Interview
de M. l’abbé Aulagnier
Le
18 septembre, l’hebdomadaire anglophone The Wanderer a publié un
entretien avec M. l’abbé Aulagnier ; la version française de cet
entretien est parue sur le site de l’Association Entraide et Tradition
(http://perso.wanadoo.fr/item.tradition).
Le
texte publié par The Wanderer est une version abrégée de l’entretien
accordé par M. l’abbé Aulagnier. J’en publie ici, en exclusivité,
le texte intégral, dans sa version d’origine. Sans me permettre d’en
faire un commentaire.
1)
Puisque vous avez été le premier prêtre français ordonné pour la
Fraternité Saint-Pie X, étiez-vous proche de Mgr Lefebvre ? Que
pensiez-vous globalement de Mgr Lefebvre lors de vos études au Séminaire
français, puis à Fribourg ? Comment vous a-t-il inspiré ?
Oui
! J’ai été proche de Mgr Lefebvre. Je l’ai bien connu. Je l’ai
fort apprécié. Il était tellement cordial, avenant, grand seigneur,
mais humble, simple, prévenant pour ceux qui l’entouraient. Il avait du
cœur. Il était difficile de ne pas l’aimer. Sa personne était
attachante. Je l’ai connu alors que je faisais mon séminaire à Rome,
au Séminaire français, à Santa Chiara. Nous étions en plein Concile,
en 1964. Les séminaristes suivaient, autant qu’ils le pouvaient, cet
événement ecclésial. Tout était “ en feu ”. L’Église,
peut-être. Le séminaire, certainement. Plus de 50 évêques français
logeaient au séminaire. Le père Congar était au milieu de nous. Les
directeurs du séminaire invitaient souvent, le soir, en conférence
spirituelle, tel ou tel Père conciliaire. De toutes tendances. C’est
ainsi que nous eûmes la joie, du moins pour certains, d’écouter deux
ou trois fois Mgr Lefebvre. À la différence des autres, il nous parla
peu du Concile, mais plutôt du sacerdoce que nous désirions revêtir. Je
fus sensible à sa présentation du sacerdoce catholique. Il me plut ainsi
qu’à plusieurs de mes confrères.
Il
était, du reste, connu déjà par quelques-uns d’entre nous. Une petite
vingtaine le connaissaient. Moi-même, avais-je déjà entendu parler de
lui dans ma propre famille. Il avait préfacé un livre de Jean Ousset,
fondateur de la fameuse Cité Catholique : Pour qu’Il règne.
Cette préface était affichée dans le salon de mes parents. Ainsi je fus
heureux de le voir et de l’entendre.
Un
petit groupe de séminaristes, dont moi-même, se mirent alors à le
fréquenter, à lui demander des conseils, à chercher sa protection… Il
ne faut pas oublier que nous étions en plein Concile. Tout était remis
en cause. Dans un séminaire universitaire, les esprits s’agitent vite,
subissent les influences, cherchent à comprendre. On assistait, au
séminaire, à des remises en cause systématiques de tout, de la vie
commune, du règlement de la maison, de la théologie, de la scolastique.
Au milieu de cette agitation spirituelle, intellectuelle, il fallait faire
attention, réfléchir, s’interroger, beaucoup lire pour s’informer.
Les revues comme Nouvelles de Chrétienté, Itinéraires, La
Pensée catholique, nullement en cour au séminaire, bien au
contraire, étaient lues avec application. Mgr Lefebvre écrivait
quelquefois dans ces revues. Par elles, on suivait les débats
conciliaires. Elles nous apportaient les bonnes critiques, l’eau
fraîche où il faisait bon aller se désaltérer. On y puise la force
pour lutter contre la dialectique progressiste, à l’intérieur du
séminaire. Sans ces revues, je ne sais pas si je serais prêtre aujourd’hui.
Sans Mgr Lefebvre, il est sûr que je ne le serais pas. Je n’aurais pas
été accepté par les supérieurs du Séminaire français. Je n’avais
pas l’esprit assez ouvert aux nouveautés. Bien sûr, je luttais contre.
Et de fait, notre petit groupe de séminaristes traditionalistes se vit
très vite l’objet de critiques de la direction. Lorsque plusieurs d’entre
nous, en année de théologie – nous étions en 1968 – firent leur
demande de la tonsure, pour devenir clerc, tous furent refusés. C’est
alors qu’on se tourna avec plus de résolution vers Mgr Lefebvre. Il
conseilla à plusieurs de quitter le Séminaire français et de rejoindre
le Père Théodosios – un ami prêtre, ordonné par le Cardinal Siri –
pour y poursuivre leurs études de théologie. Ce qu’ils firent. J’ai
préféré, quant à moi, rester encore au Séminaire. Je trouvais le
Père Théodosios trop religieux. J’attendais. D’autant qu’en cycle
de licence, j’avais un an devant moi avant de pouvoir demander à
recevoir la tonsure, plus seize mois de service militaire… J’attendis.
Et
c’est ainsi qu’en 1968-1969, Mgr Lefebvre, ayant donné sa démission
de Supérieur Général des Spiritains., libre et peu attiré par le style
trop religieux que donnait le Père Théodosios à ce groupe d’anciens
du Séminaire français, décida de fonder lui-même un séminaire, à
Fribourg, en Suisse. Là, se trouvait un ami du Séminaire de Rome, il me
fit savoir la prochaine présence de Mgr Lefebvre à Fribourg, début juin
1969. Sous les drapeaux, je posais une permission de longue durée, comme
disent les militaires et je vins le rejoindre. C’est là, chez M. le
professeur Faÿ, qu’une après-midi de début juin, fort encouragé par
le Père Marie-Dominique Philippe et le Père Abbé d’Hauterive - je fus
témoin de la scène –, Mgr Lefebvre prit la décision d’aller trouver
Mgr Charrière, évêque de Fribourg, pour l’informer de son projet. L’évêque
accepta, l’encouragea même. Mgr Lefebvre y vit le doigt de Dieu. Il
loua deux étages d’un foyer salésien, route de Marly, au numéro 106.
