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Aletheia n°147 - 29 octobre 2009 PDF

Benoît XVI en dialogue avec les « trois cercles concentriques » - par Yves Chiron

Paul VI, dans sa première encyclique, Ecclesiam suam (6 août 1964), avait fait la théorie du « dialogue » que l’Église doit engager avec tous les hommes pour mener à bien sa mission : annoncer l’Évangile et conduire, ceux qui le veulent, au salut. « L’Église du Christ Jésus a été voulue par son Fondateur comme mère aimante de tous les hommes et dispensatrice du salut » disait le Pape aux premières lignes de son encyclique.

Paul VI décrivait ce dialogue, nécessaire et toujours inachevé, « comme autant de cercles concentriques autour du centre où la main de Dieu Nous a placé ».

Le premier cercle, le plus éloigné, « immense cercle » disait Paul VI, est celui de « l’humanité comme telle, le monde », marqué largement par l’athéisme ou par l’indifférence à l’égard de la religion (c’est-à-dire de la relation avec Dieu).

Le deuxième cercle, « autre cercle immense », mais « moins éloigné » du Siège de Pierre, est celui « des hommes qui adorent le Dieu unique et souverain ». Paul VI faisait référence explicitement aux religions juive, musulmane et aussi « aux fidèles des grandes religions afro-asiatiques ». Il faut rappeler que Paul VI récusait le relativisme et l’indifférentisme en matière de dialogue inter-religieux : « Nous ne pouvons évidemment partager ces différentes expressions religieuses comme si elles s’équivalaient toutes, chacune à sa manière, et comme si elles dispensaient leurs fidèles de chercher si Dieu lui-même n’a pas révélé la forme exempte d’erreur, parfaite et définitive, sous laquelle il veut être connu, aimé et servi ».

Le troisième cercle, « le plus voisin de Nous », est celui du dialogue « oecuménique » avec les « frères chrétiens, encore séparés de nous ». Paul VI y fondait de grands espoirs et avait la conviction que l’Église catholique était à un moment favorable pour « recomposer l’unique bercail du Christ ».

Paul VI n’oubliait pas le dialogue ad intra, même s’il n’en faisait pas un quatrième cercle : les contestataires catholiques. Le Pape ne nommait personne, mais il visait à la fois, – d’autres discours de cette période le montrent –, ceux qu’on appelait alors les « progressistes » et les « intégristes ». Mais, pour « ce dialogue de famille », disait-il, il attendait d’abord une « obéissance en forme de dialogue ». Cette obéissance devait s’exprimer par « l’observation des normes canoniques » et « la soumission respectueuse au gouvernement du supérieur légitime ».

Quelques mois après cette encyclique, la constitution conciliaire Lumen Gentium (promulguée le 21 novembre 1964), distinguait elle aussi, mais de manière différente, une hiérarchie de ceux à qui s’adresse l’Église : « en premier lieu » les fidèles catholiques ; puis les chrétiens non-catholiques et, enfin, tous « ceux qui n’ont pas encore reçu l’Évangile » : les Juifs, les Musulmans et les membres des autres religions « qui cherchent encore dans les ombres et sous des images un Dieu qu’ils ignorent » (LG, § 14-16).

Dans sa volonté de dialogue en vue d’établir ou de rétablir l’unité du peuple de Dieu, Benoît XVI est l’héritier à la fois de la théorie des cercles concentriques de Paul VI et de la distinction, en partie différente, établie par Lumen Gentium. Il l’a dit à plusieurs reprises. En 2006, par exemple, faisant le bilan de son voyage apostolique en Turquie, il évoque « trois ”cercles concentriques” » : « Dans le cercle plus intérieur, le successeur de Pierre confirme dans la foi les catholiques ; dans le cercle médian les autres chrétiens ; dans le cercle le plus extérieur il s’adresse aux non chrétiens et à toute l’humanité » (audience générale du 6 décembre 2006).

Benoît XVI ne cesse de « dialoguer » en vue de l’unité du peuple de Dieu. Le dialogue avec « le cercle le plus extérieur » a été marqué, notamment, par des discours et des initiatives en direction du monde musulman. L’année 2006 fut, à cet égard, emblématique : le discours de Ratisbonne (le 12 septembre 2006 mais il ne concernait qu’en partie l’Islam) et surtout la rencontre de Castelgandolfo (le 25 septembre suivant) et le voyage apostolique en Turquie (du 28 novembre au 1er décembre de la même année). Bien sûr, le dialogue avec l’Islam ne s’est pas arrêté en 2006. En témoigne, par exemple, le Forum catholique-musulman, organisé au Vatican les 4-6 novembre 2008, et marqué, le dernier jour, par un discours de Benoît XVI.

Le dialogue en vue de l’unité avec « le cercle médian », c’est-à-dire avec les chrétiens non-catholiques, prend, avec Benoît XVI, deux directions dominantes : avec les orthodoxes et avec les anglicans. On n’y insistera pas ici. La publication prochaine d’une constitution apostolique pour fixer le cadre canonique et les conditions d’un retour à l’unité catholique des anglicans sera un des événements ecclésiaux de 2009.

Cette publication va intervenir au moment où commence le dialogue doctrinal avec la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, c’est-à-dire, pour reprendre la distinction de Benoît XVI, le dialogue avec un des éléments du « cercle le plus intérieur ».

Quel objectif ?

Je ne répèterai pas ce qui a déjà été dit sur cette première rencontre doctrinale, qui a eu lieu le 26 octobre dernier. Je ne relève que trois points.

• Sept thèmes principaux de discussion ont été retenus :

– la notion de Tradition,

– l’autorité et les formulations du missel de Paul VI,

– l’interprétation du Concile Vatican II,

– l’unité de l’Église et l’oecuménisme,

– le dialogue avec les religions non-chrétiennes,

– la question de la liberté religieuse.

• Encore une fois, on voit que ce n’est pas le concile Vatican II tout entier que rejette la FSSPX. Mgr Fellay le disait clairement, il y a quelques mois, dans une lettre au cardinal Castrillón Hoyos, alors président de la commission Ecclesia Dei : « Nous ne refusons pas le concile en bloc. Ce qui est repris du Magistère constant de l’Église nous l’acceptons, mais nous refusons les nouveautés – et surtout un certain esprit – qui sont contraires au Magistère de l’Église » (lettre, inédite, du 15 décembre 2008).

• La durée de ces discussions doctrinales n’est pas fixée : « plusieurs années » estime Mgr de Galaretta, un des trois représentants de la FSSPX au sein de la Commission, « pas beaucoup plus d’une année » espère-t-on du côté romain.
Un point très important reste encore à déterminer, le plus important peut-être. Si un accord doctrinal est trouvé, quelle forme prendra-t-il ? Prendra-t-il simplement la forme d’une déclaration commune des deux parties, comme il en existe plusieurs avec la Commission internationale anglicane catholique (ARCIC), avec la Commission mixte catholique-romaine et évangélique luthérienne, et avec d’autres commissions ? Ou cela aboutira-t-il à un acte magistériel, solennel et contraignant pour la foi ?
C’est justement parce que le but final des discussions Saint-Siège-FSSPX n’est pas défini, qu’un théologien romain, éminent, qui avait été pressenti pour être un des représentants du Saint-Siège dans la Commission, a refusé. Je tiens cette information de l’intéressé (cf. Aletheia n° 140, 8.4.2009).