La
liberté religieuse, de Pie XI au cardinal Ratzinger
Le
24 novembre 2002, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a publié
une " Note doctrinale " intitulée A propos de questions sur
l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique.
Jean Madiran a salué, dans Présent (18.1.2003), cette "
énergique apologie de la loi (morale) naturelle, à l’encontre d’une
conception intolérante de la "laïcité" et de ce que Jean-Paul
II avait précédemment stigmatisé sous le nom de "démocratie
totalitaire". "
Sans
revenir sur le contenu général de cette note doctrinale, je voudrais
attirer l’attention sur son huitième point. Le cardinal Ratzinger y
dissocie fortement liberté religieuse et liberté de religion :
"
…il est bon de rappeler une vérité qui n’est pas toujours perçue et
n’est pas formulée comme il se doit dans l’opinion publique commune :
le droit à la liberté de conscience et spécialement à la liberté
religieuse, proclamée par la Déclaration Dignitatis humanæ du
concile Vatican II, se fonde sur la dignité ontologique de la personne
humaine, et non certes sur une égalité entre les religions, ou entre les
systèmes culturels humains. Cette égalité n’existe pas. Dans la même
ligne, le pape Paul VI a affirmé que "le Concile ne fonde en aucune
manière ce droit à la liberté religieuse sur le fait que toutes les
religions et toutes les doctrines, même erronées, auraient une valeur
plus ou moins égale ; il le fonde, au contraire, sur la dignité de la
personne humaine, qui requiert de n’être pas soumise à des contraintes
extérieures qui tendent à opprimer la conscience dans sa recherche de la
vraie religion et sa soumission à celui-ci." L’affirmation de la
liberté de conscience et de la liberté religieuse ne contredit donc pas
du tout la condamnation de l’indifférentisme et du relativisme
religieux de la part de la doctrine catholique, au contraire elle est
pleinement cohérente avec elle. "
Jamais,
me semble-t-il, le Magistère, depuis le concile Vatican II, n'a condamné
l’indifférentisme aussi clairement. Qui plus est, dans les notes,
référence est faite à Pie IX (Quanta cura) et à Pie XI (Quas
Primas) ; deux références absentes de la déclaration conciliaire Dignitatis
humanæ.
Certes,
quant au fondement de cette liberté religieuse (" la dignité de la
personne "), le cardinal Ratzinger reste bien dans la ligne de la
déclaration conciliaire. C’est la doctrine qu’avait développée le
théologien américain John Courtney Murray (cf. Dominique Gonnet s.j., La
liberté religieuse à Vatican II. La contribution de John Courtney Murray,
Cerf, 1994).
Mais,
on sait peu — ou l’on ne sait pas du tout — que cette notion de la
"dignité de la personne" comme fondement de la liberté de
conscience se trouve déjà dans l’enseignement de Pie XI, le pape du
Christ-Roi, de Quas Primas. Dans la lettre apostolique Sollemnia
Jubilaria du 21 septembre 1938 (pour le 50e anniversaire de l’Université
catholique de Washington), il affirmait :
"
…seule la doctrine catholique, dans sa vérité et son intégrité, peut
revendiquer pleinement les droits et les libertés de l’homme, parce que
seule elle reconnaît à la personne humaine sa valeur et sa dignité.
Pour ce motif les catholiques, éclairés sur la nature et les qualités
propres de l’homme, sont nécessairement les avocats et les défenseurs
de ses droits légitimes et de ses légitimes libertés, et protestent, au
nom de Dieu, contre la fausse doctrine qui s’efforce de dégrader la
dignité de l’homme même pour l’abaisser à l’humiliante condition
de l’esclavage, de le soumettre à l’arbitraire d’une tyrannie
inique ou de le détacher cruellement du reste de la famille humaine.
"
La
liberté religieuse comme arme contre le totalitarisme, c’est exactement
la thèse que défendra Mgr Karol Wojtyla, le futur Jean-Paul II, au
concile Vatican II.
Aujourd’hui,
face au " totalitarisme mou " ou à la " démocratie
totalitaire ", la revendication de la liberté religieuse de la part
de l’Eglise obéit à une logique identique.
