La
Messe historique du 24 mai
La
messe selon le rite traditionnel célébrée hier, 24 mai, à la Basilique
Sainte-Marie-Majeure par le cardinal Castrillon Hoyos, revêt une grande
importance à différents points de vues. Je publie ci-dessous le
compte-rendu (traduit de l’italien par mes soins) qu’a bien voulu m’envoyer
Stefano Gizzi, précieux ami et bon historien :
Les
suggestifs chants en grégorien, l’entrée solennelle du cardinal Dario
Castrillon Hoyos, vêtu de fastueux ornements pontificaux, les amples
volutes d’encens et la piété sincère des fidèles présents ont fait
immédiatement comprendre la valeur et l’importance de la célébration
à Sainte Marie-Majeure, qu’à bon droit on peut dire “ historique ”.
Cinq
cardinaux ont assisté au sacré rite : Alfons Maria Stickler,
Archiviste et Bibliothécaire émérite de la Sainte Eglise Romaine ;
Jorge Medina Estevez, Préfet émérite de la Congrégation pour le Culte
divin ; William Wakefield Baum, Pénitencier majeur émérite ;
Bernard Law, archevêque émérite de Boston ; Armand Gaétan
Razafindratandra, archevêque d’Antananarivo (Madagascar). Étaient
présents aussi trois évêques : Mgr Luigi De Magistris,
Pro-Pénitencier Majeur ; Mgr Julian Herranz ; Mgr Romer. Deux
Pères abbés : TRP Dom Gérard Calvet, de l’Abbaye
Sainte-Madeleine (Le Barroux) et Mgr Wladimir-Marie de Saint-Jean, abbé
des Chanoines réguliers de la Mère de Dieu.
Parmi
les nombreuses autorités civiles : Mario Borghezio, de la Ligue du
Nord ; Federico Bricolo, vice-président du groupe parlementaire de
la Ligue du Nord au Parlement ; Gennaro Malgeri, député de l’Allianza
Nazionale ; le Prince Sforza Ruspoli ; la Princesse Elvina
Pallavicini ; le marquis Luigi Coda Nunziante ; le professeur
Roberto De Mattei, professeur d’histoire moderne à l’Université de
Cassino et conseiller de Gianfranco Fini, vice-Président du Conseil.
Dans
le chœur étaient présents de très nombreux prêtres et séminaristes
de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, de l’Institut du Christ-Roi
Souverain Prêtre et trois prêtres de l’Union sacerdotale
Saint-Jean-Marie-Vianney de Campos.
Une
représentation nombreuse de l’Ordre de la Milice du Temple (dirigée
par son Grand Maître, le comte della Magione), avec l’habit
caractéristique et le manteau blanc avec la croix rouge sur l’épaule
et sur la poitrine, a attiré l’attention du public.
Fut
remarquée l’absence de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X, tandis
qu’étaient présents des fidèles des prieurés italiens et les
Disciples du Cénacle de Velletri (fondées par don Francesco Putti),
communauté très proche de la FSSPX.
La
célébration a commencé, de manière un peu surprenante, par la lecture
d’un message officiel du Saint-Père Jean-Paul II, signé par le
Secrétaire d’Etat, le cardinal Angelo Sodano, par lequel le Souverain
Pontife s’est “ uni spirituellement ” à la Sainte Messe
célébrée avec le Missel Romain de 1962 dans la Basilique et “ au
pieux hommage à la très Sainte Vierge Marie lui demandant d’intercéder
auprès de Son Divin Fils, afin que tous les chrétiens soient levain de
sainteté et de renouveau spirituel dans le monde d’aujourd’hui. ”
Le
cardinal Castrillon Hoyos a célébré avec une grande solennité et
dévotion, prenant un soin particulier, jusque dans les détails, au
respect des prescriptions des rubriques du Missel Romain et créant un
climat de recueillement spirituel vraiment remarquable et sincère.
Les
différents groupes présents à la célébration (beaucoup provenaient de
France) ont suivi les différentes phases de la cérémonie avec une
particulière bonne tenue et conscience, à commencer par le Saint
Rosaire, récité à genoux par beaucoup de fidèles.
Durant
la Sainte Messe, l’attention et une ferveur sincère ont accompagné l’écoute
de la Parole de Dieu, la grande prière du Canon Romain et la Sainte
Communion.
L’homélie,
très attendue, du cardinal Castrillon Hoyos s’est révélée d’un
grand intérêt.
Divisée
en trois parties, dans la première il a rappelé la doctrine
traditionnelle sur la Très Sainte Vierge Marie Mère de Dieu, commentant
les enseignements du concile Vatican II sur la Madonne, à la lumière de
la tradition constante de l’Eglise.
