LE
T.R.P. DOM GERARD A RENONCE À SA CHARGE ABBATIALE
Jean
Madiran, dans Présent du vendredi 28 novembre, a publié, sans
titre, l'article suivant :
Le
Révérendissime, ou plutôt, si l'on veut à bon droit éviter en
français cet italianisme, le Très Révérend Père Dom Louis-Marie a
été, le 25 novembre, élu par les profès de la communauté pour
succéder au T.R.P. Dom Gérard comme Père abbé de Sainte-Madeleine du
Barroux.
Dom
Louis-Marie avait été nommé par Dom Gérard prieur de sa fondation
récente à Sainte-Marie de la Garde. Il est de six ou sept ans plus jeune
que ne l'était Dom Gérard en 1970 : la première année où la messe
traditionnelle, latine et grégorienne, fut interdite en France par un
abus de pouvoir impie et frauduleux. Cette année-là, en la fête du Cœur
Immaculé de Marie, avec l'autorisation de son Père Abbé de Tournay, Dom
Gérard venait S'établir en ermite à la Madeleine de Bédoin. Et, si
parva ficet componere magnis, Dom Louis-Marie est plus jeune aussi que
Caroline Parmentier ; et même qu'Olivier Figueras !
Dom
Gérard a renoncé à sa charge abbatiale sans doute pour réaliser de son
vivant ce rajeunissement radical. Le parti de l'apostasie immanente
n'arrête pas de raconter,
aujourd'hui
comme il y a trente et quarante ans, que l'attachement à la doctrine et
aux rites traditionnels est une affaire de vieillards. En trente ans et
quarante ans, les vieillards ont eu le temps de mourir ; et l'abbaye
Sainte-Madeleine du Barroux demeure la plus jeune des communautés
bénédictines.
Cette
vitalité réconfortante ne peut toutefois empêcher que l'événement ne
soit porteur pour nous, simples laïcs, d'une grande tristesse ; et aussi
l'occasion d'exprimer notre très profonde et très filiale reconnaissance
pour ce qu'a été, pour nous, l'abbatiat de Dom Gérard.
Si
nous nous sentons en quelque sorte orphelins, c'est de la grande autorité
morale de Dom Gérard que nous le sommes. Autorité morale en France et
dans le monde, autorité tutélaire qui n'était pas celle d'un évêque,
nous le savons, mais qui était tout de même celle d'un Père Abbé.
Autorité qui venait conforter celle des pères et mères de famille et
leur dire qu'ils avaient raison de constater que “ depuis trente ans
(une génération) les enfants n'ont plus de catéchisme, et que dans les
"carrefours obligatoires" qu'on leur propose, on ne trouve plus
les connaissances de la foi nécessaires au salut ”. Autorité qui
s'élevait contre une “ Bible de saveur moderniste, éditée chez
Bayard ”. Autorité du Père Abbé qui avertissait publiquement tous
les “ Amis du monastère ” :
“
Les martyrs anglais du XVIe siècle et les martyrs chinois du XXe siècle
ont tous versé leur sang pour avoir refusé d'entrer, les uns dans une
église anglicane, les autres dans une église patriotique, et vous
voudriez nous voir entrer dans ce magma informe qu'on appelle "œcuménisme ”
ou “dialogue inter-religieux" ? Il est temps que ce vent se lève
et balaye ces mensonges doucereux déguisés sous les oripeaux de la
tolérance. ”
Là
il avait l'humilité, surnaturelle assurément, mais aussi, naturellement
charmante, d'ajouter aussitôt :
“
je sais ce que vous allez me dire. Vous aimeriez que notre intransigeance
s’exprime avec moins d’âpreté. Eh bien, chers amis, j'en conviens.
“
Mais c'est là l'ouvrage de toute une vie.
“
Et n'oubliez pas non plus le bref avertissement de Saint-Exupéry :
~"SentineIIe endormie, avant-garde des ennemis." Priez donc avec
nous et pour nous, afin que notre témoignage se répande, non pas avec le
zèle d'amertume stigmatisé par S. Benoît, mais avec la toute
miséricordieuse et ferme bonté du Seigneur Jésus au fil de son Evangile,
fortiter et suaviter. Avec force et douceur. ”
Devant
le renoncement de Dom Gérard à sa charge abbatiale, on peut bien nous
inviter (avec raison) à un surnaturel détachement, et à l'abandon
confiant en la Providence. Mais enfin, selon saint Grégoire, notre Père
saint Benoît lui-même, quand lui fut révélée la destruction future de
son monastère du Mont-Cassin, “ a pleuré très amèrement ”. Alors,
qu'à nous aussi, on en laisse le temps.
JEAN
MADIRAN
Si
je reproduis intégralement l'article de Jean Madiran[1],
c'est que je n'aurais certainement pu dire aussi bien - et certainement
avec beaucoup moins de profonde familiarité spirituelle - toute la dette
contractée, par plusieurs générations de fidèles maintenant, envers
Dom Gérard. Et aussi parce que le TRP Abbé du Barroux a manifesté si
souvent sa bienveillance attentive à l'égard d'Alétheia, et
aussi à l'égard des nôtres.
