Mgr
Brincard : “ Il faut combattre la franc-maçonnerie ”
Mgr
Henri Brincard, évêque du Puy-en-Velay, a été interrogé sur la
franc-maçonnerie par la radio RCF-Le Puy. Ses réponses s'affichent aussi
sur le site internet du diocèse.
Au
cours des dernières décennies, la Congrégation pour la doctrine de la
foi a rappelé aux catholiques que l'appartenance à un mouvement
maçonnique était contraire à la foi chrétienne. J’aimerais savoir
pourquoi toutes ces réserves face à la franc-maçonnerie ?
Votre
question est courageuse. Avant d'y répondre, je voudrais faire, en guise
de préliminaire, les remarques suivantes :
1)
Il arrive que des hommes soient bien meilleurs que les doctrines
auxquelles ils adhèrent. Il faut s'en souvenir lorsque nous rencontrons
des francs-maçons. En revanche, c'est toujours le contraire qui se
produit lorsqu'il s'agit de l'Evangile. L'Evangile est plus grand que
celui qui le professe. Nous comprenons dès lors pourquoi la première
vertu chrétienne est celle de l'humilité.
2)
Au cours d'un dialogue, il convient de rejoindre le cœur profond de son
interlocuteur. Dans ce cœur, en effet, il y a des aspirations qu'une
fausse doctrine ignorera. C'est encore le cas des francs-maçons.
3)
Les origines historiques de la franc-maçonnerie sont obscures. Dans le
cadre de notre émission, je ne puis m'attarder sur elles. Pour éclairer
mon propos, il suffit de dire que la franc-maçonnerie, telle qu'elle
apparaît au début du XVIII e siècle, ne peut revendiquer sérieusement
une filiation avec certaines corporations médiévales, par exemple, avec
celle des tailleurs de pierres. De telles corporations, en effet, étaient
d'inspiration chrétienne. Or les constitutions d'Anderson de 1723, texte
de référence pour tous les francs-maçons, ne comportent plus la moindre
référence au Dieu en Jésus-Christ, révélation reçue, gardée et
transmise par l'Eglise fondée sur les apôtres envoyés par le
Ressuscité prêcher au monde l'Evangile du salut. Un orfèvre en la
matière, Jacques Mitterrand - qu'il
ne
faut pas confondre avec son homonyme célèbre, François Mitterrand -
l'affirme nettement dans un livre où il explique les principes
fondamentaux de la franc-maçonnerie.
Et
maintenant, j'en viens à la question souvent posée : “Peut-on être
catholique et franc-maçon“ Je réponds clairement : non ! La
déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, déclaration
engageant fortement l'autorité de l’Eglise, est sans ambiguïtés sur
ce point. Elle est du 26 novembre 1983, signée par le cardinal Ratzinger,
préfet de cette Congrégation, et dit ceci : "On a demandé si le
jugement de l'Eglise sur les associations maçonniques était changé
étant donne que dans le nouveau Code de droit canonique, il n'en est pas
fait mention expresse comme dans le Code antérieur. Cette Congrégation
est en mesure de répondre qu'une telle circonstance est due aux critères
adoptés dans la rédaction qui a été suivie aussi pour d'autres
associations également passées sous silence parce qu'elles sont incluses
dans des catégories plus larges. Le jugement négatif de l'Eglise sur les
associations maçonniques demeure inchangé parce que leurs principes ont
toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de
l'Eglise et l'inscription à ces associations reste interdite par
l'Eglise. Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques
sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte
communion. Les autorités ecclésiastiques locales n'ont pas compétence
pour se prononcer sur la nature de ces associations maçonniques par un
jugement qui impliquerait une dérogation à ce qui a été affirmé
ci-dessus. Le Souverain Pontife Jean-Paul II, dans l'audience accordée au
cardinal Préfet, a approuvé cette déclaration.“
Cette
déclaration a été précédée par une autre, non moins claire, cette
fois de la conférence épiscopale allemande. Faite en 1981, elle est
cependant peu connue. C'est pourquoi j'invite mes auditeurs à la lire
dans la Documentation catholique (n° 1807). On y développe
longuement l'incompatibilité fondamentale entre la doctrine de la
maçonnerie et les enseignements de l'Evangile.
Et
qu'en disent les francs-maçons ?
La
franc-maçonnerie reconnaît elle-même cette incompatibilité. J'en veux
pour preuve ce que dit à ce sujet Paul Gourdeau, ancien Grand Maître du
Grand Orient de France. Écoutons son message : "Ce qu'il est
aujourd'hui important de comprendre, c'est que le combat qui se livre
actuellement conditionne l'avenir, plus encore le devenir de la société.
