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Le “silence” de Pie XII (suite)
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La “thèse” du père Murray
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Le bienheureux Orione et le modernisme
Le
“silence” de Pie XII (suite)
Aux
publications sur Pie XII déjà citées dans le précédent numéro d’Alètheia,
on en ajoutera trois autres qui viennent de paraître et vont à
rebours de la campagne régulièrement réactivée contre le prétendu “
silence ” du Souverain Pontife face à l’extermination des Juifs
pendant la Seconde Guerre mondiale :
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Andrea Tornielli, vaticaniste au journal italien Il Giornale,
publie Pio XII. Il Papa degli ebrei (Edizioni Piemme, Via del
Carmine 5, I-15033 Casale Monferrato, 400 pages, 19,63 euros). L’ouvrage,
paru avant la sortie du film Amen qui a relancé la polémique,
montre, avec une ample documentation, quelle fut la position constante de
Pie XII face au national-socialisme, et ce dès l’époque où il était
encore nonce apostolique en Allemagne.
Andrea
Tornielli expose ensuite, en se référant à la documentation
actuellement disponible, quelle fut l’action de Pie XII et de la
hiérarchie ecclésiastique en Europe pour essayer de sauver les Juifs
persécutés par les nationaux-socialistes.
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Après Alexis Curvers qui, en 1964, avait pris la défense de Pie
XII, le pape outragé (éditions Robert Laffont, réédition
augmentée en 1988 aux éditions Dominique Martin Morin, 53290 Bouère),
Paul Rassinier avait publié, en 1965, L’Opération “Vicaire”,
aux éditions de La Table Ronde. Ce livre fait l’objet d’une
réédition hors commerce (130 pages grand format, 16 euros port compris,
à commander à Pierre Guillaume, B.P. 98, 75223 Paris cedex 05).
Paul
Rassinier, professeur d’histoire, actif dans la Résistance et interné
dans les camp de Buchenwald et de Dora, puis député, militant socialiste
et pacifiste, examinait, dans cette perspective, “ Le
rôle de Pie XII devant l’histoire ”.
Sans
méconnaître les réponses à donner à ceux qui accusent Pie XII de s’être
“ tu ” - et il en rappelait un certain nombre -, Paul Rassinier s’intéressait
principalement à “ la théorie de la Paix ” de Pie XII. Selon lui, c’est
parce que Pie XII a tenté d’empêcher la guerre puis a essayé de l’arrêter,
à plusieurs moments, que certains s’acharnent contre lui.
Rassinier
estimait qu’Alexis Curvers, et Dom Claude-Jean Nesmy auteur de Pour
ou contre “ Le vicaire ” (Desclée de Brouwer), sont “ passés
à côté du vrai problème historique ” mais que leurs livres n’en
constituent pas moins “ deux remarquables plaidoyers philosophiques ”
auxquels il renvoyait le lecteur. Je dirai plutôt que la problématique
à laquelle s’attachaient Curvers et Nesmy était la principale en cause
: Pie XII a-t-il défendu les Juifs pendant la guerre ? Celle développée
par Rassinier est connexe.
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Le rabbin David Dalin, historien américain, avait publié, le 26 février
2001, dans The Weekly Standard Magazine, un long article consacré
à “ Pie XII et les juifs ”. Cette étude a été traduite par la
Documentation Catholique (3 rue Bayard, 75008 Paris, n° 2266, 17
mars 2002, p. 289-296, le numéro : 4,12 euros).
Le
rabbin Dalin passe d’abord en revue 9 ouvrages, la plupart américains
ou anglais, qui ont paru ces dernières années et qui sont consacrés à
l’attitude de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale. Faisant
référence aussi à d’autres sources, le rabbin Dalin rappelle ensuite,
en six points, comment Pie XII, avant d’accéder au Souverain
Pontificat, “ a toujours été très critique envers le nazisme ”.
Puis, en cinq points, il rappelle les actions et interventions de Pie XII
en faveur des Juifs pendant la guerre. Il s’interroge aussi sur le sort
des Juifs d’Italie. Enfin, il livre cinq témoignages de personnalités
israélites qui, entre 1940 et 1945, ont estimé que “ Pie XII est le
plus fervent opposant aux thèses hitlériennes ”.