Les
centaines d'oblats bénédictins liés à l'abbaye Sainte-Madeleine, les
lecteurs des Amis du Monastère, et tous ceux qui aiment, lisent et
écoutent Dom Gérard, peuvent maintenant espérer que le renoncement à
sa charge abbatiale ne signifiera pas la fin de son enseignement. Allégé
de cette charge, peut-être aura-t-il désormais plus de temps pour leur
donner quelque nouveau livre de lumière et de réconfort.
À
PROPOS DE LA “ GNOSE ”
Paul
Sernine - il s'agit du pseudonyme du directeur d'une maison d'éditions
catholique - publie une réfutation des thèses d'Etienne Couvert sous le
titre: La Paille et le Sycomore. À propos de la “ gnose ”
(Editions Servir, 15 rue d'Estrées, 75007 Paris, 219 pages, 15 euros).
On
sait qu'Etienne Couvert, qui a été longtemps professeur de Lettres
classiques à Lyon, a multiplié, depuis vingt ans, les livres: De la
Gnose à l'œcuménisme, La Gnose contre la foi, La Gnose universelle, La
Gnose en question. Tous prétendent démontrer et dénoncer
l'existence d'une “ Gnose ” univoque et universelle. Cette “ Gnose
”, qui serait à l'origine de toutes les erreurs philosophiques et
religieuses répandues dans le monde depuis tous les temps, en serait à
la fois la cause et le dénominateur commun. Sont ainsi réputés “
gnostiques” , par Etienne Couvert, un nombre impressionnant
d'auteurs et de courants de pensée : de Bouddha à Jean Borella, en
passant par les Esséniens, Maître Eckart, Dante, Spinoza et bien
d'autres.
Etienne
Couvert avait fondé aussi, avec Jean Vaquié et Paul Raynal, un “
Centre d'Etudes et de Recherches sur la pénétration et le développement
de la Révolution dans le Christianisme ”, dont le moyen d'expression
était une publication qui a paru de 1977 à 1994 : les Cahiers
Barruel.
Tous
les ouvrages d'Etienne Couvert ont été publiés aux Editions de Chiré
(B.P. 1, 86190 Chiré-en-Montreuil). Une des revues de cette maison
d'édition, Lecture et Tradition, a fait paraître aussi de
nombreux articles d'Etienne Couvert et a consacré des numéros spéciaux
à la présentation de ses livres ou à la réfutation de ceux qui
contestent ses thèses.
Paul
Sernine avait contesté plusieurs thèses et affirmations d'Etienne
Couvert dans des articles parus dans la revue Certitudes, revue
proche de la Fraternité Saint-Pie X. Dans son ouvrage, il reprend ces
pages et les amplifie par d'autres réfutations.
Dans
un “ Avertissement de l'éditeur ”, le directeur des Editions Servir
(i.e. M. l'abbé de Tanoüarn) présente la réfutation faite par son
confrère comme “ une démonstration particulièrement
"formelle" ”. Il est vrai que Paul Sernine procède de
manière méthodique pour contester que la “ Gnose ” soit une
catégorie explicative probante de toutes les erreurs, passées et
contemporaines.
Son
premier argument est de montrer “ le silence du Magistère ” sur le
sujet : “ si le Magistère de l'Eglise a bien condamné, dans les
premiers siècles, la gnose historique, celle de Marcion ou de Valentin,
en revanche il n'a jamais utilisé le mot "gnose" au sens où
l'entendent les Cahiers Barruel, ni n'a dénoncé (au besoin sous
un nom différent) une erreur maîtresse traversant les siècles en
causant, en rassemblant et en expliquant toutes les erreurs de l'histoire
de l'humanité (sens que donnent au mot "gnose" les Cahiers
Barruel). ”
Dans
un autre chapitre, Paul Sernine entend montrer “ l'impossibilité
intellectuelle ” de la thèse centrale d'Etienne Couvert. “ Il s'agit
de constater, écrit-il, que l'énumération de tous les noms de doctrines
et de personnes censées appartenir à la "gnose" représente
une telle amplitude et une telle diversité qu'il est absolument
impossible de les regrouper sérieusement en un seul courant d'idées
suffisamment déterminé pour en tirer des conclusions valides. Il y a là
une énormité psychologique, une invraisemblance intellectuelle.”
Le
troisième argument employé par Paul Sernine pour contester la thèse
d'une “ Gnose ” universelle est l' “ argument de prescription ”.Pour
que la thèse d'Etienne Couvert d'une “ Gnose ” unique, “
universelle ”, indéfiniment répétée sous des formes diverses, soit
valide, il faudrait aussi que des “ auteurs approuvés ”, antérieurs
à lui, soient, écrit Sernine, “ susceptibles d'appuyer de leur
autorité les affirmations des Cahiers Barruel et de Monsieur
Couvert. ”
Paul
Sernine n'en trouve aucun. C'est là où son dossier, très solide dans
l'ensemble, pèche par défaut.
