Alain
de Benoist juge l’Eglise
Il
y a plus de dix ans, dans une des revues qu’il dirige, Krisis,
Alain de Benoist avait analysé, en deux longs articles, la “ stratégie
de Jean-Paul II ”. Celle-ci pouvait se résumer, selon lui, en un
seul concept : la “ nouvelle évangélisation ”. Dix
ans plus tard, ces deux études sont traduites en italien, augmentées d’une
“ postface ” inédite d’une vingtaine de pages, et
paraissent sous le titre : La “ nuova evangelizzazione ”
dell’Europa. La strategia di Giovanni Paolo II (Arianna Editrice,
Via Caravaggio 34, 40033 Casalecchio, Italia, 103 pages, 8¤).
L’exercice
est curieux à lire parce qu’il émane d’un observateur radicalement
étranger au christianisme, souvent hostile, quoique assez bien informé
des publications, tendances, évolutions du catholicisme européen. C’est
presque un commentaire juxtalinéaire qui devrait être fait de ces pages,
tant elles appellent de commentaires ou de rectifications ou de
contradictions.
La
thèse centrale d’Alain de Benoist est que le christianisme “ a
aujourd’hui achevé son cycle historique ” (p. 96), que “ le
monde postmoderne ne sera ni chrétien ni antichrétien, mais simplement
postchrétien ” (p. 95). On passera sur la notion, contestable, de
“ cycle historique ”. En revanche, si l’on examine quels
arguments Alain de Benoist emploie pour dire que le christianisme “ a
fait son temps ” (p. 96), on peut les trouver légers ou non
convaincants. Léger quand il juge de l’actuelle “ crise de la
foi ” au regard des résultats de sondages de la Sofres sur la
pratique religieuse. Ces chiffres, même en supposant qu’ils permettent
de mesurer de manière assez fiable la pratique religieuse, ne peuvent
prétendre mesurer la “ foi ” : ce sont deux réalités
différentes bien que, dans le christianisme, elles devraient être
liées.
Qui
plus est, comment déduire une crise contemporaine de la foi, à l’échelle
de l’Eglise universelle, à partir de chiffres de sondages
français ? Dans d’autres pays d’Europe et sur d’autres
continents, les chiffres de la pratique religieuse ne sont pas du tout les
mêmes. La situation française n’est pas le reflet de la situation
universelle de l’Eglise, de la foi et de la pratique religieuse.
Ailleurs,
quand Alain de Benoist écrit : “ Aujourd’hui on ne voit
plus de personnalités connues se convertir au christianisme ”,
même si on s’en tient à l’Europe, on peut le contredire. On peut
renvoyer le lecteur au recueil publié par Denis Lensel (L’irruption
de la grâce. Témoignages de conversion, Editions de Paris, 1999). On
y trouve, pour ne citer que des personnalités françaises converties ces
dernières décennies : André Frossard, Maurice Clavel, Didier
Decoin, Vincent Reyre, d’autres encore. On pourrait citer par ailleurs
un nom cher à Alain de Benoist : Ernst Jünger. Figure revendiquée
par la Nouvelle Droite, le grand écrivain allemand, à la fin de sa vie,
s’est converti à la foi catholique.
On
pourra encore reprocher à Alain de Benoist d’être trop sensible à ce
que disent les médias et de se laisser tromper par eux. Il voit la “ repentance ”,
voulue par Jean-Paul II depuis les années 1990 et culminant avec le
Jubilé de 2000, comme une autocritique qui renforce l’Eglise plus qu’elle
ne l’affaiblit. Pourquoi pas ? Mais Alain de Benoist se trompe du
tout au tout quand il écrit : “ On a vu le pape demander
pardon pour toutes les fautes commises par des chrétiens dans le cours de
l’histoire : les croisades, l’Inquisition, les massacres qui ont
accompagné la découverte et la conquête de l’Amérique latine, l’esclavage,
l’appui donné aux dictatures, etc ” (p. 86).
Jean-Paul
II n’a jamais demandé pardon pour ces supposées fautes-là. Ce sont
certains médias et certains milieux chrétiens qui ont répété à l’envi
et martelé que l’Eglise demandait pardon pour ces fautes-là. À ce
sujet, on doit renvoyer à la longue et minutieuse étude de Michel De
Jaeghere : “ La repentance, histoire d’une
manipulation ”, p. 5-175, en introduction aux actes de la VIIIe
Université d’été de Renaissance catholique : La Repentance.