Un
excellent article de synthèse qui se conclut par ce jugement : “ Pie
XII fut véritablement et profondément un Juste parmi les Nations. ”
A
propos de la “ thèse ” du père Murray
Régulièrement,
dans des publications de la Fraternité Saint-Pie X, mais ailleurs aussi,
il est fait référence à une “ thèse en droit canonique ”, soutenue
à Rome en 1995, par un prêtre du diocèse de New-York, Gerald E. Murray,
et qui montrerait “ l’inanité de l’accusation de schisme ”
portée contre Mgr Lefebvre suite à la consécration de quatre évêques
en 1988, acte qui lui a valu d’être excommunié.
Sans
me prononcer en aucune manière sur cette excommunication et sa validité
canonique, il faut néanmoins remarquer et préciser :
-
la “ thèse en droit canonique ” n’en est pas une. En 1995, le père
Murray n’a pas soutenu une thèse de doctorat mais un mémoire de
licence de droit canonique, qui compte 73 pages, en anglais. Une licence
en droit canonique n’est pas un doctorat en droit canonique. Ce n’est
pas rien mais ce n’est pas du même niveau.
-
qui, en France, a lu ce travail universitaire ? On en parle de seconde
main, à partir de citations faites par autrui, en l’occurrence la revue
américaine The Latin Mass. Il est vrai que ce mémoire est resté
inédit, mais il n’est pas impossible de se le procurer. Si le père
Murray concluait effectivement : “ The examination of the circumstances
in which Archbishop Lefebvre performed the episcopal consecrations in the
light of canons 1321, 1323 and 1324 raises at the very least a significant
doubt, if not a reasonably held certainty, against the validity of the
declaration of excommunication pronounced by the Congregation for Bishops
” (p. 71) ; il estimait aussi que l’argument de nécessité mis
en avant par Mgr Lefebvre était “ objectively groundless ” (p. 67).
-
enfin, quand on fait référence à la “ thèse ” du père Murray, il
faut faire référence aussi à la rétractation que le même auteur a
fait des conclusions de son mémoire de licence. Cette rétractation est
parue dès 1996 dans la revue The Latin Mass et elle a été
traduite et publiée en français par la revue Sedes Sapientiae
(53340 Chémeré-le-Roi, n° 59, printemps 1997, p. 41-46). Il écrivait
notamment : “ Un canoniste m’a fait
remarquer que tout violateur d’une loi canonique essaie de justifier ses
actions en se fondant sur la nécessité. Mais, pour qu’un tel appel ait
valeur au regard de la loi, il doit y avoir dans la réalité quelque
fondement qui appuie la revendication de nécessité. De fait, si, pour un
acte donné, il n’y a absolument aucune nécessité de violer la loi,
alors il est illégitime de faire appel à une prétendue nécessité.
(...) Dans mon mémoire, je niais l’existence d’une nécessité
réelle de consacrer des évêques, étant donné l’offre du Pape -
acceptée tout d’abord par Mgr Lefebvre - d’élever à l’épiscopat
un des membres de sa fraternité. Toutefois, je pensais que Mgr Lefebvre
pouvait légitimement en appeler au canon 1324, qui l’exemptait de l’excommunication,
pour le motif qu’une estimation erronée sur l’état de nécessité
lui permettait d’agir contre la loi. Maintenant, dans ce cas précis, je
ne pense plus qu’un appel au canon 1324 tombe sous l’intention visée
par la loi. ”
Que
cette rétractation soit le résultat des réflexions d’un jeune
licencié en droit canonique qui, honnêtement, a approfondi sa réflexion
ou soit le résultat de sollicitations pressantes qui lui auraient été
faites à Rome, où il étudiait encore en 1996, elle appartient
désormais à l’histoire au même titre que son mémoire de licence.
Don
Orione et le modernisme
Le
bienheureux Luigi Orione (1872-1940) est bien connu pour son apostolat en
faveur de la jeunesse et des pauvres et par la fondation d’une
congrégation religieuse, la Piccola Opera della Divina Provvidenza,
qui compte aujourd’hui plus de 200 maisons, dans le monde entier, et
plus de 1.000 membres.
