Ecclesia
de Eucharistia
Il
y a un peu plus de deux ans, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
publiait une "étude théologique et liturgique" intitulée Le
Problème de la réforme liturgique. Précédée d'une "Adresse
au Saint-Père", signée par Mgr Fellay, Supérieur général de la
FSSPX, cette étude était aussi une prise de position solennelle, en
forme de manifeste (cf. Alétheia, n° 11, 15.3.2001). Les auteurs
de cette étude estimaient que la "théologie du mystère
pascal" est "l'âme" de la réforme liturgique menée
après le concile Vatican II. Ils estimaient aussi : "Parce qu'elle
est réductrice du mystère de la Rédemption ; parce qu'elle considère
le sacrement uniquement dans son rapport au "mystère" ; parce
que la conception qu’elle se fait du “mémorial” altère la
dimension sacrificielle de la messe, cette “théologie du mystère
pascal” éloigne dangereusement la liturgie postconciliaire de la
doctrine catholique...”
Jean-Paul
II, par l’encyclique Ecclesia de Eucharistia (“L’Eglise vit
de l’Eucharistie”) parue ce Jeudi saint, apporte, me semble-t-il, des
réponses au livre-manifeste de la FSSPX. Sans être au fait de tous les
arcanes du Vatican, différents indices laissent penser que l’interpellation
doctrinale de la FSSPX n’a pas été étrangère à la décision prise
par Jean-Paul II de consacrer une encyclique au “saint Sacrifice de la
Messe”.
Je
laisse aux théologiens compétents le soin d’analyser et de commenter
cette quatorzième encyclique de Jean-Paul II. Je voudrais simplement
relever certains points immédiatement perceptibles au lecteur de bonne
foi.
.
On note, tout d’abord, l’insistance avec laquelle Jean-Paul II
rappelle le caractère sacrificiel de la messe. C’est des dizaines de
fois qu’on pourrait relever le mot dans l’encyclique, sous des formes
diverses : “Sacrifice eucharistique”, “saint Sacrifice de la Messe”,
la “valeur sacrificielle” du Mystère eucharistique, “la nature
sacrificielle du Mystère eucharistique”, “l’Eucharistie est un
sacrifice au sens propre, et non seulement au sens générique”, et bien
d’autres emplois du terme.
.
On remarque aussi les références explicites aux définitions
dogmatiques du concile de Trente sur la messe et surtout le rappel de leur
valeur normative. Le p. Bruno Chenu, assomptionniste, un des
collaborateurs éminents de la Croix, n’avait pas voulu laisser
passer l’étude de la FSSPX sans “riposter” — c’était son
expression — et, le 2 avril 2001, il avait publié un article,
imprudemment et impudemment intitulé : “Pourquoi Vatican II a “corrigé”
Trente” (cf. Alétheia, n° 13, 24.4.2001). Il expliquait que la
doctrine de la messe comme sacrifice propitiatoire est l’héritière du
concile de Trente, lequel “ne peut être compris que dans son contexte”.
Le révérend père théologien expliquait aussi qu’avant Luther et le
concile de Trente “l’expression le sacrifice de la messe était
presque inconnue en Occident”.
Jean-Paul
II, bien évidemment, ne partage pas ce relativisme doctrinal. Dès l’introduction
de son encyclique, il insiste sur la “référence dogmatique” que
constitue l’enseignement du concile de Trente sur la messe :
“Comment
ne pas admirer les exposés doctrinaux des décrets sur la sainte
Eucharistie et sur le saint Sacrifice de la Messe promulgués par le
Concile de Trente ? Au cours des siècles qui ont suivi, ces pages ont
guidé la théologie aussi bien que la catéchèse, et elles sont encore
une référence dogmatique pour le renouveau continuel et pour la
croissance du peuple de Dieu dans la foi et dans l’amour envers l’Eucharistie.”
Plus
loin, dans le premier chapitre consacré au “Mystère de la Foi”,
Jean-Paul II rappelle “la doctrine toujours valable du concile de Trente”
sur la transsubstantiation.
.
Concernant la doctrine du “Mystère pascal”, nouvelle théologie
dangereuse selon l’étude de la FSSPX, le Pape développe un
enseignement qui ne se contente pas de répéter ce qui a déjà été
écrit sur le sujet. Dès le deuxième paragraphe de l’introduction de l’encyclique,
Jean-Paul II décrit l’Eglise comme naissant du “mystère pascal”. L’unité
du mysterium paschale est, dit le Pape, l’unité du mysterium
eucharisticum. Citant les paroles de l’Institution, Jean-Paul II
illustre le lien entre les jours saints du Triduum pascal, même s’il
ajoute : “Les Apôtres qui ont pris part à la dernière Cène ont-ils
compris le sens des paroles sorties de la bouche du Christ ? Peut-être
pas. Ces paroles ne devaient se clarifier pleinement qu’à la fin du
triduum pascal, c’est-à-dire de la période qui va du Jeudi soir au
dimanche matin.”
.
Enfin, sans prétendre, encore une fois, faire une analyse exhaustive de
cette très importante encyclique de Jean-Paul II, on relèvera encore le
cinquième chapitre, consacré à “la dignité de la célébration
eucharistique”. Le Pape, comme l’avait fait avant lui Paul VI déjà,
et comme l’ont fait ensuite d’éminentes autorités de l’Eglise, à
commencer par le cardinal Ratzinger, le Pape déplore que “surtout à
partir des années de la réforme liturgique post-conciliaire, en raison d’un
sens mal compris de la créativité et de l’adaptation, les abus n’ont
pas manqué, et ils ont été des motifs de souffrance pour beaucoup. Une
certaine réaction au “formalisme” a poussé quelques-uns, en
particulier dans telle ou telle région, à estimer que les “formes
choisies” par la grande tradition liturgique de l’Eglise et par son
Magistère ne s’imposaient pas, et à introduire des innovations non
autorisées et souvent de mauvais goût”.
Quiconque
a un peu voyagé en Europe et dans le monde, et a assisté à l’étranger
à des messes selon le nouveau rite, peut deviner quels pays sont
particulièrement visés par le Pape. La France est au premier rang.
Jean-Paul II annonce, dans l’encyclique, qu’un “document plus
spécifique”, sur les normes liturgiques, est en préparation par les
Dicastères compétents de la Curie.
On
lira avec intérêt les réactions des uns et des autres à cette grande
encyclique de Jean-Paul II et on sera attentif à l’esprit
ecclésial et spirituel dans lequel cet enseignement du Magistère sera
reçu. |