans
quelque édition qu’il s’agisse, on ne fait que lire “ les
interprétations des commentateurs qui, à partir de la fin du IXe
siècle, en particulier à partir de Tabari (m. 923), ont cherché tout
simplement à venir à bout du tissu d’obscurités qui constitue le “Livre
clair“. ” On ne dispose pas, pour le Coran, d’éditions
critiques comme il en existe pour l’Ancien et le Nouveau Testament.
Dans
un livre récent, un orientaliste allemand, Christoph Luxenberg, Die
syro-aramäische Lesart des Koran. Ein Betrag zur Entschüsselung der
Koransprache (Berlin, Das arabische Buch, 2000, IX-311 pages) montre
que la langue dans laquelle le Coran a été rédigé n’est pas l’arabe
classique mais un mélange d’arabe et de syriaque. Ce qui conduit
Luxenberg à réviser, à partir du syriaque, la traduction de textes
importants du Coran. Ainsi, et Rémi Brague en rapporte la démonstration,
le célèbre passage sur les houris promises aux bons musulmans au
Paradis, doit être lu dans un tout autre sens.
Une
des conséquences de cette révision du Coran à partir du syriaque est de
mettre en lumière des prières d’origine chrétienne dans plusieurs
sourates du “ Livre saint ”. Luxenberg estime aussi que le
Coran, à l’origine, n’est pas une révélation nouvelle reçue par
Mahomet mais “ un lectionnaire ”. Luxenberg, cité par Rémi
Brague, écrit : “ Si Coran signifie à proprement parler
lectionnaire, on est autorisé à admettre que le Coran ne voulait être
compris comme rien d’autre qu’un livre liturgique avec des textes
choisis de l’Ecriture (Ancien et Nouveau Testaments), et nullement comme
un succédané de l’Ecriture elle-même, c’est-à-dire comme une
Ecriture indépendante. ”
La
question essentielle ainsi posée — Christoph Luxenberg et Rémi
Brague ne sont pas les premiers à la poser : quel fut le milieu d’origine
du Coran ? Luxenberg émet l’hypothèse d’un milieu
judéo-chrétien. Rémi Brague commente : “ la conception que
le Coran se fait du Christ rappelle en effet la christologie des
judéo-chrétiens. En revanche, il reste une grosse difficulté :
nous n’avons pas de traces d’un lien direct entre le groupe
judéo-chrétien expulsé de Jérusalem vers 66 et les événements
situés six siècles plus tard [la naissance de l’islam]. ”
Le
faux voyant Roger Kozik honoré par Chicago et par la France
Le
dernier numéro paru du bulletin Fraternité Notre Dame[3]
nous apprend que “ Mgr Jean-Marie R. Kozik ” a été
honoré, au printemps dernier, à Chicago, en hommage aux activités
charitables de quelques-unes des “ religieuses ” de sa
communauté établies dans cette ville. Le nom de “ Rev. Bishop
Jean Marie R. Kozik ” a été donné à une rue de la ville au
cours d’une cérémonie à laquelle ont pris part des autorités
municipales et le consul de France à Chicago, en présence de “ Mgr ”
Kozik et de plusieurs “ prêtres ” et “ religieuses ”
de sa communauté. On veut bien croire que le consul de France à Chicago,
bien connu par ailleurs pour plusieurs ouvrages récents d’un grand
intérêt, a été abusé, qu’il a prononcé l’éloge de “ Mgr ”
Kozik et qu’il a dévoilé la plaque en son honneur sans savoir à qui
il avait affaire.
“ Mgr ”
Kosik est en fait un ancien séminariste qui prétend avoir bénéficié d’apparitions
de la Vierge depuis 1969[4]. En
1970, avec un ami, Michel Fernandez, il s’installe dans le petit village
du Fréchou, dans le Lot-et-Garonne. En 1974, Kozik et Fernandez, se font
ordonner prêtres par un pseudo-évêque, Mgr Laborie, de l’ “ Eglise
catholique latine ”. Craignant que ces ordinations ne soient
invalides, ils vont se faire réordonner par un autre pseudo-évêque, Mgr
Enos, “ primat de l’Union des Petites Eglises Catholiques
Indépendantes ”. Puis, en 1977, ils rallient l’Ordre des Carmes
de la Sainte Face, de Clemente Dominguez Gomez (le faux voyant de Palmar
de Troya qui deviendra, l’année suivante, le “ pape Grégoire
XVII ”). Roger Kozik devient le “ Père Jean-Marie ”.