Dans
la seconde partie, il a traité amplement du thème de la nécessité,
pour les catholiques, de s’unir pleinement au Magistère du successeur
de Pierre, avec des citations tirées du saint pape Léon et de saint
Jérôme.
Dans
l’intense partie conclusive, le cardinal Castrillon Hoyos a traité
spécifiquement du rite de saint Pie V, précisant en toutes lettres que
ce vénérable rite “ ne peut être considéré comme éteint ”
et que “ l’antique Rite Romain conserve son droit de cité
dans l’Eglise ”, dans la diversité des rites catholiques,
soit latins soit orientaux.
Le
célébrant a ensuite justifié pleinement l’utilisation du Missel
Romain de saint Pie V avec une citation du concile Vatican II : “ la
sainte Mère l’Eglise considère comme égaux en droit et en dignité
tous les rites légitimement reconnus, et elle veut, à l’avenir, les
conserver et les favoriser de toutes manières ” (Sacrosanctum
Concilium, 4).
Le
cardinal Castrillon Hoyos, au nom des présents, a exprimé de vifs
sentiments de gratitude au Saint Père, pour l’ “ exquise
et paternelle compréhension qu’il montre à l’égard de ceux qui
désirent maintenir vivante dans l’Eglise la richesse représentée par
cette vénérable forme liturgique ”. Il a rappelé aussi que
le rite de saint Pie V a nourri la foi personnelle de Jean-Paul II, dans
son enfance, dans son ordination sacerdotale, lors de sa Première messe,
dans sa consécration épiscopale, et jusqu’à la fin des années
soixante.
En
conclusion de son homélie, avec des paroles très diplomatiques, le
cardinal a rappelé aussi les difficultés rencontrées par les fidèles
traditionalistes dans beaucoup de diocèses et a cité les paroles du
Pape : “ Soyez immensément reconnaissants au Saint Père
pour l’invitation adressée aux évêques du monde entier “d’avoir
une compréhension et une attention pastorale renouvelée pour les
fidèles attachés à l’ancien rite“. ”
Après
la conclusion de cette cérémonie solennelle, au chant du Christus
vincit, cinq réflexions me sont venues à l’esprit :
1.
Remerciement dévot et filial envers le Saint Père Jean-Paul II, envers
le célébrant, les cardinaux et les prélats présents, pour la
sensibilité manifestée.
2.
Sentiments de filiale reconnaissance pour l’œuvre accomplie, dans les
si tristes années soixante-dix, par Mgr Lefebvre, pour la défense de la
Sainte Messe et du sacerdoce catholique, et dont de si nombreux
fidèles ont reçu les fruits.
3.
Si dans les années 1976-77, de la part des autorités romaines, s’étaient
manifestées la même compréhension et la même sensibilité que dans
cette période récente, Mgr Lefebvre non seulement n’aurait jamais
été frappé de la déconcertante suspens a divinis, mais à l’occasion
de la Sainte Messe de Lille et des ordinations sacerdotales du 29 juin
1976, il aurait reçu un message de félicitations de la part de la
Secrétairerie d’Etat, avec la Bénédiction apostolique !
4.
Si dans les années soixante-dix et quatre-vingts, il y avait eu une
célébration comme celle de Sainte-Marie-Majeure, Mgr Lefebvre,
intrépide défenseur du rite de saint Pie V, y aurait-il assisté ?
Je crois certainement que oui !
5.
Les importantes affirmations du cardinal Castrillon Hoyos sur la “ non-extinction ”
du rite de saint Pie V et sur le plein droit de cité dans l’Eglise du
même vénérable rite, n’ont-elles pas besoin maintenant d’une
sanction légale, par le moyen d’une notification de la Congrégation
pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, communiquée à tous
les évêques, clarifiant ainsi toutes les vicissitudes et surmontant
beaucoup d’hostilité préconçue ?
Avv.
Stefano Gizzi
Président
de l’Académie des Beaux-Arts de Frosinone
Conseiller
communal de Ceccano
Vers
un accord avec la FSSPX ?
Le
souhait exprimé par Stefano Gizzi dans sa cinquième et dernière “ réflexion ”
n’est pas un vœu pieux. D’autres sources apportent des informations
qui laissent présager un accord possible entre la FSSPX et le
Saint-Siège.
Dans
la récente encyclique, Ecclesia de Eucharistia, Jean-Paul II avait
annoncé la préparation, en cours, de “ normes liturgiques ”,
“ avec des rappels d’ordre également juridique ”. La
Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des sacrements,
dirigée par le cardinal Arinze, est chargée de la préparation de ces
normes. Selon des sources fiables et sérieuses, cet important document,
à paraître entre octobre et décembre prochain, contiendra des normes
strictes pour en finir avec “ la Messe autofabriquée ” (selon
la propre expression du cardinal Arinze) mais aussi une plus large
faculté concédée aux prêtres pour célébrer la messe selon le rite
traditionnel.
