Les
“marges” du christianisme
Sous
la direction de Jean-Pierre Chantin paraît le dixième volume du Dictionnaire
du monde religieux dans la France Contemporaine , une série
commencée en 1985 avec un volume sur les Jésuites. Ce dixième volume
est consacré aux Marges du christianisme et porte en sous-titre “
Sectes ”, dissidences, ésotérisme (Beauchesne, octobre 2001, 279
pages, 297 F).
Comme
dans les volumes précédents de la série, il s’agit de faire un
inventaire des personnalités qui, de 1800 aux années 1970, se rattachent
à la thématique retenue. Pour ce volume, consacré
aux “ marges ” du christianisme - concept
vague et contestable, nous le verrons - 188 personnalités ont été
retenues et font l’objet, de la part d’historiens spécialistes des
questions traitées, de notices biographiques d’une longueur inégale (d’une
vingtaine de lignes à plusieurs pages), toujours suivies d’une
bibliographie.
Le
maître-d’oeuvre de cet ouvrage collectif, Jean-Pierre Chantin, définit
la “ marge ” comme la situation de celui qui s’est mis en rupture
avec un centre. Ici, la marge par rapport au christianisme est définie
comme “ distance prise de manière nette avec les grandes traditions ou
institutions chrétiennes : catholicisme, protestantisme et orthodoxie ”.
On
y trouve donc la kyrielle des ésotéristes chrétiens (Péladan,
Sarachaga et tant d’autres) et celle non moins nombreuse des fondateurs
ou figures éminentes des “ petites églises ” (de Danyel,
dit Tugdual Ier, le fondateur de la Sainte Eglise celtique à Patrick
Truchemotte, qui portait le titre de patriarche de l’Eglise catholique
gallicane). On y trouve les fondateurs de sectes, dans la mesure où ils
sont issus et se sont réclamé du christianisme (de Georges Roux, dit le
Christ de Montfavet, à Georges Bourdin, dit le Messie cosmo-planétaire).
On y trouve aussi des modernistes impénitents (Loisy, Loyson, Turmel).
Ces voisinages se justifient parce que tous, dans leur vie et leur oeuvre,
correspondent bien en effet à la thématique définie plus haut : une “
distance prise de manière nette ” avec l’Eglise et son enseignement.
Mais,
et c’est là où l’ouvrage par ailleurs si riche est très
contestable, à ces quatre catégories, deux autres ont été ajoutées :
différentes visionnaires et mystiques et cinq personnalités du
traditionalisme (les abbés Boyer, Coache et de Nantes, le père Guérard
des Lauriers et Mgr Lefebvre).
Le
cas Lefebvre
Pour
s’en tenir à Mgr Lefebvre, la figure la plus connue du traditionalisme
post-conciliaire, sa place n’était vraiment pas, selon nous, dans un
tel volume où foisonnent les déséquilibrés et les esprits faibles.
Luc
Perrin, le rédacteur de la notice consacrée à Mgr Lefebvre - notice
bien informée, au demeurant -, a bien conscience de l’incongruité de
la situation, pour ne pas dire plus, puisqu’il écrit dès les
premières lignes : “ Avant d’aborder le récit d’une
marginalisation imprévisible, il faut souligner que Marcel Lefebvre (et
ses disciples après lui) s’est toujours voulu au centre de l’Eglise
romaine et qu’il a récusé la légitimité des sanctions canoniques qui
lui valent de figurer dans cet ouvrage. ” En effet, l’auteur le dit
bien, ce sont des sanctions canoniques, disciplinaires, qui ont placé Mgr
Lefebvre et la Fraternité Saint-Pie X, dans les “ marges ” de l’Eglise
catholique. A la différence de la plupart des personnalités
recensées dans le volume, il ne s’y est pas placé de lui-même en
soutenant des doctrines nouvelles ou par certaines pratiques
personnelles. Le désaccord doctrinal qui l’a opposé au Saint-Siège n’a
pas été une rébellion et les sanctions disciplinaires qui ont été
prises à son encontre, pour sérieuses qu’elles fussent, n’ont point
constitué une mise à l’écart définitive et qui toucherait l’ensemble
des fidèles et des prêtres qui l’ont suivi.
Les
différends qui opposaient et opposent encore Mgr Lefebvre, et la
Fraternité Saint-Pie X à sa suite, au Saint-Siège sont sérieux et
importants (la messe et la liberté religieuse principalement) mais
ils ne suffisent pas à les placer en marge de l’Eglise. En 1988, et au
début de cette année encore, une réconciliation a été bien prête d’avoir
lieu. L’année dernière, lors du Jubilé, en France singulièrement, et
à Rome même, des églises, des sanctuaires, des basiliques se sont
ouvertes aux évêques et aux prêtres de la FSPX. Le concept de “ marge
” est donc bien inadéquat pour caractériser la situation de Mgr
Lefebvre et de la Fraternité Saint-Pie X.
Les
visionnaires
Dans
le volume en question, on trouve aussi de nombreuses notices consacrées
à des mystiques et à des visionnaires. Le critère retenu pour les faire
figurer dans ce volume semble avoir été la non-reconnaissance par l’Eglise
de l’authenticité de leurs visions. On y trouve, et c’est naturel,
diverses fabulatrices ou hystériques qui ont connu un certain succès
mais qui sont aujourd’hui bien oubliées. On aurait pu y faire figurer d’autres,
dont l’audience a été grande et qui ont suscité des pèlerinages
importants (par exemple Pierre Poulain, “ le Restaurateur ”, à l’origine
d’une chapelle et d’une pseudo-congrégation religieuse, qui existent
toujours aujourd’hui).
Mais
finalement les critères retenus pour faire figurer telle ou telle
visionnaire dans ce volume ne sont pas très clairs. On trouve une notice
sur Jeanne Louise Ramonet, la voyante de Kérizinen, mais point sur
Marie-Julie Jahenny, la plus célèbre des stigmatisées françaises avant
Marthe Robin, et qui a suscité une littérature abondante, toujours bien
diffusée. Dans les deux cas, l’autorité diocésaine a refusé de
reconnaître l’authenticité des messages reçus. Ce critère, donc,
aurait dû suffire, selon l’optique retenue par les auteurs, pour
consacrer une notice à Marie-Julie Jahenny.
Marthe
Robin non plus ne figure pas dans ce volume, et c’est justice puisqu’elle
ne s’est pas située en “ marge ” de l’Eglise (cf. l’extraordinaire
expansion des Foyers de Charité dans le monde) et qu’un procès
de canonisation a été ouvert. En revanche, dans l’introduction
générale du volume, un rédacteur, Paul Airiau, épingle le “
pseudo-joachimisme ” qu’elle aurait en commun avec d’autres
mystiques présentes, elles, dans le volume.
Le
problème de la “ marge ” n’est donc pas vraiment éclairé par ce
livre. On le consultera avec intérêt pour certains personnages peu
ou pas connus. On se gardera d’utiliser le concept retenu pour les
caractériser tous sans distinction. |