Il écrivit aux uns et aux autres jeunes ayant gardé des contacts avec
lui pour leur annoncer sa résolution. Je fis partie des neuf premiers
séminaristes de Mgr Lefebvre, à la route de Marly. Un jour de septembre
1969, après avoir été chercher mes affaires à Rome, dit au supérieur
du Séminaire les raisons de mon départ, obtenu de Mgr de La Chanonie,
évêque de Clermont-Ferrand, mon diocèse, l’autorisation de passer de
Rome à Fribourg, j’arrivais route de Marly. Là, il est vrai, pendant
une bonne année, 1969-1970, étant en quelque sorte l’aîné et ayant
déjà fait quatre ans de séminaire, j’eus l’occasion de parler
souvent avec Mgr Lefebvre, à l’occasion de la vie commune, à l’occasion
des voyages que nous faisions en Suisse. Dans les promenades, il
échangeait volontiers avec nous. Il se confiait même spontanément,
parlait de ses projets, de son idéal sacerdotal, de ses hésitations…
Fallait-il suivre le style du Père Théodosios, plus religieux, ou faire
prédominer le style plus sacerdotal ? Il parlait de tout cela…Il
racontait souvent ses souvenirs africains, avec beaucoup de joie, ses
souvenirs du Concile. Sa résolution, par exemple, de publier enfin un
texte qu’il avait écrit en 1963-1964, en plein Concile, mais que son
ami, Mgr Morilleau, évêque de La Rochelle, lui avait déconseillé de
publier à l’époque. Il le publia, de fait, dans la revue La Pensée
catholique en 1970. Il l’intitula : “ Pour rester catholique
faudrait-il devenir protestant ? ”. Voilà la grande préoccupation
de Mgr Lefebvre. Voilà ce qui explique tout Mgr Lefebvre. Il craignait,
il pensait que l’esprit de la Réforme était en train de corrompre la
pensée catholique. En tous domaines, tant liturgique que philosophique,
que théologique, que politique. Il avait horreur, formellement, du “
monde moderne ” considéré dans son essence, du monde révolutionnaire,
né en 1789. Il y voyait l’influence et l’aboutissement de la pensée
luthérienne. Il n’aimait pas l’esprit révolutionnaire refusant
sujétion, soumission, subordination à l’ordre créé, à l’ordre
divin. Il avait horreur de la “ libre-pensée ” protestante,
maçonnique, caractéristique du monde moderne et inspirant toute la
pensée moderne. Il avait horreur du libéralisme philosophique et
politique. Il dressait, là-contre, la Royauté Sociale de Notre Seigneur
Jésus-Christ. Il ne fait aucun doute : la pensée de Mgr Lefebvre a été
formée à la pensée des Papes du XIXe et du XXe siècle. Un bienheureux
Pie IX. Un Léon XIII. Un saint Pie X. Un Pie XII. Voilà ses maîtres. Il
avait été formé à Rome par le Père Le Floch à la pensée de ces
grands Pontifes. Il y resta fidèle toute sa vie. Deux mondes, deux cités
se dressent l’une contre l’autre depuis, essentiellement, la Réforme
luthérienne, et cela de plus en plus. Le Concile voulut s’ouvrir au
monde moderne. Il s’ouvrit, inévitablement, à la libre-pensée
protestante. Il s’ouvrit au relativisme doctrinal, au modernisme. Il
risque de s’y perdre. La libre-pensée se dresse aujourd’hui contre
Dieu, contre son ordre et sa justice, comme jamais auparavant.
Voyez
aujourd’hui, le problème des mariages homosexuels. Les états s’apprêtent
à légiférer ouvertement contre l’ordre divin, refusant l’enseignement
de l’Église qui, très heureusement, vient de rappeler la doctrine
catholique. C’est cela la Réforme. C’est cela le monde moderne. Mgr
Lefebvre, lui, au contraire nous rappeler la subordination de tout être
à Dieu. Sa pensée, en tout, pourrait se résumer par ce cri de l’ange
Saint Michel: Quis ut Deus, “ Qui est comme Dieu ” (Ap.
12, 10). Et de là, son amour de la Cité catholique, de l’ordre social
chrétien. De là, son amour de l’Église catholique fondée sur Pierre
par Notre Seigneur Jésus-Christ. De là, son amour de la doctrine
catholique, de ses dogmes, de sa loi morale. Pour Mgr Lefebvre, le Dieu
Trinité est tout. C’est le chemin royal de l’Église et de tout
baptisé. Là, vous pouvez saisir un peu le formel de son “ combat
catholique ”. Nous le poursuivons depuis lors. Ce combat n’est pas d’abord
un problème de soutane, de langue liturgique. Il est de nature
doctrinale. L’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi ou l’amour de l’homme
jusqu’au mépris de Dieu. Et l’Église est devant ce dilemme. Et la
crise de l’Église est là, se situe là. L’Église “ conciliaire
”, sensible au monde moderne pour qui l’homme est tout, ira jusqu’à
donner des droits à l’erreur, au mal par complaisance…Comment pouvoir
donner un droit à l’erreur et au mal ? Voilà le dilemme de l’Église
aujourd’hui. C’est une question d’amour. Mgr Lefebvre avait choisi l’amour
de Dieu et cela absolument. D’où sa devise épiscopale : Credidimus
caritati. Voilà tout Mgr Lefebvre. Voilà ce qu’il nous a
enseigné. Voilà ce à quoi je désire moi-même rester fidèle. Vous
pouvez ainsi voir qu’il m’a fort inspiré.
2)
Quelles fonctions avez-vous occupées au sein de la FSSPX avant de venir
au Québec ?
Ma
“ carrière ecclésiastique ” est simple. Trois ans au séminaire d’Ecône
comme professeur et sous-directeur. Dix-huit ans en France comme
supérieur de District. Avec mes confrères, on a fait le District de
France. En 1976, lorsque j’ai reçu de Mgr Lefebvre la responsabilité
du District de France, il n’y avait pas grand-chose. Peut-être une à
deux maisons, Avec mes confrères, on s’est beaucoup démené pendant
dix-huit ans pour fonder prieurés, églises, chapelles, écoles, revues,
maisons de retraites... Peut-être même trop ? Mes successeurs, je crois,
ont dû recevoir l’ordre de freiner un peu l’action, de cultiver
davantage la vie commune. Je leur dirais aujourd’hui – la vie est un
perpétuel balancier – “ remettez les ”gaz”, on stagne ”. En
1994, mon mandat n’ayant pas été renouvelé… je n’avais plus rien
à faire. J’ai passé quelques mois en Alsace et en Angleterre pour
essayer d’apprendre l’anglais. Peine perdue. J’y fus toujours
rebelle. Ainsi, en 1995, une place se libérant, en Normandie, j’ai
demandé de m’installer à Caen. J’ai beaucoup aimé et les Normands
et l’apostolat direct, malgré les difficultés rencontrées. Mais
laissons cela à Dieu. J’ai quitté la Normandie après avoir fondé
DICI, une agence d’information et fait revivre Nouvelles de Chrétienté,
la revue de Dom Guillou, que nous tirions à plus de 13.000 exemplaires. C’était
pour moi un nouveau mode d’apostolat qui m’a passionné. En 2001, je
fus nommé à Bruxelles, supérieur de la maison autonome de Belgique.
Puis, “ en froid ” avec la Maison générale, j’ai dû prendre une
année sabbatique que je passe jusqu’à nouvel ordre au Canada, à
Québec. Et comme je constatais des différends de plus en plus importants
avec “ ma direction ”, j’ai donné ma démission d’assistant
général, fonction que j’ai exercée depuis le début de la
Fraternité, depuis le 1er Novembre 1969, d’abord nommé par Mgr
Lefebvre, puis élu par mes confrères au cours des deux chapitres
généraux qu’a connus notre Société depuis qu’elle existe.