Le
but fixé par Don Orione à sa congrégation était : “ Faire connaître
et aimer Jésus-Christ, l’Eglise et le Pape ”. Un ouvrage collectif
qui vient de paraître en Italie montre que, dans la tourmente du
modernisme, le bienheureux Orione a été exactement fidèle à ce
programme : Don Orione negli anni del modernismo ((Jaca Book, Via
V. Gioberti 7, I-20123 Milan, 373 pages, 23 euros).
L’ouvrage
comprend six parties. Après une présentation du modernisme et de l’antimodernisme
durant le pontificat de saint Pie X, les rapports de Don Orione avec
plusieurs des protagonistes de ce combat sont présentés par le père
Flavio Peloso, postulateur de la cause du bienheureux Orione et
responsable des archives de sa congrégation. Puis des chapitres
particuliers sont consacrés aux relations entretenues par le bienheureux
Orione avec trois figures éminentes du modernisme : le père Semeria,
Ernesto Buonaiuti et Don Casciola. Enfin, 23 documents, dont certains sont
inédits, sont publiés : lettres de Don Orione au cardinal Merry del Val
et à divers correspondants, lettres adressées à Don Orione par le père
Semeria, Buonaiuti et Don Casciola, d’autres documents encore.
De
ces études et documents, il ressort que le bienheureux Orione combattit
activement le modernisme : quand il était en Calabre, il mit en garde le
Saint-Siège contre une association (l’Associazione Nazionale del
Mezzogiorno d’Italia) dirigée par des modernistes milanais et qui
représente, écrit-il, “ un grave péril pour l’Eglise ” (p.
76-77). Il y eut d’autres courriers adressés à la Secrétairerie d’Etat.
Son
jugement historique sur le modernisme était sans ambiguïté : “ si le
modernisme et le semi-modernisme continuent, cela conduira, plus ou moins
tard, au protestantisme ou à un schisme dans l’Eglise qui sera le plus
terrible que le monde ait jamais vu ” (lettre du 26 juin 1913, citée
page 81).
Cet
antimodernisme actif n’était pas un choix intellectuel, un engagement
né d’une confrontation livresque avec le modernisme, mais le résultat
d’un engagement spirituel profond : la défense de la Papauté comme
centre de l’Eglise et la nécessaire soumission envers elle. Il a voulu,
dès l’origine (1903), que les religieux de sa congrégation prêtent un
quatrième voeu de “ fidélité spéciale au Pape. ”
Dans
le même temps, don Orione a entretenu des liens d’amitié et de
charité avec plusieurs figures éminentes du modernisme. Il le faisait
avec le plein assentiment de Pie X. Comme en témoignera un des
protagonistes, Tommaso Gallarati Scotti : “ en Don Orione, le Pape avait
une pleine confiance lui laissant toute liberté dans ses rapports avec
ces armes tourmentées ” (cité page 284). Il en sera de même sous le
pontificat de Pie XI, le pape demandant expressément à Don Orione d’entrer
en relations avec Buonaiuti, excommunié, pour, bien sûr, tenter de le
ramener dans la communion de l’Eglise (page 228-229). Flavio Peloso cite
des correspondances inédites entre les deux hommes qui montrent quelle
confiance s’était établie entre eux dans les années 1930.
L’attitude
du bienheureux Orione dans la crise moderniste est en consonance parfaite
avec celle de saint Pie X1. Elles relèvent d’une même conception de l’Eglise,
bien résumée par le père Flavio Peloso au terme de son étude : “
Elle est “magistra” inflexible jusqu’à la dureté dans la
garde de la vérité qui lui a été confiée et, en même temps, elle est
“mater” confiante qui n’abandonne pas ses propres fils à
travers l’action de ses autres fils ” (p. 265).
Avis
de gérance : Sans la
générosité de certains lecteurs, Alètheia, qui paraît depuis
près de trois ans, n’existerait plus. En effet, le principe de la
gratuité de l’envoi a un revers : un nombre croissant de personnes s’y
intéressent, d’autant plus que des publications, françaises ou
étrangères, signalent son existence et son adresse.
Le
fichier des lecteurs d’une publication de ce genre, indépendante,
gratuite, solitaire et modeste de format comme de ton, ne peut s’accroître
indéfiniment à l’aveugle. Ceux des lecteurs qui, depuis un an, n’ont
pas manifesté leur souhait de continuer à recevoir Alètheia,
seront rayés du fichier des envois avant le prochain numéro. Manifester
son souhait de continuer à recevoir Alètheia ne signifie pas
forcément verser son obole - le principe de la gratuité est
irréformable - ni encore moins manifester son accord avec tout ce qui s’y
écrit. |