Il repose sur l'équilibre de deux cultures : l'une fondée sur
l'Evangile et l'autre sur la tradition historique d'un humanisme
républicain. Et ces deux cultures sont fondamentalement opposées : ou la
vérité est révélée et intangible d'un Dieu à l'origine de toutes
choses ou elle trouve son fondement dans les constructions de l'Homme
toujours remises en question parce que perfectibles à l'infini. De cette
bataille perpétuelle recommencée avec vigueur depuis quelque temps,
Malraux disait hier que le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas.
C'est à cette affirmation, c'est à ce défi qu'il nous appartient de
répondre!“ (Humanisme, n° 193, octobre 1990).
Faire
dire à la franc-maçonnerie ce qu'elle n'a jamais pensé, c'est à
l'évidence faire preuve d'une naïveté nourrie d'ignorance, c'est
confondre sentimentalisme et générosité. Mais Gustave Le Bon ne
disait-il pas déjà : "Beaucoup d'hommes sont doués de raison,
très peu de bon sens".
Pourtant,
certains se revendiquent d'une double appartenance : à l'Eglise et à la
franc-maçonnerie ?
Je
suis bien conscient que ce que je viens de dire ne plaît pas à tout le
monde. Je n'ignore pas non plus qu'un illustre jésuite, le père Riquet -
pour ne pas le nommer - a défendu une position différente de celle de
l'Eglise. Il l'a même fait connaître dans un livre publié peu de temps
avant son décès. À titre personnel, j'ai de l'estime pour le père
Riquet. Je rends hommage à son courage pendant la Deuxième guerre
mondiale. C'est sans doute, un religieux exemplaire sous beaucoup de
rapports. Mais à propos de la franc-maçonnerie, il s'est gravement
trompé, probablement abusé par des amitiés nouées en des circonstances
difficiles et par une bonne dose de naïveté. À ce propos, il est
salutaire de se souvenir que si instruits que nous soyons, nous demeurons
fragiles, exposés à de nombreuses erreurs. Un lecteur attentif découvre
sans peine que le père Riquet fait preuve de beaucoup de crédulité, par
exemple, lorsqu'on affirme que le symbolisme de la franc-maçonnerie peut
conduire à la découverte de Jésus-Christ ! En revenant à votre
question initiale, je tiens à ajouter que les évêques, et moi le
premier, nous sommes la voix de l'Eglise dans la mesure où nous agissons
en communion les uns avec les autres autour du "serviteur des
serviteurs" qu'est le pape. La déclaration de la Congrégation pour
la Doctrine de la foi est une déclaration qui doit éclairer notre action
pastorale.
Après
tout ce que vous venez de nous dire, Père évêque, quelle attitude
doit-on avoir à l'égard des francs-maçons ?
Ma
réponse est celle-ci : la franc-maçonnerie constitue un défi qu'il faut
relever sereinement et courageusement. Certes, il ne faut pas exagérer
l'influence de la franc-maçonnerie ; il ne faut pas, non plus, la
sous-estimer. L'attitude d'un catholique agissant en cohérence avec sa
foi doit, me semble-t-il, être la suivante : d'abord la clairvoyance.
Cela signifie connaître avec exactitude les véritables objectifs que
poursuit la franc-maçonnerie. Ensuite, le désir d'approfondir sans cesse
la foi chrétienne. L'ignorance est grand ennemi de la foi. Enfin, la
résolution de suivre de plus en plus fidèlement Jésus-Christ. L'exemple
est plus convaincant que la parole.
Et
voici le mot de la fin : notre vraie force est de prendre appui sur
Jésus-Christ Lui seul peut changer les cœurs. C'est pourquoi, autant il
faut combattre la franc-maçonnerie en rappelant qu'elle est une forme
particulièrement nocive de "gnose", autant il faut poser sur
les francs-maçons un regard d'espérance, regard né d'une authentique
charité, car "rien n'est impossible à Dieu" !
Les
évêques
de France et la franc-maçonnerie
. Cette intervention, la plus ferme qu'on ait entendue
en France de la part d'un évêque depuis des décennies, peut être
perçue comme un certain changement dans l'attitude de l'épiscopat
français face à la franc-maçonnerie. D'après diverses sources, la
Conférence épiscopale française a abordé à plusieurs reprises ces
dernières années, à huis clos, cette question. Les multiples offensives
laïcistes de ces dernières années autant que l'attirance de certains
catholiques pour la franc-maçonnerie (notamment celle de la GLNF)
incitent nombre d'évêques de France à réagir.