En
effet, dans les auteurs cités à l'appui de sa thèse par Etienne
Couvert, et par ses défenseurs, il y a Humbert Cornélis. Paul Sernine
cite ce nom parmi ceux d'auteurs “ quasiment inconnus et confidentiels”
, rédacteurs de “ petits ouvrages de vulgarisation ”, qu'on ne peut
considérer comme des “ auteurs de référence ” (p. 140).
Or,
le P. Humbert Cornélis, dominicain, ne fut pas un auteur de deuxième
zone. Docteur en théologie, professeur à l'université de Nimègue, il
fut un bon connaisseur de la gnose ancienne, auteur notamment, chez Vrin,
des Fondements cosmologiques de l'eschatologie d'Origène. Avec un
confrère dominicain, Augustin Léonard, il a publié La Gnose
éternelle (Librairie Arthème Fayard, 1959).
Sernine
ne cite pas ce livre qui, pourtant, est, peut-être, celui qui s'approche
le plus de la thèse de Couvert. Les PP. Cornélis et Léonard
commençaient par établir une “ définition ” du mot gnose. Ils
distinguaient la “ gnose au sens large et au sens étroit ”. Ils
estimaient qu'au sens “ large ”, la “ gnose est de tous les temps
”. Ils s'interrogeaient aussi sur l'existence d'une “ structure propre
aux systèmes gnostiques ”
Trois
des sept chapitres de leur livre étaient consacrés à la gnose
historique (l'hérésie des premiers siècles), à sa naissance, à son
développement, à sa doctrine et à sa réfutation par les Pères de
l'Eglise.
Mais
les auteurs croyaient aussi en une “ continuité historique réelle ”
de la gnose, d'où le titre de leur livre : La gnose éternelle.
Ils consacraient tout un chapitre aux “ formes contemporaines de la
gnose ”, qu'ils retrouvaient dans la théosophie, le “ traditionalisme
” de Guénon, l' “ hindouisme occidentalisé ”, la psychologie de
Jung et certains poètes contemporains. En revanche, dans ce même
chapitre sur les formes contemporaines de la gnose, ils contestaient que
Simone Weil puisse être considérée comme une gnostique, comme certains
analystes de son œuvre le pensaient et le pensent encore (et Couvert est
de ceux-là).
L'ouvrage
des PP. Cornélis et Léonard se distingue de la thèse d'Etienne Couvert
par la finesse et la nuance de son analyse. Les auteurs prenaient garde d'
“ étendre trop largement la notion de gnose ”. Et, à la différence
de Couvert, ils circonscrivaient l'appellation de gnose à “ un
enseignement secret, de nature religieuse, qui promet un salut que procure
la connaissance de soi... ”
Paul
Sernine a fait œuvre utile en montrant crûment les défauts de méthode
et les faiblesses argumentatives d'Etienne Couvert. Son éditeur, dans l'
“ Avertissement ” déjà cité, estime que “ d'autres études sont
nécessaires pour compléter le travail bien circonscrit de Paul Sernine
”. Parmi les sujets qui, selon lui, restent à étudier, il y a celui-ci
: “ Existe-t-il un état d'esprit récurrent, au cours de l'Histoire,
que l'on pourrait qualifier de "gnostique" en ce qu'il
rechercherait un salut par la connaissance? ” (p. 11). Il se demande
aussi si la “ "nouvelle théologie" conciliaire ” ne serait
pas une résurgence, non pas d'une Gnose permanente, mais d'une tentation
ou d'un repli gnostique, au sens précis qu'ils donnent à ce mot.
L'abbé
de Tanoüarn rejoint par là, sans le savoir sans doute, certaines
interrogations de théologiens contemporains. Dans la revue internationale
catholique, Il Nuovo Aeropagio (n° 4/2001, p. 3-23), Michael
Waldstein, président de l'Institut Théologique international de Gaming,
en Autriche, s'est interrogé sur le “ retour du gnosticisme
”. Il en repère des “ variations ” notamment dans la théologie et
l'exégèse de Bultmann, dans la psychologie de Jung et dans une
inclination du “ christianisme moderne ”, fait d'excès de “
spiritualisme et d'individualisme ”. La sécularisation acceptée et la
réduction de la foi à la sphère privée tout comme l' “ expérience
de libération personnelle ” comme fin de la vie religieuse, ne
sont-elles pas les effets d'une “tentation gnostique” ?
Encore
une fois, la gnose dont il est question ici est celle du salut par la
connaissance et non, comme chez Couvert, d'un système complet d'erreurs,
reproductible à l'infini de génération en génération, auquel il
faudrait rattacher toutes les doctrines et systèmes non-catholiques. |