Dans
un propos rapporté dans la Croix, le 30 avril dernier, Mgr Fellay,
Supérieur général de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, voyait
comme “ un geste important de la part de Rome ” la
célébration annoncée à Sainte-Marie-Majeure pour le 24 mai. Il
souhaitait aussi : “ Rome doit reconnaître que la messe de
saint Pie V n’a jamais été abrogée ”. L’homélie du cardinal
Castrillon Hoyos est venue répondre à cette demande. Enfin, Mgr Fellay
souhaitait que “ Rome libéralise encore plus la célébration du
rite tridentin ”. Les normes en préparation par la Congrégation
pour le Culte divin contiendront, peut-être, cette autorisation sans
préalable.
Si
tel était le cas, une des deux conditions préalables posées par la
FSSPX pour une réconciliation “ avec Rome ” serait remplie
(l’autre étant la levée de l’excommunication de 1988). Mais rien n’assure,
pour le moment, que le document en préparation à Rome concède une
liberté complète et inconditionnelle pour le rite traditionnel.
En
attendant, la FSSPX n’a pas rompu toutes relations avec le Saint-Siège,
à l’inverse de ce qu’ont cru certains. Le père Georges Cottier,
O.P. , Théologien de la Maison Pontificale, consulteur de plusieurs
Congrégations romaines, reste en dialogue officieux avec des prêtres de
la FSSPX mandatés par leur Supérieur général.
Celui-ci,
dans un long entretien accordé au Giornale (25.4.2003), sans citer
les noms d’interlocuteurs, a reconnu : “ Les négociations
continuent, elles ne sont pas mortes ”. Il a aussi porté un
jugement “ très positif ” sur la récente encyclique sur l’Eucharistie.
Contre le maximalisme de certains de ses prêtres, il a rappelé encore le
jugement de la FSSPX sur la “ nouvelle messe ” : “ nous
n’avons jamais dit que la messe de Paul VI était invalide et encore
moins l’avons-nous jamais définie “hérétique“. Nous la
considérons cependant nuisible et dangereuse pour la foi, parce qu’elle
n’exprime pas clairement tout ce qui devrait être dit dans la
messe. ”
Le
10 mai dernier, dans le quotidien Présent, Jean Madiran
estimait : “ La célébration du samedi 24 mai sera une étape
solennelle (peut-être l’avant-dernière) dans la lente sortie de l’ostracisme
injuste qui depuis trente-trois ans frappe la messe traditionnelle ”.
Elle aura été aussi, peut-être, une des dernières étapes avant la
réconciliation de la FSSPX avec le Saint-Siège.
Un
essai de l’abbé Barthe sur la liturgie
L’abbé
Claude Barthe publie un essai très intéressant sur “ l’essence
de la liturgie ”. Prêtre atypique à bien des égards – il ne
dépend d’aucun diocèse ni d’aucune congrégation et il dirige avec
Bernard Dumont la revue Catholica, qui occupe une place à part
dans le paysage traditionaliste et antimoderne français –, il n’est
lié à aucune autorité immédiate qui le contraigne ou limite sa
liberté d’expression.
D’où
ce livre libre, qui est aussi une belle méditation sur la liturgie qui
“ fait l’Eglise dans le monde en recouvrant toutes choses
terrestres d’une trame de sacré ”. Sans entrer dans toutes les
démonstrations d’un livre qui expose que “ la grande “crise de
conscience“ de la liturgie romaine a commencé en même temps que celle
de la société occidentale ”, on s’attachera à la conclusion
intitulée “ Une nécessaire transition ”.
L’abbé
Barthe fait justement remarquer qu’ “ entre l’état
présent et une inscription déterminée dans un processus de
reconstruction, il faudra une période, plus ou moins longue, de transition. ”
Il note aussi que cette transition est engagée, en France, en silence,
dans un nombre de paroisses forcément difficile à déterminer. Autel “ remis
à l’endroit ”, retour de la table de communion, canon romain en
latin, et ce, dans un rite qui n’est pas le rite traditionnel, sans
être non plus le rite Paul VI en français qui se célébrait encore
jadis, dans la même paroisse, il y a dix ans. À la suite de l’auteur,
on pourrait multiplier les exemples, tirés d’autres lieux.
Réintroduction de l’exorcisme dans le rite “ réformé du
baptême ”, multiplication des adorations du Saint-Sacrement dans
les paroisses et tant d’autres redécouvertes. La pratique liturgique en
France en 2003 n’est majoritairement pas celle qui prévalait en 1963,
mais elle n’est plus celle non plus qui régnait en 1973 ou en 1983.
Claude
Barthe, Le Ciel sur la terre, François-Xavier de Guibert (3 rue
Jean-François Gerbillon, 75006 Paris), 146 pages. |