Pourquoi nous ne demandons pas pardon (Renaissance catholique, 89 rue
Pierre Brossolette, 92130 Issy-les-Moulineaux, 604 pages, 29 ¤).
Ailleurs
encore, Alain de Benoist juge bien extérieurement et superficiellement un
phénomène comme les Journées mondiales de la jeunesse. Il les compare
à la “ Gay Pride ” et autres manifestations de foule où
“ règne la même communion festive, la même organicité
spontanée : rassemblements éphémères, débordements émotifs (“dionysiaques“),
combinaisons de réseaux ” (p. 98-99). Les JMJ n’ont pas eu et n’ont
pas le caractère éphémère et superficiel que leur prête Alain de
Benoist. Des livres de témoignages sur ces JMJ sont déjà parus en
nombre, des études et des enquêtes commencent à être publiées. Il est
sans doute trop tôt pour dire que le succés des JMJ témoigne d’un
mouvement de fond qui bouleversera l’Eglise et renversera des tendances.
En revanche, les JMJ resteront comme un des grands faits du pontificat de
Jean-Paul II. Elles relèvent bien de la “ nouvelle
évangélisation ” voulue par Jean-Paul II, “ nouvelle
évangélisation ” qui est un but à atteindre, certes, mais qui
existe d’abord comme action. En ce sens les JMJ, comme les cérémonies
de béatification et de canonisation, trop nombreuses aux yeux de
certains, sont voulues aussi, par le Pape et par l’Eglise, comme des
signes de visibilité de l’Eglise et des croyants.
Cela
dit, ce livre, comme souvent ce qu’écrit Alain de Benoist, n’est pas
sans apporter, ici et là, des lumières et des éléments de réflexion.
J’ai déjà signalé, dans un précédent numéro, son propos,
intéressant, sur la liberté religieuse[1].
On relèvera encore, dans ce livre, son propos final, juste, sur un
phénomène récent et qui se développe : “ La notion
de laïcité a déjà connu une évolution considérable depuis dix ou
quinze ans, évolution qui a changé le sens et le contenu. À l’ancienne
séparation entre les Eglises et l’Etat, particulièrement marquée dans
les pays latins et de tradition catholique, tend à se substituer une
forme inédite de collaboration : la reconnaissance des
représentants des grandes religions comme autant d’ “autorités
morales“ auxquelles les pouvoirs publics n’hésitent plus à faire
appel. Évêques et prêtres, imams et rabbins sont ainsi régulièrement
entendus ou consultés par les pouvoirs publics, le plus souvent en
liaison avec la mise en place de “comités d’éthique“ chargés de
réfléchir sur certains “faits de société“ ou sur des problèmes
nouveaux, comme les biotechnologies ou les manipulations génétiques.
Il
s’agit moins d’une “déprivatisation“ que d’une “publicisation
du privé“. Un tel dialogue équivaut, pour les pouvoirs publics, à
tenir implicitement compte des identités religieuses qui, de leur côté,
sont de toute évidence désireuses d’être publiquement reconnues. Mais
qui y gagne ? En agissant de la sorte, les politiques montrent
surtout qu’ils savent se mettre à “l’écoute de la société civile“,
qu’ils acceptent de tenir compte des opinions privées. En même temps,
ils neutralisent les Eglises —qu’ils mettent de surcroît toutes
nécessairement sur le même plan —, puisque cette attitude nouvelle ne
va pas (et ne peut aller) jusqu’à admettre qu’une quelconque loi
morale ou “naturelle“ puisse prévaloir sur la loi civile positive.
Ainsi, avec cette reconnaissance, qui exprime indéniablement un type de
rapport nouveau entre la sphère publique et la sphère privée, mais qui
au fond change peu de choses, la classe politique, accueillant apparemment
leur identité religieuse, achève paradoxalement de ramener les Eglises
à un horizon purement séculier ” (p. 100).
Alain
de Benoist, lui aussi croit qu’aucune loi naturelle ou divine ne peut
prévaloir sur la loi civile. Dans son monde clos, celui de l’anomie, il
n’y a pas de place pour l’Espérance et la Providence. D’où son
analyse du déclin, inexorable selon lui, de l’Eglise, et son jugement
sur l’inefficacité de la “ stratégie ” de Jean-Paul II.
