I.
EMILE POULAT, FIN OBSERVATEUR DU CATHOLICISME
Emile
Poulat a fait, depuis un demi-siècle, du catholicisme “ un objet de
science ”. Ce n’était une évidence, ni pour les théologiens, ni
pour les hommes d’Eglise, qui eurent du mal à accepter ses
analyses historiques, sociologiques et distanciées, froides pour ainsi
dire, du modernisme, du dossier des prêtres-ouvriers, des variations du
catholicisme contemporain. La démarche d’Emile Poulat fut difficilement
comprise aussi de l’Université qui fut d’abord étonnée qu’on
étudie, dans une perspective historique, des phénomènes en mouvement,
en vie.
Aujourd’hui,
l’oeuvre d’Emile Poulat s’impose par son acribie exceptionnelle. Je
ne rappelerai pas ses nombreux livres et je renverrai, pour une
bibliographie complète (du moins, à la date de parution...), au volume
collectif d’études et de témoignages qui est paru il y a quelque temps
: Un objet de science, le catholicisme : réflexions autour de l’oeuvre
d’Emile Poulat, Paris, Bayard, 2001, 288 pages, 198 F.
On
doit signaler aussi le dernier numéro de France Catholique (60 rue
de Fontenay, 92350 Le Plessis-Robinson, numéro du 29 juin 2001, 20 F) qui
fait sa une avec une belle photographie d’Emile Poulat et publie une
longue - sept pages - et intéressante interview. Pour inviter les
lecteurs à lire ce passionnant entretien, je n’en citerai que quelques
extraits qui incitent à la réflexion :
“
D’une certaine manière, le premier vrai successeur de Léon XIII est
Jean-Paul II. ”
“
Le catholicisme français s’est longtemps pensé comme un modèle pour
le monde. Il est convaincu que le concile Vatican II est son oeuvre, celle
de ses experts. Comme j’ai rencontré beaucoup d’autres personnes qui
sont persuadées avoir fait le concile, il y a un peu d’illusions et
beaucoup de prétention. L’illusion va loin, car lorsqu’il y a
différences d’interprétations, si l’on s’éloigne de l’interprétation
qui est la vôtre, on dit que le Concile se pervertit.”
“
On dit que le Concile s’est ouvert à la modernité : or dans l’index
des actes du Concile, le mot modernité ne figure pas, ni le mot
modernisme. Cinq fois l’adjectif moderne mais dans un sens tout à fait
banal. Il faudrait revenir aux textes. Soyons clairs : par qui a été
fait le Concile ? Par des évêques formés sous Pie XII et certains
encore sous Pie XI, qui n’étaient pas réputés pour leur modernité.
Comment auraient-ils pu devenir subitement les héros d’une église
progressiste ? ”
“
Après des générations qui ont déserté, voici ces nouvelles
générations habitées religieusement, voyez la fréquentation des
églises : Notre-Dame qui était vide est à nouveau pleine. (...) J’ai
connu le centre historique de Paris au temps où il était religieusement
mort, ses églises désertées. Aujourd’hui ce centre est religieusement
très vivant. St-Nicolas du Chardonnet mais aussi St-Séverin, St-Gervais,
St-Etienne du Mont, St-Médard, vous êtes là dans des paroisses qui
vivent. Ce n’est pas vrai partout. On sait ce qu’il en est dans
certaines provinces. Dans le diocèse de Cahors, on se demande s’il y
aura encore un prêtre dans dix ans, mis à part son évêque. ”
II.
JEAN XXIII : LA CONTROVERSE DES TRADUCTIONS
Le
père Gino Concetti, qui est considéré comme le théologien principal de
l’Osservatore romano, a publié, le 22 avril dernier, un grand
article pour dénoncer la trahison qu’aurait subie Jean XXIII dans la
traduction italienne de son célèbre discours d’ouverture du concile
Vatican II. Le 11 octobre 1962, Jean XXIII fixait comme objectif au
concile Vatican II qui s’ouvrait :
“
une nette avance dans le sens de la pénétration de la doctrine et de la
formation des consciences, en correspondance plus parfaite avec la
fidélité professée envers la doctrine authentique, celle-ci étant d’ailleurs
étudiée et exposée suivant les méthodes de recherche et la
présentation dont use la pensée moderne.”
Cette
version a été celle diffusée en France, et dans d’autres pays, selon
la version italienne du discours. Or, si l’on se réfère au texte latin
paru dans L’Osservatore romano dans son édition du 12 octobre,
texte latin, seul officiel, et publié comme tel ensuite dans les Acta
Apostolicae Sedis, le sens du discours est fort différent :
“
que la doctrine soit plus largement et plus profondément connue, qu’elle
anime et forme plus pleinement les esprits ; il faut que cette doctrine
certaine et immuable, qui a droit au plus fidèle respect, soit étudiée
et exposée selon une méthode que demande notre temps. ”.
Le
père Concetti en conclut : “ La traduction du latin a été
épurée dans un sens progressiste ”.
C’est
Jean Madiran qui, le premier, je crois, en avait fait la remarque, peu de
temps après l’événement ; cf. “ Autour du concile ”, Itinéraires,
n° 68, décembre 1962, p. 12-14 (voir aussi Itinéraires, n° 70,
février 1963, p. 100-106).
Jean
XXIII trahi ? Un de ses biographes les mieux informés, Peter
Hebblethwaite, semble montrer que la trahison ne s’est pas faite dans le
sens que Jean Madiran puis le père Concetti l’ont cru. Il explique (Jean
XXIII, le pape du Concile, Paris, Le Centurion, 1988, p. 472-476) que
Jean XXIII a rédigé son discours en italien mais que le texte latin qu’il
a prononcé dans la Basilique Saint-Pierre, texte qui sera publié dans
les AAS, est une version corrigée et expurgée (par qui ?).
Hebblethwaite ajoute : “ Quand le pape Jean découvrira ces
modifications scandaleuses fin novembre 1962 il aura l’habileté de ne
pas congédier le responsable des Acta Apostolicae Sedis. Il se
contente de citer son texte, dans sa version non publiée, dans des
discours importants. ” |