3)
Pourquoi étiez-vous fortement favorable aux sacres en 1988 ?
Dès
que le problème des sacres commença à se poser, j’y fus favorable. Oh
! Je m’en remettais personnellement à la sagesse de Mgr Lefebvre. Je le
savais homme d’Église. Je savais qu’il aimait l’Église, qu’il
voulait servir l’Église. Il le fit toute sa vie. Il le fit en Afrique,
pendant des années. Là, il eut un rôle très important. Délégué
apostolique pour l’Afrique francophone, il connaissait l’Église plus
et mieux que beaucoup. Il avait eu de nombreux contacts avec Pie XII, avec
les dicastères romains. Il était fort apprécié de tous, de beaucoup.
Il avait eu l’occasion, dans sa vie, de choisir, de préparer de
nombreux évêques. Il organisa de nombreuses conférences épiscopales en
Afrique. Il fut, en tant que Supérieur Général des Pères du
Saint-Esprit, en contact avec les grands de ce monde, du monde religieux,
du monde politique. Il dut fréquenter aussi les ministères du
Gouvernement français. Il courut le monde entier. Tout cela vous donne de
l’expérience, de la sagesse. Il connaissait l’Église, vous dis-je,
et ses rouages. Cette longue expérience de gouvernement, d’initiatives,
de fondations au service de l’Église… ouvre l’horizon. Bref, je lui
faisais confiance, plus que certains, peut-être, qu’il avait ordonnés
et qui le quittèrent au moment des sacres, n’estimant pas assez, pas à
sa juste valeur, celui qui les avait faits prêtres. Bref ! Je lui faisais
confiance. Ce qu’il déciderait en cette affaire très difficile serait
bien décidé.
Mais,
au-delà de cela, j’étais, moi-même, favorable aux sacres. Je ne
voyais pas comment la Tradition catholique, le sacerdoce catholique, la
messe catholique pourraient survivre, sans la succession épiscopale
assurée. C’est l’évêque qui fait le prêtre. C’est le prêtre qui
offre le sacrifice de la messe, qui renouvelle le sacrifice de la Croix et
ce sacrifice de la Croix est au cœur de l’Église, comme il est au cœur
de la pensée de Notre Seigneur, au cœur du plan divin de Salut. La messe
est, dès lors, essentielle à l’Église, au monde, à toute cité. La
messe, la “ vraie messe ”, abolie, ce serait la fin de l’Église, la
fin du Salut éternel. Cela ne se peut, ne se pouvait. L’épiscopat et
sa succession sont donc essentiels à l’Église, au prêtre, au
sacrifice de la messe, perpétuant le sacrifice de la Croix, au cœur de
nos vies de baptisés. Mgr Lefebvre parti, nul évêque n’aurait eu le
courage de soutenir son œuvre. Rome ne l’aurait pas permis. Il ne faut
jamais oublier cela. Le Cardinal Villot, à l’époque, en 1976, était
intervenu pour qu’aucun évêque ne donne à Mgr Lefebvre les lettres
“ dimissioriales ” pour les ordinations. Rome ayant échoué à faire
plier notre prélat n’attendait que sa mort. C’est peut-être dur de
dire cela mais c’est la vérité. À cette époque – qu’on ne l’oublie
pas ! – le Vatican voulait toujours la disparition de la messe
traditionnelle, même encore en 1988. Aucun indice ne nous permettait de
dire le contraire.
Si
la Fraternité Saint Pierre et les “ autres ” ont trouvé quelques
évêques après 1988, ils le doivent pour beaucoup à la pérennité de
la Fraternité Saint Pie X et à sa croissance. Dom Gérard, M. l’abbé
Bisig, le Père de Bligniéres, Mgr Wladimir…ont eu toutes les faveurs
de Rome, certainement en raison de leurs qualités, mais aussi parce qu’il
fallait absolument réduire l’influence de Mgr Lefebvre, sinon la
détruire. Les inonder de privilèges était un moyen pour attirer le
monde traditionnel vers eux et déstabiliser la Fraternité Saint-Pie X.
Pourquoi donc Rome ne leur donnait-elle pas, avant les Sacres, tous les
privilèges ? Ils n’avaient pas moins de qualités avant qu’après. Le
modernisme enrageait devant la “ résistance catholique ” de Mgr
Lefebvre, résistance qui sauvait et le sacerdoce et la messe catholique.
On le vit clairement en 1976, avec les ordinations faites par Mgr
Lefebvre. On le vit encore en 1984, avec la lettre Quattuor abhinc
annos. Là, il ne fallait plus dire la messe traditionnelle. Ici, “
un privilège ” en faveur de la messe traditionnelle était donné, mais
à quelles conditions odieuses ! Et ce “ privilège ”, nos amis le
doivent plus à la force d’âme de Mgr Lefebvre qu’à l’amour de
Rome pour cette messe traditionnelle. Il ne faut surtout jamais oublier
que le “ combat ” fut toujours centré sur la messe… et il en sera
toujours ainsi jusqu’à la fin, jusqu’à la victoire de la messe “
tridentine ”. J’aime citer cette phrase de l’Apocalypse de Saint
Jean au chapitre 12, ce fameux chapitre du combat de la femme et du
dragon. C’est toujours notre combat. Saint Jean écrit : “ Eux aussi l’ont
vaincu par la vertu du sang de l’Agneau et par la parole de leur
témoignage ayant renoncé à l'amour de la vie, jusqu’à souffrir la
mort ”. Ainsi si Mgr Lefebvre n’avait pas fait les sacres en 1988, son
œuvre sacerdotale, à terme, était finie. Comment voulez-vous tenir un
séminaire si vous ne pouvez plus ordonner les séminaristes ? Comment
voulez-vous perpétuer le sacrifice de la messe s’il n’y a plus de
prêtres ? Voilà les raisons simples qui me faisaient soutenir la
perspective des Sacres par Mgr Lefebvre. Essentiellement pour la messe et
pour le sacerdoce, terriblement mis en danger dans la situation présente
de l’Église. Au point de vue canonique, la distinction qu’il faisait
me paraissait suffisante pour sa légitimité canonique : un épiscopat
sans juridiction – le contraire aurait été schismatique – mais
capable d’accomplir ce qui, ontologiquement, relève de l’épiscopat :
faire des prêtres. Tel serait leur rôle.
4)
Pensez-vous que les mêmes raisons pourraient être valables aujourd’hui
? Ou est-ce qu’il y a des dangers d’attendre une réconciliation dans
le futur plutôt que de chercher à obtenir une entente dès maintenant ?
Aujourd’hui,
les conditions ne permettraient pas, à mon humble avis, de faire ce qui
fut fait en juin 1988. Plusieurs de mes confrères vont, peut-être,
sauter au plafond, quand ils prendront connaissance de cette interview.