Alain
de Benoist, dans un livre paru en Italie, et en partie inédit en
français — livre contestable sur bien des points et sur lequel nous
reviendrons en une prochaine occasion —, fait utilement remarquer à
propos de la liberté religieuse revendiquée par l’Eglise :
"
Contrairement à ce qu’affirment les traditionalistes, cette insistance
ne revient nullement à minorer les vérités de la foi catholique par
rapport aux autres religions. Elle exprime bien plutôt la volonté de l’Eglise
d’établir à son bénéfice un espace échappant par définition au
pouvoir d’Etat, mais qui, en même temps (et c’est là le point
essentiel), puisse être utilisé comme une base à partir de laquelle il
lui sera à nouveau possible de jouer un rôle dans la sphère publique,
cessant ainsi de se borner à attester de la vérité divine dans la seule
sphère privée."
Jean
Madiran et Balthasar dans Certitudes
.
Le n° 11 de la Nouvelle Revue Certitudes (23 rue des Bernardins,
75005 Paris, 8 euros le numéro) publie un long entretien de l’abbé de
Tanoüarn avec Jean Madiran. Dans La Révolution copernicienne dans l’Eglise,
Jean Madiran a voulu mettre en lumière " l’intention viciée qui a
présidé à la rédaction de Vatican II ". Mais je ne crois pas qu’il
dirait, comme son interlocuteur le fait dans un autre article de la même
revue : " la doctrine organique de ce Concile n’avait plus rien de
chrétien ".
On
lira avec un grand intérêt les longues pages de cet entretien, qui
portent sur le concile Vatican II, sur ce que Jean Madiran appelle l’
" apostasie immanente " et aussi sur les origines d’Itinéraires.
On peut relever encore ce jugement de Jean Madiran :
"
Je crois que Vatican II est susceptible d’une pia interpretatio
(comme saint Thomas le faisait vis-à-vis de certains Pères). Je ne suis
pas opposé à l’idée que le pape — par des documents — rectifie
les ambiguïtés du Concile. Je ne suis pas opposé non plus à l’idée
d’une réforme de la réforme, si dans la réforme, il y a la
rectification. "
.
Même si ce qui fait l’objet central de ce numéro — le dossier "
Faillible concile " — n’est pas toujours convaincant, la revue Certitudes,
dirigée par l’abbé de Tanoüarn, est la plus libre des revues de la
FSSPX ou liées à la FSSPX. On le remarque encore dans ce numéro où
Joël Prieur recense, avec admiration et sans aigreur, l’ouvrage d’Hans
Urs von Balthasar, sur Le Soulier de Satin de Paul Claudel, que
viennent d’éditer les éditions Ad Solem.
Généralement,
dans les revues et bulletins de la FSSPX, quand le nom de Balthasar est
cité, c’est pour l’associer à Congar et à de Lubac dans une sorte
de trinité des théologiens du XXe siècle qu’il faudrait maudire. On
fait de Balthasar un des précurseurs de Vatican II — ce qu’il ne fut
en aucune manière, à l’inverse des deux autres – ; on lui reproche
des pages sur l’enfer — qui, sans doute, sont contestables — ; mais
peu de ses censeurs l’ont lu dans toute l’ampleur de son œuvre —
plus de soixante-dix ouvrages.
Ici,
dans le n° 11 de Certitudes, Balthasar a été lu et bien lu
(même si, par deux fois, le recenseur le qualifie à tort de "
jésuite " : Hans Urs von Balthasar, créé cardinal par Jean-Paul II,
peu de temps avant sa mort en 1988, avait quitté la Compagnie de Jésus
dès 1948).
Deux
ouvrages collectifs sur la liturgie
.
Enquête
sur la liturgie,
Éditions de L’Homme Nouveau (10 rue Rosenwald, 75015 Paris), 353 pages,
20 euros.
