Une
biographie du père André
Le
traditionalisme - ou la résistance à certaines évolutions de l'Eglise
confrontée à la modernité - a commencé bien avant le concile Vatican
II, même si ce dernier événement lui a donné de nouvelles raisons de
résister. Ce traditionalisme fait l'objet d'études historiques de plus
en plus nombreuses. Il y a eu plusieurs travaux universitaires et thèses
consacrés à la Pensée Catholique, à Itinéraires, à la
Cité Catholique, à Saint-Nicolas-du-Chardonnet (même si certaines de
ces études n'ont pas été pas à la hauteur de leurs ambitions). Il y a
eu des biographies ou des tentatives de biographie consacrées à des
personnalités du mouvement traditionaliste : Mgr Lefebvre (de nombreux
ouvrages, en attendant la grande biographie annoncée par Mgr Tissier de
Mallerais aux éditions Clovis), Mgr de Castro Mayer (David Allen White, The
Mouth ou the lion, Kansas City, Angelus Press, 1997), Dom Gérard
(Marc Dem, Dom Gérard et l'aventure monastique, Plon, 1988), le RP
Eugène de Villeurbanne, etc.
Peu
de temps après sa mort, le père Michel André (1915-2000) trouve son
premier biographe. Claude Mouton-Raimbault, qui a publié de nombreux
ouvrages consacrés à Claire Ferchaud et à son message, consacre au
père André un ouvrage abondant, fervent, utile même s'il laisse
insatisfait sur certains points.
Un
premier reproche que l'on pourrait faire à l'auteur, qui s'appuie sur une
documentation d'archives abondantes, est de très rarement citer ses
sources et de ne pas en avoir établi une nomenclature à la fin de son
ouvrage. A un tel ouvrage, il manque aussi un index des noms.
On
sera d'accord également avec le père Thomas-M. de Bazelaire qui, dans
une recension de l'ouvrage, écrit : "un lecteur exigeant pourra
regretter que l'auteur n'ait utilisé presque exclusivement que les
carnets et la correspondance de son héros. Aussi cette biographie se
résume trop en un portrait du Père André par le Père André. De ce
fait, elle manque nécessairement de recul et donc d'objectivité.
Pourquoi, par exemple, Claude Mouton-Raimbault n'a-t-il pas pris le soin
d'interroger Edmond Samson, un des principaux collaborateurs du
missionnaire en Argentine, maintenant prêtre dans le diocèse du Mans
?" (Sedes Sapientiae, n° 79, p. 57-58).
Auraient
pu être interrogées d'autres personnes qui ont connu le père André à
différents moments de son existence. Auraient pu être consultées aussi
les archives des Pères du Saint-Esprit, congrégation à laquelle le
père André appartenait, et interrogés les diocèses dans lesquels il a
oeuvré tant d'années, notamment celui de San Rafaël en Argentine.
Dans
les relations qu'eut le père André avec le Saint-Siège, l'utilisation
des sources est unilatérale et donc elle fausse la perspective
historique. Le père André a adressé des lettres et suppliques à Paul
VI et à Jean-Paul II à propos de la crise de la foi et de la
réforme liturgique. Elles sont publiées intégralement par Claude
Mouton-Raimbault, et c'est heureux, mais il n'en est pas de même pour les
réponses reçues.
Dans
d'autres cas encore, l'auteur est trop allusif. On aurait aimé lire, ou
du moins connaître, le contenu des deux lettres
"encourageantes" reçues de Mgr Pintonello que l'auteur nous dit
être un "ami de Paul VI" (p. 464). On n'en saura guère plus.
Si
on voit assez bien quelles furent les relations entretenues avec Mgr
Lefebvre depuis 1960 (les deux religieux appartenant à la même
congrégation), si l'on voit, assez clairement, comment, par ses
suppliques et ses rencontres avec le cardinal Oddi, le père André a
été à l'origine, avec d'autres, de l'indult sur la messe traditionnelle
accordé par Jean-Paul II en 1984, sa participation à d'autres épisodes
de l'histoire du traditionalisme dans les dernières décennies reste
encore mal éclairée. Par exemple, les circonstances de la rédaction du
célèbre Bref examen critique du NOM, présenté à Paul VI par
les cardinaux Bacci et Ottaviani en 1969, attendent encore leur historien.
Il
est étonnant encore que les sacres effectués en 1988 par Mgr
Lefebvre ne soient pas évoqués comme tels par Claude
Mouton-Raimbault. A plusieurs reprises, l'auteur signale, en passant, que
le père André a approuvé ces sacres. Mais il ne consacre aucune page à
l'événement lui-même et à ses circonstances : l'évolution de Mgr
Lefebvre lui-même sur la nécessité de sacres épiscopaux pour faire
"survivre" la Tradition, le protocole d'accord avec le
Saint-Siège le 5 mai 1988, la réunion décisive des groupes et
communautés traditionalistes au Pointet le 30 mai, puis les sacres en
juin. Quelle part le père André a-t-il pris à ces différents épisodes
d'un acte désormais historique ? Le lecteur n'en saura rien.
Enfin,
l'auteur rapporte, sans vérification, des affirmations du père André.
En 1986 (p. 472), le père André reproche au Saint-Siège d'avoir
adhéré, le 24 février, au "Conseil des Églises protestantes"
(le père André voulait sans doute parler du "Conseil Œcuménique
des Églises) et à Jean-Paul II d'avoir qualifié, le 5 octobre à
Paray-le-Monial, de "désuet" le culte au Sacré-Coeur. L'Eglise
catholique n'a jamais été membre du C.OE.E., tout au plus existe-t-il un
"Groupe mixte de travail". Et si l'on se reporte aux allocutions
prononcées par Jean-Paul II lors de son voyage à Paray-le-Monial en
1986, on observe que, bien sûr, il encourage le culte au Sacré-Coeur.
Les erreurs répétées passent pour des vérités établies. Il revient
aux historiens et aux biographes de les corriger.
En
revanche - et les remarques précédentes ne doivent pas dévaloriser ce
beau livre - on apprendra beaucoup de choses dans ce volume, en
particulier sur l'Association Noël Pinot (qui a regroupé jusqu'à
750 prêtres fidèles à la messe traditionnelle) et sur le bulletin Introïbo,
qui existent toujours aujourd'hui. Et surtout on découvrira une belle
figure de prêtre traditionaliste, d'un grand courage physique et moral.
Claude Mouton-Raimbault n'a pas craint d'évoquer - et il a eu raison -
les tentations et les découragements qu'a connus le père André,
notamment les difficiles mois de fin 67-début 68 où il était tenté
d'abandonner le sacerdoce.
En
complément du livre, on pourra se reporter au long entretien avec Claude
Mouton-Raimbault qui est paru dans le n° 299 de Lecture et Tradition.
Claude Mouton-Raimbault y expose en détail quelle était la pensée du
père André sur la réforme liturgique - car ce traditionaliste qui
conserva toute sa vie une âme de missionnaire croyait nécessaires et
utiles certaines réformes de la liturgie.
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Claude Mouton-Raimbault, Un prêtre vrai. Le Père André,
Éditions de Chiré (BP 1, 86190 Chiré-en-Montreuil), 525 pages, 28,50
euros + port.
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Lecture et Tradition (B.P. 1, 86190 Chiré-en-Montreuil), n°
299, 3 euros |