Peu importe. Je suis libre et garde mon libre jugement. Je n’aime pas
les oukases. Je ne les ai jamais aimés ni dans le progressisme, ni
ailleurs. Pourquoi les sacres ne seraient pas raisonnables, à mon avis,
aujourd’hui ? Parce que beaucoup de Romains, devant la situation très
difficile dans laquelle se trouve l’Église, changent, sont en train de
changer. Changent, en particulier, sur le problème de la messe
traditionnelle. La messe du 24 mai 2003 n’est pas un feu de paille.
Croyez-moi. Cet acte est le fruit d’une longue évolution qui a
commencé, me semble-t-il, à peu près, en 1992, avec la publication d’une
série de livres du Cardinal Ratzinger et une série de conférences, d’homélies,
l’interview du Cardinal Stickler. À Sainte-Marie-Majeure, le Cardinal
Castrillón s’est voulu la voix de l’Église en rappelant le “ droit
de citoyenneté ” de la messe dite de Saint Pie V, cette messe, qui,
pour être sauvée, justifia les sacres de 1988… De plus, l’encyclique
du Pape, Ecclesia de Eucharistia vivit, est aussi très importante.
Je vous renvoie à mon commentaire que vos lecteurs pourront lire sur le
site ITEM. De l’interdiction systématique, qui date de la résolution
de Paul VI et de son fameux consistoire qui s’est tenue aussi un 24 mai
1976 (24 mai ! Décidément cette date est importante), nous voilà
arrivés à l’acceptation – de principe – de la messe tridentine.
Elle ne fut jamais abolie. Certes. Mais, voilà que de plus en plus d’autorités
religieuses le reconnaissent aujourd’hui, osent le dire maintenant
publiquement. Les écrits, en ce sens, se multiplient. Voyez les
nombreuses interventions, en ce sens, du cardinal Ratzinger. Que de livres
n’a-t-il pas écrit sur ce sujet ! Il le dit expressément dans son
livre de souvenirs. Voyez les nombreuses conférences, homélies, l’interview
du Cardinal Stickler. Voyez les dernières interviews du Cardinal Arinze,
du Cardinal Medina. Non seulement elle ne fut jamais abolie, même si,
pendant des années, on a voulu faire croire le contraire. Mais c’était
une fable. Notre résistance a sauvé le droit. Des Cardinaux, aujourd’hui,
disent le droit. Pas un, mais plusieurs. Non seulement elle ne fut jamais
abolie. Mais, aujourd’hui, un cardinal, le Cardinal Castrillón Hoyos se
lève pour dire, forcément avec l’aval du Pape, qu’elle a toujours
“ droit de cité ” ! C’est formidable. C’est nouveau. Bigrement
nouveau. De plus, il n’y a pas longtemps de cela, c’était hier, le
Cardinal Ratzinger écrivait qu’il fallait arrêter ce conflit des
messes, cette opposition contre la messe dite de Saint Pie V. C’est
nouveau. Il disait également qu’il ne comprenait vraiment pas pourquoi
beaucoup de ses confrères maintenaient cette lutte. C’est également
nouveau.
Les
choses changent du côté de Rome au sujet de la messe tridentine. Vous
savez certainement qu’en 1986, deux ans avant les sacres par Mgr
Lefebvre, le Pape Jean-Paul II nomma une commission de neuf Cardinaux. Il
leur posa la question de l’abolition ou nom de la messe dite de Saint
Pie V, de la Bulle de Saint Pie V Quo primum tempore. Huit
Cardinaux sur neuf répondirent au Pape : “ Non la Bulle Quo primum
tempore n’a jamais été abolie ”. Ils firent, en plus, à cette
occasion, au Pape, des propositions pour régler cette crise de la messe.
Ils demandèrent que soient reconnues, à égalité de droit, la messe de
toujours et la messe nouvelle. C’était même la troisième proposition.
Ainsi, déjà en 1986, d’interdite qu’elle était, la voilà de
nouveau permise, et à égalité de droit avec la nouvelle messe. C’est
le Cardinal Stickler, lui-même, qui nous révéla l’affaire en 1995,
dans une interview qu’il donna aux USA, à l’association “ Latin
Mass society ”. Cette proposition, sous la pression de certains
épiscopats, ne fut pas acceptée finalement par le Pape. Je pense que si
cette proposition avait été retenue par le Pape, vraisemblablement les
sacres de 1988 n’auraient pas eu lieu… Car la messe de la Tradition
ayant retrouvé officiellement tous ses droits dans l’Église, une des
raisons de l’opposition de Rome contre la Fraternité n’existait plus.
Nous n’aurions certainement plus été aussi mal considérés. Des
évêques auraient repris des contacts avec nous. Les donnes auraient
été nouvelles. Certainement. Malheureusement le Pape, favorable pourtant
personnellement, a hésité et devant l’opposition des certains
épiscopats, toujours selon le dire du Cardinal Stickler, n’osa pas
légiférer dans le sens de la proposition cardinalice.
D’autre
part, personnellement, je suis un de ceux qui pensent qu’il y a, de
fait, un danger pour nous de voir ce conflit s’éterniser et de voir s’éloigner
une solution d’entente avec Rome. En un mot, l’Église est une
société visible et hiérarchique. Si on vit trop longtemps en autarcie,
on finira par perdre le sens de ce qu’est la hiérarchie. Elle est
pourtant de constitution divine. Nous sommes donc menacés, le temps
passant et l’opposition demeurant, à oublier Rome, à nous organiser de
plus en plus en dehors de Rome, à devenir un groupe autocéphale. Je ne
dis pas que nous y sommes tombés. Mais il y a danger. Il faut en tenir
compte. Le meilleur pilote est celui qui connaît les dangers d’un
itinéraire et qui prévoit, autant que possible, les difficultés qui
peuvent survenir. Pas celui qui ferme systématiquement les yeux, qui ne
veut rien entendre. Il fonce ou il freine à mort, alors qu’il
conviendrait de donner de la souplesse pour reprendre une croisière
normale. C’est pourquoi j’ai toujours préconisé que, dans notre
apostolat, nous restions toujours au contact des autorités, ne serait-ce
que pour les faire évoluer dans le bon sens, qu’on se rappelle
incessamment à leur bon souvenir. Nous sommes du troupeau, de votre
troupeau. Vous ne pouvez nous ignorer…
Il
faut croître, ce que nous faisons, il faudrait le faire davantage. C’est
la meilleure manière, pour nous, de ne pas avoir d’esprit schismatique.
Si nous faiblissions dans notre rayonnement, si nous restions entre nous,
satisfaits ou non de notre situation, c’est là que le danger de
schisme, je dirais “ schisme psychologique ”, se ferait sentir
sérieusement. Les jeunes sont de mon avis. Et je le dis. Que la direction
de la Fraternité, aujourd’hui, pense que j’exagère, libre à elle.
Mais les jeunes générations parmi nous n’ont jamais connu une
situation ecclésiale normale. C’est là qu’il y a danger de glisser
à terme vers l’autocéphalie. C’est du moins mon avis. Et je le dis.
Que la direction de la Fraternité pense que j’exagère, libre à elle.