Cette même année 1977, le 27 mai, Kozik et Fernandez, sont ordonnés
prêtres, une troisième fois, par un pseudo-évêque de Palmar de Troya,
puis, le même jour, ils sont sacrés évêques. Le 10 juin suivant,
dans un bois, entre Andiran et Le Fréchou, Roger Kozik aura une première
apparition publique de la Vierge, “ publique ” au sens où
la Vierge aurait commencé à délivrer des messages destinés à être
rendu publics. Tous les 14 du mois, la Vierge, jusqu’à aujourd’hui,
serait fidèle à ce rendez-vous…
Les
évêques successifs d’Agen, dès le 13 août 1977, ont multiplié les
déclarations et les mises en garde contre ces apparitions considérées
comme non-authentiques. Le 10 mai 1991, la cour d’appel d’Agen a
confirmé une condamnation pour abus de confiance contre “ Mgr ”
Kozik et trois autres membres de sa communauté : des peines de
prison assorties de périodes de mises à l’épreuve et de privation de
droit civique pendant cinq ans.
Le
même bulletin du Fréchou nous apprend que le Président de la
République, Jacques Chirac, a été “ incité ” à “ nommer
Mgr Jean-Marie Kozik Chevalier de l’Ordre National du Mérite ”.
Les autorités municipales de Chicago, le consul de France à Chicago et ,
éventuellement, l’Ordre National du Mérite auraient été bien
inspirés de se renseigner un peu plus sur Roger Kozik avant de l’honorer.
Il leur aurait suffi de consulter l’Annuario Pontificio pour se
rendre compte qu’il n’est ni prêtre ni évêque, et d’entrer en
relations avec l’évêché d’Agen pour en connaître un peu plus.
Le
Catéchisme de saint Pie X
Dans
les années 1870, le futur pape saint Pie X était encore curé de Salzano
quand il rédigea un catéchisme, en 577 questions et réponses. Il
contenait un exposé progressif de la foi, depuis l’existence de Dieu
jusqu’à la vie de la grâce par la prière et les sacrements. Ce
catéchisme ne fut jamais édité de son vivant[5],
mais utilisé par lui dans son enseignement de la foi (aux enfants et aux
adultes) et abondamment corrigé.
Devenu
pape, s. Pie X a promulgué, en 1905, une version révisée d’un
catéchisme, classique, publié en 1765 par Mgr Michele Casati, évêque
de Mondovi. C’est ce catéchisme, intitulé Abrégé de la doctrine
chrétienne ou Catéchisme de Rome, et dont des traductions
françaises avaient paru en 1906 et 1907, qui a été réédité, en
pleine “ crise des catéchismes ”, par un numéro spécial
de la revue Itinéraires (n° 116, septembre-octobre 1967, 393
pages), volume intitulé Catéchisme de S. Pie X. Ce premier
catéchisme promulgué par s. Pie X fera l’objet d’autres éditions
dans les milieux traditionalistes (en 1976 aux éditions de la Nouvelle
Aurore, en 1984, aux éditions Dominique Martin Morin).
Mais
s. Pie X, en octobre 1912, promulguait un “ catéchisme
nouveau ”, le Catéchisme de la doctrine chrétienne. Ce
catéchisme avait un ordonnancement différent du précédent et il était
plus bref (433 questions-réponses). Dans la lettre approuvant ce nouveau
catéchisme qui devait se substituer à l’ancien, s. Pie X estimait que
“ ce livre, malgré sa brièveté, explique plus clairement et met
davantage en relief les vérités qu’aujourd’hui, pour le plus grand
dommage des âmes et de a société, on combat, ou déforme, ou oublie le
plus. ”
Ce
catéchisme de 1912 a connu, en Italie et dans beaucoup de pays, une
diffusion ininterrompue. C’est lui que Jean-Paul Ier, en 1978,
recommandait encore. En France, curieusement, il n’a pas eu le même
écho. Il a bien eu, en 1913, une traduction, à la Maison de la Bonne
Presse, mais aucune autre, apparemment, depuis.
Aujourd’hui,
les éditions du Courrier de Rome, dirigées par l’abbé du Chalard, en
publient une nouvelle édition, très élégante, dans un format pratique
de poche : Catéchisme de saint Pie X (B.P. 156, 78001
Versailles), 10 ¤ en édition brochée, 20 ¤ en édition cartonnée. Un
excellent cadeau de Noël. |