Suite
à la publication de l’ouvrage du cardinal Ratzinger, L’Esprit de
la liturgie, le bi-mensuel L’Homme Nouveau, sous la direction
de Philippe Maxence, avait ouvert une enquête et un débat, qui ont duré
un an. Les réponses publiées dans le bi-mensuel (Mgr Guillaume, Mgr
Lagrange, Mgr Léonard, Mgr Raffin, Dom Antoine Forgeot abbé de
Fontgombault, Dom Gérard Calvet abbé du Barroux, Dom Philippe Dupont
abbé de Solesmes, et bien d’autres intervenants) sont reprises dans
cette Enquête sur la liturgie. Y ont été ajoutés des réponses
inédites et d’autres textes d’un grand intérêt ; notamment l’article
très critique du P. Gy, un des artisans de la réforme liturgique, paru
dans La Maison-Dieu, et la réponse, vive, que lui a faite le
cardinal Ratzinger dans le numéro suivant de la même revue.
Une
première édition de ce livre, publié sous la direction de Philippe
Maxence, a été épuisée en quelques semaines. La 2e édition comporte,
en fascicule séparé, une " Postface ", de neuf pages, du
cardinal Ratzinger. Dans ce texte, " Retour à Sacrosanctum
Concilium ", le cardinal Ratzinger estime : " Le champ de la
constitution conciliaire est de beaucoup plus vaste que celui des
réformes qui ont été introduites par la suite et qui, d’ailleurs,
auraient pu être différentes à bien des égards. "
.
Foi et
liturgie, C.I.E.L. (11 avenue Chauchard, 78000
Versailles), 482 pages, 24 ¤.
Il
s’agit des actes du VIIe colloque sur la liturgie organisé par le CIEL.
Comme à l’accoutumée, on y trouve une série d’études faites par
des théologiens et des liturgistes venus de différents pays. On relève,
entre autres, une communication d’Helen Hitchcock sur la question des
traductions liturgiques dans les pays de langue anglaise et une autre du
chanoine Rose sur la même question dans les pays de langue française.
D’un
grand intérêt aussi la communication du frère Santogrossi, de l’abbaye
de Mount Angel (USA), sur la liturgie actuelle et l’œcuménisme. À
propos du N.O.M., il écrit :
"
nous devons regretter un appauvrissement à travers la diminution des
éléments qui précisément ont été refusés par la réforme
luthérienne : l’accent mis sur l’adoration du Christ réellement
présent sous les espèces eucharistiques et sur la messe comme offrande
propitiatoire du Christ au Père par le prêtre et l’Eglise. Bien sûr
la position du magistère sur ces questions est claire et le novus ordo
peut être célébré avec vénération et piété. Mais dans un contexte
de confusion théologique, alors que nos frères séparés ont des
difficultés pour apprécier clairement l’exposition catholique de la
foi, il serait bon de restaurer ces éléments liturgiques concrets qui
manquent dans une liturgie luthérienne, même digne et belle.
Parallèlement
à la réforme liturgique, la doctrine de la messe comme sacrifice
propitiatoire a subi une évolution chez certains théologiens catholiques
qui l’ont rendue en grande partie convergente avec la théologie
eucharistique luthérienne. En conséquence, des œcuménistes
officiellement accrédités envisagent maintenant une pleine communion
sacramentelle et ministérielle entre catholiques et luthériens, sans que
les luthériens aient besoin d’accepter l’enseignement de Trente sur
la transsubstantiation et sur la messe comme un véritable et juste
sacrifice. "
Rappelons
que l’auteur, Ansgar Santogrossi, est frère bénédictin dans un
monastère qui relève de la congrégation helvéto-américaine, où se
célèbre habituellement le N.O.M., et qu’il est en même temps l’auteur
d’un ouvrage, L’Evangile prêché à Israël, que viennent de
publier les éditions Clovis (cf. Alètheia, n° 36, 2.01.2003).
Le
n° 82 de Croisade du Rosaire Apostolique pour l’Eglise, la revue
des Chanoines Réguliers de la Mère de Dieu (Abbaye du Saint-Cœur Notre
Dame, 1 place Ladoucette, 05000 Gap), publie un intéressant dossier sur
Mgr Ghika (1873-1954), intrépide apôtre du XXe siècle, mort dans les
prisons roumaines. |