C’est elle qui commande, qui dirige. Elle refuse encore un accord avec
Rome. Elle a ses raisons. Je pense qu’elle ne prend pas tous les
éléments en compte …Mais, c’est elle qui dirige. Pas moi. Mais rien
ne m’empêche de garder mon avis et de le justifier. Cela peut faire
réfléchir. Cela pourra servir un jour. J’y suis attaché. Qui pourrait
bien me le reprocher ? J’ai accepté “ l’exil canadien ” pour
mes idées. De plus, la situation dans laquelle les sacres ont mis le
gouvernement de la Fraternité n’est pas la meilleure. À terme, il
pourrait y avoir, un jour, un conflit. Le gouvernement de la Fraternité
pourrait devenir, de facto, un jour, bicéphale. Imaginez une opposition
entre le Supérieur général et les quatre évêques. Les uns veulent un
accord. L’autre ne le veut pas. Qui va trancher ? Théoriquement le
Supérieur général, même s’il n’est pas évêque. Mais
pratiquement, ce sera bien difficile. Un conflit peut voir le jour.
Avec
un accord avec Rome, un bon accord s’entend, une espèce d’alliance
entre catholiques de bonne volonté, rien de semblable. Bien entendu les
termes et le sens de cette alliance, où tout ce qui reste de catholiques
après quarante ans de crise conciliaire feraient cause commune, est à
peser mûrement. Mais il faut aller vers quelque chose comme cela.
5)
Plusieurs prêtres et évêques ont réagi différemment de vous à la
réconciliation de Campos. Votre réaction a été vraiment positive, et
vous étiez présent au sacre de Mgr Rifan. Pourquoi pensez-vous que c’était
une étape positive non seulement pour les traditionalistes de Campos,
mais pour tous les catholiques de tradition ?
La
crainte de l’esprit de schisme, que je viens d’exprimer, l’amitié
que je porte à ces prêtres héroïques, pour les avoir visités trois
fois, dont je connais les paroisses et les nombreuses œuvres, m’ont
fait suivre avec intérêt cette affaire. J’y ai surtout vu, là encore,
le problème de la messe. L’attitude de Rome était nouvelle. Rome
donnait la messe à nos amis, prêtres de Campos. Et cela, librement. Sans
condition. Elle reconnaît, à cette Administration apostolique
personnelle “ Saint Jean Marie Vianney ”, le droit, la facultas
de célébrer, dans toutes les églises de leur Administration
apostolique, la messe traditionnelle. J’ai étudié leurs statuts avec
application. Ainsi, pour moi, les choses allaient dans le bon sens, en
faveur de la messe. La situation était radicalement différente de celle
des pères et abbés des communautés Ecclesia Dei adflicta. Avec
eux, nous en étions toujours essentiellement à la législation de 1984,
de la messe dite de l’indult. Qui est une simple “ permission ”, une
simple tolérance que Rome, par libéralité, et calcul, leur concédait.
Avec des restrictions odieuses, impératives, et surtout avec l’obligation
de reconnaître la nouvelle messe comme “ légitime et orthodoxe ”. Ce
sont les deux adjectifs de la lettre Quattuor abhinc annos qui
était la législation fondamentale proposée et acceptée par nos amis
dépendant de la Commission Ecclesia Dei adflicta. Il fallait
admettre et cette législation et ces deux adjectifs pour bénéficier de
l’Indult de 1984. Avec Campos, rien de tel, rien de semblable. Une
franche reconnaissance du droit de la messe tridentine sans avoir à
reconnaître que la nouvelle messe est “ légitime et orthodoxe ”.
Vous pouvez voir mon analyse dans le numéro 1 de la lettre confidentielle
publiée par Item, sur le site du même nom ITEM. Il leur fut
demandé une simple reconnaissance de la validité, en soi, de la nouvelle
messe. Ce qui a toujours été enseigné par Mgr Lefebvre. C’est qu’il
y a une grande différence entre “ validité ”, “ légitimité ”
et “ orthodoxie ”. Ce ne sont pas des mots synonymes, voyez-vous.
Une chose peut être valide sans être légitime ni orthodoxe. Il faut
même distinguer entre légitimité et orthodoxie. Ces deux mots ne se
recoupent pas, non plus… Est légitime ce qui est fondé “ en droit
”, mais aussi “ en équité ”. Le “ droit ” et “ l’équité
“ ne sont pas, non plus, la même chose. Il faut distinguer. Je pourrais
vous démontrer que la nouvelle messe n’est pas, certainement, légitime
ni en droit ni en équité. En droit, car précisément la nouvelle messe
fut imposée à l’Église par suite de bien des irrégularités
canoniques, même des faux en écriture. Ce qui jette une légitime
suspicion sur cette législation. “ Peut-être, me direz-vous, mais elle
bénéficie aujourd’hui de la prescription trentenaire ”. Ce n’est
pas certain. Car il faudrait, pour cela, qu’elle bénéficie d’une
jouissance “ paisible ” dans l’Église. Ce qui n’est pas le cas.
Je peux vous renvoyer, sur ce sujet juridique, aux études de M. l’abbé
Dulac dans la revue Le Courrier de Rome que vous pouvez trouver
toujours sur le site ITEM. Cette nouvelle messe peut même être dite non
légitime sur le plan de l’équité, de la justice. Ce fut faire
violence à la sainteté de L’Église que de lui avoir imposé, de
force, un rite qui, aux dires même de ses protagonistes, finit par tout
désacraliser. Orthodoxe veut dire conforme aux dogmes, à la doctrine.
Or, précisément, cette question de l’orthodoxie ou non du Novus
Ordo Missae est soulevée, aujourd’hui, de facto, par la plus haute
autorité de l’Église : le pape lui-même. Je pense que cette question
est dans la logique de sa dernière encyclique. Cette question d’orthodoxie
fut soulevée, aussi, tout au début de l’affaire de la messe, par le
Cardinal Ottaviani et le Cardinal Bacci qui, dans leur lettre au Pape Paul
VI, écrivaient que cette nouvelle messe s’éloignait dans l’ensemble
comme dans le détail de la Théologie catholique définie à la XXIIe
session du Concile de Trente. Le Pape, aujourd’hui, le reconnaît de
facto, lui qui veut chercher à corriger, réformer la nouvelle messe,
déficiente sur le plan théologique. Les “ ombres ”, comme il dit...
Voilà les raisons qui me portaient à considérer avec beaucoup de
sympathie “ l’affaire de Campos ”, qui fait gagner du terrain à la
messe traditionnelle.
6)
Beaucoup de prêtres de votre Fraternité, incluant Mgr Fellay, ont loué
la nouvelle encyclique du Saint Père Ecclesia de Eucharistia.
Considérez-vous la nouvelle encyclique comme un signe positif sur les
plans doctrinal et liturgique ?