L'épiscopat
est, sans aucun doute, divisé sur la position à adopter et sur la forme
de la réaction. Une déclaration commune en forme de -condamnation
solennelle est, semble-t-il, à exclure. En revanche, il est prévu des
"initiatives" et des "interventions", personnelles ou
collectives, qui prendront des formes diverses.
La
rencontre entre les représentants de l'épiscopat français, le Premier
ministre et le ministre de l'Intérieur, en février dernier, pour
examiner différents problèmes administratifs et juridiques qui se posent
dans l'application de la loi de séparation de l’Eglise et de l'Etat de
1905, est à situer, en partie, dans cette perspective.
A
côté de cette -initiative", les fortes et claires paroles
prononcées par Mgr Brincard prennent place dans les
"interventions" qui pourraient se multiplier. Même si elles
sont loin d'être l'expression d'une position unanime des évêques de
France.
.
En mai 2001, un militant catholique, Michel-Constant Verspieren, a publié
un ouvrage d'information critique sur la franc-maçonnerie : L’impasse
maçonnique (Éditions Faver, 33 rue Jean Jaurès, 59491 Villeneuve d'Ascq,
180 pages, 15,09 euros).
Il
a envoyé cet ouvrage à tous les évêques de France. Un peu moins d'un
quart d'entre eux (24) ont accusé réception du livre. Cinq évêques, et
un cardinal français résidant à Rome, ont envoyé des encouragement
immédiats.
À
propos du RP Antonio Vieira
Dans
la revue Le Sel de la terre (Couvent de la Haye-aux-Bonshommes,
49240 Avrillé), qui publie son 40e numéro et fête ses dix ans de
parution, un rédacteur s'inquiète des orientations qui seraient celles
des éditions Ad Solem (2 rue des Voisins, CH - 1205 Genève, www.ad-solem.com).
Ces éditions ont publié le dernier livre du cardinal Ratzinger, L’Esprit
de la liturgie.
Parmi
les autres auteurs publiés par ces éditions, l'éminent rédacteur
dominicain jette la suspicion sur “ un livre d'Antonio VIEJA (sic)
SJ, maître dans l'art de la conjonction des oppositions ( ... ) qui eut
des ennuis avec l'Inquisition pour hérésie judaïsante, livre intitulé
Le Salut en clair obscur et recommandé par Yves Chiron dans Présent
du 15 janvier 2000, etc. C'est toujours un peu le même monde et les
mêmes influences. ”
Pour
être plus précis et juste, on peut rappeler que le jésuite Antonio
Vieira (1608-1697) n'est pas un obscur auteur jésuite suspect
d'hérésie. Ses sermons, dont les éditions Ad Solem livrent une nouvelle
traduction et édition, ont été célèbres dans toute l'Europe et
traduits en plusieurs langues. En France, pour le seul XIXe siècle, ils
connurent deux éditions. Au Portugal, la dernière édition de ses
œuvres, parue entre 1951 et 1954, compte 12 volumes.
À
lire les quelques lignes citées plus haut, on pourrait croire que le
livre publié par les éditions Ad Solem est une illustration de l' “ hérésie
judaïsante ” du Révérend Père Vieira. Il n'en est rien. Les
trois sermons publiés ici datent d'après sa condamnation par le
Saint-Office et sa réhabilitation.
Il
est vrai que pour certains écrits aventurés, Vieira fut condamné pour
hérésie judaïsante l'Inquisition et qu'il subit ses prisons pendant
vingt-sept mois, de 1665 à 1667.
Mais
Vieira bénéficia d'une amnistie, fut autorisé par ses supérieurs à
prêcher à nouveau et s'établit à Rome. Ses sermons lui valurent alors
une renommée internationale. En 1675, pour le mettre à l'abri
d'éventuelles suspicions inquisitoriales disproportionnées, le pape
Clément X lui accorda un "bref d'exemption envers les Inquisitions
d'Espagne et des autres royaumes."
Il
restait au RP Vieira plus de vingt ans à vivre. La plus grande partie de
son œuvre date de ces décennies. Six ans après l'exemption citée, le
brillant prédicateur et théologien choisit de retourner en mission parmi
ses chers indiens du Brésil, où il mourra. Non sans avoir préparé, sur
ordre de ses supérieurs, l’édition de ses sermons. |