Un
Vénérable contre-révolutionnaire, le
P. Bruno Lanteri
L’Index
ac status causarum publié par la Congrégation pour la Cause des
saints indique que le Décret d’introduction de la Cause de
béatification du P. Pio Bruno Lanteri (1759-1830) a été pris le 4 mai
1952 et que le Décret proclamant l’héroïcité de ses vertus a été
promulgué le 23 novembre 1965. Ce qui fait de ce prêtre, fondateur des
Oblats de la bienheureuse Vierge Marie (O.M.V.), un Vénérable.
En
1986, a été traduit (plutôt mal) en français, aux Editions du Cèdre,
le livre que lui a consacré le P. Paolo Calliari : 1789. Révolte
contre Dieu. Le Père Bruno Lanteri (1759-1830) et la contre-révolution.
Dans sa longue préface, le cardinal Pietro Palazzini y faisait
montre d’une bonne connaissance de la contre-révolution catholique et
de ses spécificités. Cette contre-révolution catholique ne doit pas à
être assimilée à la contre-révolution politique. Émile Poulat a
déjà attiré à plusieurs reprises l’attention sur ce fait, quasiment
inconnu des historiens de la Révolution et du XIXe siècle.
Si
le P. Bruno Lanteri fut hostile à la Révolution française, c’est pour
des motifs strictement religieux. Une édition monumentale de ses écrits,
y compris les inédits, devrait aider à mieux connaître ce continent,
quasiment inexploré, de la contre-révolution catholique :
Pio
Bruno LANTERI, Scritti e Documenti d’archivio, Fossano, Editrice
Esperienze/Roma, Edizioni Lanteri (Viala Trenta Aprile 17, –
00153 Roma, Italia), quatre volumes sous coffret, 357° + 3.944 pages.
Comme
il est douteux que cette édition voie jamais le jour en traduction
française, je crois utile d’en fournir le plan détaillé :
-
Premier volume : Carteggio. Spirituali.
Présentation par le P. Patrice Véraquin, OMV, Recteur majeur. —
“ Lanteri et son temps ” par Daniel Moulinet, pages 15° à
75°, texte français, suivi, pages 77° à 138°, de sa traduction en
italien. — “ Vita di Pio Bruno Lanteri ” par le P.
Ferdinando Antonelli, OFM, (extrait de la Positio de la Cause de
béatification), pages 139°-152°. — “ La spiritualità di Pio
Bruno Lanteri ” par Timothy Gallagher, OMV, pages 153°-164°, —
“ Cronologia ” par Andrea Brustolon, OMV, pages 165°-172°.
— “ Piste di ricerca ” par Andrea Brustolon, OMV, pages
173°-194°. — “ Indicazioni bibliografiche ”, Index des
noms et Index général des matières, pages 195°-357°.
Carteggio (Correspondance de 1784 à 1829), pages 1-543.
Scritti spirituali (Ecrits spirituels), pages 544-768.
-
Deuxième volume : Polemici. Apologetici.
Scritti teologico-polemici, pages 769-1532.
Scritti polemico-apologetici, pages 1533-1650.
Textes en italien, en français ou en latin.
-
Troisième volume : Fondazioni. Ascetici.
Organizzazioni e fondazioni, pages 1651-1960.
Scritti teologico-ascetici e mistici, pages 1961-2464.
Textes en italien, en français ou en latin.
-
Quatrième volume : Predicabili.
Recueil de sermons, de notes de retraites, d’instructions, en
italien, en français et en latin, pages 2465-3944.
L’abbé
Aulagnier sanctionné
Les
récentes déclarations de l’abbé Aulagnier (cf. le précédent numéro
d’Alétheia) ont amené le Supérieur général de la FSSPX “ à
prendre à son encontre des mesures extrêmement graves ”. C’est
l’expression employée par M. l’abbé Régis de Cacqueray, supérieur
du District de France, dans un communiqué, en date du 14 octobre, qui
paraîtra dans le numéro de novembre-décembre de la revue Fideliter
(7,50 ¤, B.P. 88, 91152 Etampes Cedex). Je ne commenterai pas ce
communiqué, ni la nature des “ mesures extrêmement graves ”
prises. Je signale simplement que l’abbé Aulagnier a répondu par un
communiqué intitulé “ Je reste membre de la Fraternité
Saint-Pie-X ”, en date du 15 octobre, communiqué qui a été rendu
public par Entraide et Tradition (Rue Jean Eudes, 14480 Le Fresne-Camilly),
puis publié le vendredi 17 octobre dans Présent (5 rue d’Amboise,
75002 Paris). |