Vous
me demandez si je porte un jugement positif sur ce document du Pape. Oui,
et bigrement. Cette encyclique est vraiment un signe positif sur le plan
doctrinal et liturgique. On y voit l’autorité nouvellement consciente
du drame qui touche l’Église et sa liturgie. On assiste, de fait depuis
le Concile, à une formidable désacralisation de la liturgie. La réforme
liturgique, telle qu’elle fut conçue et appliquée dans l’Église, a
dénaturé la liturgie en ne respectant pas sa finalité. La liturgie de l’Église
est essentiellement un culte rendu à Dieu. Le prêtre offre, au nom du
peuple, “ pour les vivants et pour les morts ”, pour le peuple qui s’unit
à cette action, le Sacrifice du Christ qui rend à Dieu “ tout
honneur et toute gloire ”. Telle est la finalité essentielle de la
liturgie. La liturgie catholique a une dimension transcendantale. Elle
nous oriente vers Dieu. Elle nous ordonne à Dieu. Il y a une similitude
entre la liturgie romaine et la liturgie céleste. Lisez le livre de l’Apocalypse
de Saint Jean, vous verrez que tout le culte céleste est tourné vers le
Père et l’Agneau de Dieu, l’Agneau pascal : les anges, les élus
chantent et magnifient sa puissance, sa divinité, sa gloire, sa
sainteté. Le Sanctus de notre messe est une louange divine. Tout
cela est, pour beaucoup, bel et bien perdu. La hiérarchie catholique s’en
aperçoit enfin. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Elle veut
corriger ces “ ombres ”. Comment ne pas s’en réjouir ?
Cette encyclique a la même importance que Mysterium fidei de Paul
VI. La situation catastrophique dans laquelle se trouve la pratique de la
vie liturgique dans l’Église, ce que reconnaît amplement, dans ses
nombreux livres sur la question, le Cardinal Ratzinger, me laisse penser
que des résultats vont être obtenus. C’est à espérer. C’est l’ultime
coup de rein avant la mort. Si cette encyclique n’est pas suivie d’effet…c’est
la noyade. Il est même bien tard.
Et
combien va être difficile la restauration ! C’est encore une raison
pour laquelle je serais assez favorable à ce que nos supérieurs
légalisent notre situation dans l’Église. Il faudrait être aujourd’hui
dedans, avec le droit reconnu de la messe Saint Pie V sur les autels de la
Chrétienté (ou du moins, pour commencer, dans tous les sanctuaires
nationaux, dans toutes les Basiliques romaines, bien sûr, dans nos
propres Églises, celles de notre Administration, ou dans les églises
diocésaines “ personnelles ”, que le Vatican devrait pouvoir obtenir
des épiscopats. Une ou plusieurs par diocèse, selon les circonstances ou
dans chaque cathédrale. Il faut avoir le sens du possible. Trop demander,
c’est ne rien demander), pour aider et participer à la restauration
liturgique dans l’Église. On parle, de plus en plus, à Rome, d’une
permission générale accordée à tous les prêtres, par degrés.
Entendons-nous bien : en soi, il n’y a aucune permission à demander ou
à donner, mais de fait, les choses étant ce qu’elles sont, il faut en
passer par-là pour réintroduire partout la messe traditionnelle.
Cela
devrait être possible d’autant qu’il ne faut pas minimiser le grave
problème de la pénurie de prêtres, du moins en Europe. Les prêtres,
pour beaucoup, ont perdu le sens liturgique. Il faut voir les choses
concrètement. La liturgie, aujourd’hui, dans bien des paroisses, c’est
tout et n’importe quoi. Nous pourrions coopérer à cette restauration,
avec notre “ charisme ”. La nouvelle génération de prêtres est
lasse de la platitude liturgique, des “ shows ” post-conciliaires.
Elle veut retrouver la plénitude de la liturgie. Il n’en faudrait pas
beaucoup pour remettre de l’ordre. Je l’ai vu à
Sainte-Anne-de-Beaupré, le 26 juillet, en la fête de Sainte Anne. Avant
que n’arrive notre heure pour la célébration de la messe à la crypte
de la Basilique, un véritable “ show ” liturgique eut lieu. Un vrai
désordre. Un chahut, une agitation désolante. Une musique sensuelle,
mièvre, sans élévation spirituelle. Une musique de folklore. Les gens
allaient, venaient, sans recueillement…Il a suffi que nous changions de
sens, l’autel, que nos fidèles se mettent à genoux et non pas
systématiquement assis, que l’orgue fasse entendre ces premiers
accords, que le chapelet soit récité pour que, tout de suite, les mêmes
fidèles cessent de déambuler, changent d’attitude, de comportement.
7)
Lors de la messe du 24 mai 2003, le Cardinal Castrillón Hoyos a dit
durant son homélie : “ L’ancien rite romain conserve donc dans l’Église
son droit de citoyenneté au sein de la multiformité des rites
catholiques tant latins qu’orientaux. Ce qu’unit la diversité des
rites, c’est la même foi dans le mystère eucharistique, dont la
profession a toujours assuré l’unité de l’Église sainte, catholique
et apostolique. ” Croyez-vous que cette affirmation soit juste ou non ?
Oui,
j’ai beaucoup apprécié les paroles du Cardinal Castrillón Hoyos le 24
mai 2003. Elles ne furent pas prononcées à la légère. Elles ont été
pesées par le Cardinal. Il en savait l’importance, le retentissement
dans l’Église, les effets, les conséquences. Il a fait attention,
croyez-moi, à ce qu’il disait. Il reconnaît le droit de la messe
tridentine dans l’Église. Il dit, pour de bon, le droit : la messe dite
de Saint Pie V n’a jamais été abolie canoniquement par aucune
autorité dans l’Église, et certainement pas par le Pape Paul VI. Ce
fut en 1986 la réponse donnée par la commission cardinalice nommée par
Jean-Paul II. Cette commission, à l’époque, disait le droit. Ça n’a
pas plu au courant moderniste. On a, par faiblesse, “ tu ” l’affaire…Il
fallut attendre 1995 pour qu’une autorité ecclésiale, le Cardinal
Stickler, ose révéler la chose et dise publiquement le droit : la messe
n’a pas été abolie. Aujourd’hui tout le monde le dit. Tous les
cardinaux qui se penchent sur la question le disent. Le Cardinal Medina le
dit, après avoir dit le contraire, en 1999… Le Cardinal Arinze aussi,
il est le préfet de la Congrégation du culte divin. C’est l’autorité
sur ce sujet. Le Cardinal Stickler, c’est un canoniste dont l’autorité
est reconnue. Le Cardinal Ratzinger, qui est la cheville ouvrière de la
restauration liturgique dans l’Église. Tous ses livres récents le
prouvent. Sa participation déclarée à la rédaction de la dernière
encyclique du Pape Jean-Paul II le laisse comprendre. C’est nouveau. C’est
extraordinairement nouveau. Voilà quarante ans ou presque qu’on disait
le contraire. Et l’autorité, la même, se taisait. Certains de mes
confrères me disent : “ Attendons de voir. On ne peut toujours pas dire
la messe de toujours sur tous les autels de la catholicité ”. Je le
concède volontiers. Mais je réponds : “ Attendez effectivement ”. Le
retour de la messe Saint Pie V ne va pas se faire en un jour, en une fois.
Ce n’est pas en un jour que l’eau de la mer se retire de la plage à
la marée descendante. Elle prend son temps. Elle se retire lentement,
petit à petit.
Je
sais que le Père Stephan Zigrang, curé de la paroisse de Saint-André à
Channelview, dans le diocèse de Galveston-Houston, aux USA, fut retiré
de sa paroisse parce qu’il venait de reprendre la messe de son
ordination. Et nous étions le 1er juillet 2003. Alors… Mais, je sais
aussi que la Basilique Sainte-Anne-de-Beaupré fut ouverte à mes
confrères pour y célébrer la messe de Saint Pie V, le 26 juillet 2003.
Alors ! Contradiction ? Entre les tendances internes sans doute. Lenteur
normale des choses. L’eau de la mer, à la marée montante, revient
lentement. Les choses humaines sont ainsi. Lentes. Le mouvement de
restauration sera lent. Mais peu à peu, il s’universalisera. C’est
certain. Le droit est le droit. Sinon, nous poursuivrons notre
résistance. Elle est légitime. Hier, elle était légitime. Les
autorités le reconnaissent. Elle sera toujours légitime. La messe
canonisée par Saint Pie V, restaurée dans sa pureté par le même Pape,
est une coutume immémoriale dans l’Église, jamais abolie, toujours
légitime. Le pourrait-elle d’ailleurs ? Ce n’est pas certain. Mgr
Gamber le soutient dans son livre en français, La Réforme de la messe
en question, livre préfacé par Mgr Ratzinger.
Quant
à la pluralité liturgique sur laquelle se fonde le Cardinal Castrillón
Hoyos, j’y suis, bien sûr, favorable, dans la mesure où la “
réforme de la réforme ” permettra au rite des paroisses de se
rapprocher peu à peu du rite traditionnel. En soi, l’Église a toujours
respecté la diversité liturgique. Voyez l’attitude du Pape Saint Pie V
! Ici, il s’agit d’une saine tolérance pour un rite qui se “
retraditionalise ”. L’unique condition requise, c’est que le rite,
en question, exprime la foi catholique.
8)
Dans le contexte de ces étapes positives, est-ce que la réconciliation
de la FSSPX avec Rome est possible dans un avenir rapproché ? Dans
quelques mois ou dans quelques années.
Ma
réponse sera brève. Une fois n’est pas coutume. Une “
réconciliation ”… le mot n’est peut-être pas le meilleur…Les
mots ont une grande importance, vous savez. Ils définissent les choses.
Je parlerais plutôt de restauration de relations normales entre
catholiques de bonne volonté. Cette restauration est plus que
souhaitable. Elle est nécessaire. Dans un mois ! Dans trois ans ! Je ne
sais. Voyez ceux qui tiennent la barre. Pour moi, aujourd’hui, dans les
circonstances présentes, du côté de Rome, qu’il faudra aider à
couper beaucoup de “ branches mortes ”, de véritables hérésies, et
de notre côté, qui a besoin de davantage d’espace pour l’apostolat,
je dirais volontiers : “ le plus tôt possible ” Plus le temps
passe et plus la reconstruction est urgente. Mais faudrait-il, là encore,
préparer les esprits, expliquer, justifier. C’est très important. Cela
relève de l’autorité. Elle peut compter sur moi pour appuyer ses
efforts dans ce sens…
9)
Quelle est l’attitude générale parmi les prêtres et les laïcs de la
FSSPX en France au sujet d’une éventuelle réconciliation avec Rome ?
Les
avis, en France, sont partagés à propos de ce que j’appelle une
restauration de relations normales. Certains sont pour. D’autres
attendent, patiemment, la décision de l’autorité. D’autres sont
farouchement contre. Ce sont ceux qui en restent à 1999, à la
législation rappelée, à cette date, par le Cardinal Medina. Mais vous
le voyez, il a lui-même changé d’avis en trois ans.
Ce
sont ceux qui insistent sur l’attitude de Rome à l’égard de la
Fraternité Saint Pierre, destituant M. l’abbé Bisig et mettant à sa
place un autre supérieur. Mais le Cardinal ne reprendrait peut-être pas
aujourd’hui la même décision. Il venait d’arriver en Europe. Il n’avait
pas eu le temps d’apprécier le problème dans toute son ampleur. Ce
sont ceux qui considèrent les choses de manière trop statiques. Ils
pensent que, à Rome, rien ni personne n’a changé, que personne n’y
joue franc jeu… Ce n’est pas mon avis. Je démontre qu’en trois ou
quatre ans les choses ont bien changé.
10)
Pensez-vous que cette attitude est différente de l’attitude des
prêtres et des laïcs de la FSSPX ici en Amérique du Nord ? Pensez-vous
que la récente mutation de Mgr Williamson en Amérique latine a un lien
avec d’éventuels rapprochements de la FSSPX et Rome ? Est-ce que Mgr
Williamson n’est pas un des plus fermes opposants à ces
rapprochements ?
En
Amérique du Nord, disons au Canada, et plus précisément au Québec, les
grands problèmes de l’Église font l’objet de beaucoup moins de
discussions, de passions, qu’en France. Les intelligences en la “
Nouvelle-France “ sont plus calmes qu’en France. Il me semble que l’on
s’en remet plus volontiers aux autorités. Tout simplement. “ Ce n’est
pas l’heure d’une solution avec Rome ”. Point. On n’en parle pas
ou peu. Les fidèles pensent à se sanctifier et suivent les offices
proposés à leur dévotion. Tranquillement. Je pense qu’ils attendent l’heure
des “ retrouvailles ” avec Rome, avec joie, pour certains, avec un peu
d’inquiétude, pour d’autres : “ pourvu qu’ils ne fassent pas
avoir ” ! Mais c’est l’affaire de la Maison générale.
Je
ne suis pas ou plus dans les secrets des dieux et je ne sais les raisons
de la mutation de Mgr Williamson en Amérique du Sud. Mais, pour autant
que je peux juger, je crois que sa mutation n’a rien à voir avec les
éventuels rapprochements de la FSSPX avec Rome. Il change parce que cela
fait très longtemps qu’il est à Winona et qu’il est bon de changer
quelquefois les cadres. Tous les cadres de l’Amérique de Nord ont
changé ou vont changer. Les poids lourds ! Hier, M. l’abbé Scott,
Supérieur du District, fut changé. Aujourd’hui, c’est le tour de Mgr
Williamson, de M. l’abbé Ramon Anglès, de l’école du Texas. Ce n’est
pas plus compliqué. Il ne faut pas imaginer des conflits, des
oppositions, des raisons cachées. Non ! Certes, Mgr Williamson est un des
plus fermes opposants au rapprochement d’avec Rome. Mais cela n’a rien
à voir avec sa mutation en Argentine. Opposé, il est. Opposé il le
restera, même à la Reja . Il est suspicieux de nature. La suspicion peut
conduire à l’erreur. Il pense que “ les Romains ”, comme il aime à
le dire, n’ont pas changé. C’est son avis. Cet avis est
prépondérant auprès de Mgr Fellay. Le sera-t-il demain ? Qui vivra
verra.
11)
Considérant votre amitié et votre proximité avec Mgr Lefebvre,
pensez-vous qu’il aurait accepté l’offre de réconciliation que Rome
a récemment présentée à la FSSPX dans la ligne des accords de Campos ?
Je
crois sincèrement que Mgr Lefebvre aurait accepté, aujourd’hui, “ un
accord ” avec Rome. Il aurait, peut-être, été plus prudent, plus
exigeant sur certains points que ne le fut Mgr Rangel, mais il aurait
été, cette fois, jusqu’au bout.
Les
exigences demandées par Rome aux Pères de Campos, à savoir : la
reconnaissance du Pape Jean-Paul II comme légitime successeur de Pierre,
la reconnaissance du Concile Vatican II interprété à la lumière de la
Tradition, la reconnaissance de la validité, en soi, du Novus Ordo
Missae, la libre discussion sur le Concile, évitant toutefois la
dialectique, Mgr Lefebvre les avait déjà acceptées en 1988.
Substantiellement ce sont les mêmes. Il ne faut pas avoir peur de le
dire. Et je voudrais bien qu’on me dise pourquoi ne pas les accepter.
Obliger les Pères de Campos à étudier le Concile : je voudrais
bien aussi qu’on me démontre la nocivité de la chose. On ne peut bien
critiquer raisonnablement que ce que l’on connaît. Que fait la
Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, avec ses symposiums, avec ses
Congrès de SiSi NoNo, sinon d’étudier le Concile ? Tout cela
est très heureux. Notre critique, notre lecture ne sera certainement pas
celle de la hiérarchie romaine. Qu’est-ce qu’on pourra nous dire, si
nos critiques sont justes ? La libre discussion du Concile est une chose
aujourd’hui indispensable. Hier, elle était impossible. Cette
discussion doit avoir “ droit de cité ”, comme pour la messe
tridentine. Et pour cela, il est bien nécessaire de connaître le
Concile. C’est amusant comme il existe chez nous des tabous, des
baudruches. Il faut savoir les percer...
Mgr
Lefebvre aurait, vous dis-je, peut-être demandé des choses plus
précises. Mais Rome aurait consenti à ces éventuelles précisions.
Beaucoup à Rome veulent un accord. Le pape le veut. La situation de l’Église
le réclame certainement. L’autorité le sait. Du reste, si Mgr Lefebvre
a retiré sa signature du protocole en 1988, c’est-à-dire, s’il n’a
pas voulu aller jusqu’à l’accord final, c’est parce qu’on ne lui
donnait pas les garanties de protection nécessaires, qu’il réclamait
justement, à savoir la majorité dans la commission, commission qui
devait avoir pour but de protéger la Tradition de toutes influences
modernistes, et qu’on ne lui donnait pas le nombre d’évêques qu’il
jugeait nécessaire pour faire face au développement grandissant de la
Tradition dans le monde entier et qui aurait encore augmenté dans l’hypothèse
d’un accord. Il le dit lui-même dans la conférence qu’il donnait à
Ecône le 9 septembre 1988. Voyez : “ … C’est pourquoi nous ne
pouvons pas nous lier avec Rome [la Rome moderniste, comme il disait, ou
les “ Romains ” comme aime à le dire Mgr Williamson]. Nous aurions
pu, si nous étions arrivés à nous protéger complètement comme nous l’avions
demandé. Mais ils n’ont pas voulu. Ils ont refusé les membres que nous
demandions dans la commission, ils ont refusé le nombre d’évêques que
nous demandions. C’est clair : ils ne voulaient pas que nous soyons
protégés ”.
C’est
pourquoi le terme d ‘“ alliance ”, de “ concordat ”,
ou même de “ traité ”, serait peut-être meilleur pour exprimer ce
que nous désirons que le terme d’ “ accord ”, et
surtout que le terme de “ réconciliation ”.
Eh
! bien, cette protection nous l’aurions dans le cadre d’une bonne
administration apostolique. Nos “ évêques ”, reconnus par Rome,
auraient ce rôle protecteur que voulait absolument Mgr Lefebvre,
vis-à-vis des dicastères romains qui seraient tentés d’indiscrétions
modernistes. Ils joueraient le rôle dévolu à la commission prévue : la
défense de la Tradition auprès des dicastères romains. Ils sont aujourd’hui
nos protecteurs. Ils continueraient à l’être. Et dès lors une
administration apostolique personnelle, qui ne changerait rien de ce que
nous faisons et de ce que nous sommes, serait une situation idéale. Il s’agit
au fond d’épouser parfaitement la réalité que nous vivons et qui nous
est familière. C’est certainement la condition parfaite pour la
réussite d’un accord. C’est le pragmatisme organisateur. Elle
établirait “ légalement ” aux yeux de tous ce que nous faisons, qui
est fondamentalement légal et légitime. Certes, il y a de grandes
chances que de nombreux évêques ne soient pas favorables. Je le faisais
remarquer au Cardinal Castrillon Hoyos. Il en convenait…. Mais peu
importe, au début… Nous avons nos églises, nos chapelles, nos écoles,
la protection de nos “ évêques ”. Nous serions “ officiels ”,
nous les contestataires de la nouvelle messe et du Concile. Ce qui serait
très important. Cela influencerait, petit à petit, tel ou tel évêque,
y compris doctrinalement. Nos relations, petit à petit, s’amélioreraient,
avec celui-là, avec celui-ci. Certains commenceraient à nous donner ici,
une paroisse personnelle, là une école petit séminaire, là encore une
aumônerie… Nous aiderions petit à petit, discrètement… Il faut
considérer les choses dans le concret. Il ne faut surtout pas oublier la
pénurie de prêtres. Voilà le grand problème de l’heure. Pour y
pallier, certains vous parlent du laïcat, de diaconat. Que sais-je
encore ? Il faudrait abolir le célibat ecclésiastique... Et quoi
encore ! Manifestement, sur ce sujet, ce n’est pas la solution que
veut Rome. Alors, bon gré, mal gré, on passera. La tradition reprendra
ses droits. Et c’est pourquoi, aujourd’hui, je suis très favorable à
une “ régularisation ” de nos relations avec Rome.
Retenez
ce terme : “ régularisation ” ou “ restauration ” de nos
relations avec Rome. Il faut obtenir, en somme, que la dénonciation
historique de tout ce qu’il y a de néfaste dans le dernier Concile soit
reconnue officiellement. Cela se fera tôt ou tard. Plutôt tôt que tard.
Il faut être audacieux. Ce n’est pas toujours le propre du clergé. |